Une française accouche en Allemagne : condamnation à la fessée civile
par emma plaf
mardi 28 avril 2009
C’est une française qui partit accoucher ailleurs, dans une maison de naissance allemande, pour y trouver des conditions d’humanité en sécurité qu’elle n’a pas pu négocier en France. La sécurité sociale, agacée par ses demandes de remboursement (pourtant inférieures au coût d’un accouchement en France), l’a condamnée à une amende de 100 euros. Fessée civile. Comme si, au XXIème siècle en Occident, les femmes qui prétendent accoucher en sécurité sans interventions médicales systématiques, qui préfèrent le confort et l’humanité à la discipline collective, et choisissent comment et où elles veulent accoucher, comme si ces femmes devaient être corrigées.
Un accouchement bien comme il faut : restez bien sage, Madame, on s’occupe de tout
Accoucher, c’est simple. Il faut s’inscrire dans une maternité, et après on est pris en charge. Médicalement. Et financièrement.
C’est ce qu’a fait E.G. pour son premier enfant.
Elle a donc eu le droit à cela : rasage, lavement, rupture artificielle de la poche des eaux, sonde urinaire, monitorage fœtal en continu, séparation imposée avec mon mari par moments (porte fermée à clé), perfusion (bleu au bras et douleur pendant deux semaines), synthocinon (c’est une hormone de synthèse qui sert à accélérer les contractions), interdiction de boire (et forcément de manger), position "normale" non négociable (couchée sur le dos les pieds dans l’étrier), résultats du foot et prévisions météo pendant l’expulsion, bébé enlevé dès la naissance sans information sur ce qu’on lui a fait. E.G parle de la première partie de l’accouchement qui s’est déroulée dans la salle d’attente, des six accouchements en même temps gérés par des sages-femmes qui venaient lui demander si ça allait, mais n’avaient pas le loisir de rester écouter la réponse, du sommeil rendu impossible, les jours qui ont suivi, par le bip des alarmes dans le service.[1].
Tout questionnement de l’utilité des intervention médicales sera sans objet : c’est comme ça, c’est pour notre bien. Toute remarque sur l’inconfort induit par ces interventions sera réprimandé : il ne faut pas faire de caprice, c’est comme ça, c’est pour notre bien.
Et puis, c’est remboursé par la sécurité sociale. Coût pour la collectivité[2] : dans les 2300 euros.
Où certaines s’informent, réfléchissent, arbitrent et choisissent
E.G. jura donc qu’on ne l’y reprendrait plus. En se renseignant, il est aisé de réaliser que le rasage pubien n’a pas d’intérêt médical[3], que la sonde urinaire est source principale d’infections nosocomiales, que le monitorage foetal continu augmente les interventions sans améliorer les résultats néonataux[4], qu’il n’y a plus de raison de s’interdire de manger [5] et a fortiori, de boire.
Elle chercha où elle pourrait accoucher. Elle voulait juste la présence continue d’une sage-femme, sans intervention médicale autre que médicalement nécessaire. Médicalement. Strictement, médicalement. Pour sa santé et celle de son bébé. Pas par nécessité de confort des professionnels de santé, de productivité des hôpitaux, du respect habitudes du service. Non. Elle voulait juste qu’aucune intervention ne soit pratiquée sans raison médicale.
Ce ne fut négociable nulle part dans sa région, zone française. Parfois en France, ça l’est. Pour E.G, c’est à Sarrebruck, en Allemagne, qu’elle trouva écho à ses souhaits.
C’est là qu’elle accoucha, dans une maison de naissance. Facture : 1046 euros et 58 cents[6].
La fessée civile : 100 euros d’amende pour avoir demandé le remboursement de l’accouchement à l’étranger
La demande d’entente préalable pour le remboursement par la sécu française ayant été refusée, E.G. eut recours au conciliateur, à la commission de recours à l’amiable, puis au tribunal administratif de la sécu. Refus.
Refus argumentés : il y a en France des maternités où elle aurait pu accoucher. Elle aurait pu faire appel aux services d’une sage-femme pour un accouchement à domicile[7].
Refus agrémenté d’une condamnation à une amende de 100 euros, pour "avoir voulu faire supporter par la communauté des assurés sociaux ses choix personnels". Le jugement date du 9 janvier 2009 et est disponible à la lecture[8].
07 jugement
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Réfléchir la médicalisation, décider du degré qui convient à chacune
En France, en 2009, une femme qui aurait mené une réflexion sur la manière dont elle veut être traitée pendant son accouchement a parfois le choix, parfois moins.
Certaines femmes sont d’accord avec la médicalisation systématique, parce qu’elle reste - en dépit des preuves contraires - assimilée à une sécurité maximum. Souvent les femmes n’envisagent pas de contester le système, peut-être parce que leurs priorités sont ailleurs, ou pour d’autres raisons, et elles n’ont pas à se justifier.
D’autres femmes, comme E.G., cherchent à vivre leur grossesse et leur accouchement dans des conditions qu’elles choisissent. Leur désir est le fruit, nous semble-t-il, de deux approches de la réflexion :
1. La surmédicalisation n’est pas synonyme de sécurité. Une médicalisation réfléchie, appuyée sur des preuves, motivée par la santé des personnes et non par des considérations d’organisation, est à leur sens une condition à leur sécurité. La médicalisation systématique ne fait pas ses preuves face à une médicalisation réfléchie, mais elle engendre plus d’effets indésirables que certains trouvent dommage de subir sans en avoir le choix et pour un bénéfice non démontré.
2. La naissance est un événement personnel, familial, social. Les femmes, qui ont obtenu le droit à disposer de leur corps, à contrôler leur fécondité, revendiquent désormais le droit de choisir en connaissance de cause du degré de médicalisation qui leur convient pour mettre au monde. Parce que grossesse et accouchement font partie de la vie des femmes qui le désirent, et que les femmes désormais entendent contrôler leur vie de femme.
Il nous semble que les femmes, les couples, quels que soient leurs choix en matière de médicalisation de la naissance, ne se résigneront pas face à ces fessées civiles, et qu’ils se battront collectivement pour que soit reconnue la légitimité de leur demande, celle de pouvoir choisir les conditions dans lesquelles ils vivent les grossesses et les accouchements.
Emma Plaf
[1] source http://wiki.naissance.asso.fr/index.php/RaisonsEudes
[2] Selon estimation calculée en 2007 par le Collectif interassociatif autour de la naissance (CIANE). http://ciane.naissance.asso.fr/pdf/forfait-agn-mdn.pdf
[3]. Basevi V, Lavender T. Routine perineal shaving on admission in labour. Cochrane Database of Systematic Reviews 2000, Issue 4. Art. No. : CD001236. DOI : 10.1002/14651858.CD001236.
"Women may have their pubic hairs shaved with a razor (perineal shaving) when they are admitted to hospital to give childbirth. This is done in the belief that shaving reduces the risk of infection if the perineum tears or a episiotomy is performed and that it makes suturing easier and helps with instrumental deliveries. Shaving is a routine procedure in some countries. The present review found no evidence of any clinical benefit with perineal shaving. Not routinely shaving women before labour appeared safe. Three controlled trials that involved a total of 1039 women were reported on between 1922 and 2005. They each used antiseptic skin preparation and compared perineal shaving with cutting vulval hairs. When the findings of the trials were combined, no differences were found, with and without shaving, on the number of mothers who experiencing high body temperatures after the birth (maternal febrile morbidity). One trial also looked at perineal wound infection, the incidence of open wounds and maternal satisfaction immediately after a perineal repair had been completed and found no difference between groups. Most of the side-effects attributable to shaving occur later, as described by one of the trials. These included irritation, redness, multiple superficial scratches from the razor and burning and itching of the vulva. No trial assessed the views of the women about shaving, such as pain, embarrassment or discomfort during hair regrowth, to determine the most appropriate form of care in terms of health gain"
[4] Journal de Gynécologie Obstétrique et Biologie de la Reproduction
Volume 37, numéro S1 pages 23-33 (février 2008) Doi : 10.1016/j.jgyn.2007.11.008 http://www.em-consulte.com/article/162386/ "La surveillance continue diminue le risque de convulsions néonatales au prix d’une probable augmentation modérée des naissances instrumentées sans influence démontrée sur le pronostic néonatal à long terme. Il n’y a pas d’impact des modes de surveillance (continue ou discontinue) sur la mortalité périnatale. L’étude la plus récente montre un bénéfice néonatal à l’enregistrement continu associé à un accroissement des césariennes pour anomalies du rythme cardiaque fœtal sans augmentation de celles-ci. La surveillance fœtale continue a une meilleure sensibilité que la surveillance discontinue dans la détection des acidoses néonatales. Il existe de nombreux arguments pour préconiser la surveillance du rythme cardiaque fœtal en continu ; cependant la surveillance discontinue peut être réalisée dans des conditions strictes d’application."
[5] Effect of food intake during labour on obstetric outcome : randomised controlled trial G.O’Sullivan, B.Liu, D.Hart, P.Seed, A.Shennan BMJ 2009 ;338:b784 "Consumption of a light diet during labour did not influence obstetric or neonatal outcomes in participants, nor did it increase the incidence of vomiting. Women who are allowed to eat in labour have similar lengths of labour and operative delivery rates to those allowed water only."
|6] Facture disponible en ligne : http://ciane.naissance.asso.fr/pdf/eudes/factures.pdf
[7] Le reproche de ne pas avoir fait appel à une sage-femme faisant des accouchements à domicile semble étrange. La pratique de l’accouchement à domicile est tout à fait légale, mais (1) non intégrée dans le système de soins français, ce qui est inquiétant du point de vue de la continuité des soins au cas où le recours au suivi ou à l’accouchement en maternité devient nécessaire (2) non réaliste, du fait du faible nombre de sages-femmes le proposant (une cinquantaine sur tout le territoire français, d’après l’Association nationale des sages-femmes libérales (ANSFL) et de leur impossibilité, aujourd’hui, à souscrire une assurance professionnelle pourtant obligatoire. Voir le site de l’ANSFL http://www.ansfl.org/page.php?id=49 (pour la liste des sages-femmes) et http://www.ansfl.org/page.php?id=13 (pour la question des assurances)
[8] Un collectif s’est mis en place pour soutenir E.G. qui a décidé de se pourvoir en cassation : Naissances sans frontières http://wiki.naissance.asso.fr/index.php/NaissanceSansFrontieres