Vaccination : des soignants face à leurs responsabilités

par Sylvain Rakotoarison
vendredi 17 septembre 2021

« À compter du 15 septembre 2021, les personnes mentionnées au I de l’article 12 ne peuvent plus exercer leur activité si elles n’ont pas présenté les documents mentionnés au I de l’article 13 (…). » (article 14 de la loi n°2021-1040 du 5 août 2021).



C’est la loi qui a été adoptée démocratiquement par le Parlement français qui veut cela. Cette loi n°2021-1040 du 5 août 2021 relative à la gestion sanitaire a institué entre autres l’obligation vaccinale contre le covid-19 pour un certain nombre de professions, en particulier tous les soignants et les personnes qui s’occupent des personnes vulnérables : « Doivent être vaccinées, sauf contre-indication médicale reconnue, contre la covid-19 : les personnes exerçant leur activité dans les établissements de santé… (etc.). » (article 12).

Cette obligation a été annoncée par le Président de la République Emmanuel Macron lui-même dans son allocution télévisée du 12 juillet 2021, il y a donc plus de deux mois. Qui dit obligation dit nécessairement sanction, sinon la loi resterait impuissante.

Quelles sont ces sanctions ? Elles sont simples mais néanmoins très graves : « Lorsque l’employeur constate qu’un agent public ne peut plus exercer son activité en application du I, il l’informe sans délai des conséquences qu’emporte cette interdiction d’exercer sur son emploi ainsi que des moyens de régulariser sa situation. L’agent public qui fait l’objet d’une interdiction d’exercer peut utiliser, avec l’accord de son employeur, des jours de congés payés. À défaut, il est suspendu de ses fonctions ou de son contrat de travail. » (article 14).

Et le texte de loi d’ajouter : « La suspension (…), qui s’accompagne de l’interruption du versement de la rémunération, prend fin dès que l’agent remplit les conditions nécessaires à l’exercice de son activité prévues au I. Elle ne peut être ne peut être assimilée à une période de travail effectif pour la détermination de la durée des congés payés ainsi que pour les droits acquis par l’agent public au titre de son ancienneté. Pendant cette suspension, l’agent public conserve le bénéfice des garanties de protection sociale complémentaire auxquelles il a souscrit. ». C’est aussi valable pour un salarié du secteur privé, à quelques différences techniques près.

La sanction est donc très sévère : suspension et interruption de rémunération. Pour un CDD, le contrat n’est pas suspendu : « Lorsque le contrat à durée déterminée d’un agent public non titulaire est suspendu (…), le contrat prend fin au terme prévu si ce dernier intervient au cours de la période de suspension. ».

Enfin, si, entre le 15 septembre et le 15 octobre 2021, le soignant non-vacciné reçoit une première dose, bien qu’il ne soit pas complètement vacciné, sa suspension est cependant levée.

Le gouvernement a réaffirmé qu’il appliquerait la loi avec la plus grande fermeté. En effet, à quoi servirait une loi si elle n’était pas appliquée ? C’est donc très surprenant que des individus qui proclament sans arrêt la plus grande fermeté des lois sécuritaires refusent que ce principe soit appliqué à la loi du 5 août 2021. Les sanctions constituent un échec collectif, au même titre que les peines et condamnations des délinquants ordinaires. S’il n’y avait pas de sanctions, il n’y aurait plus d’obligation, c’est aussi simple que cela. La question étant toujours : qu’est-ce que je risque si je ne me conforme pas à la loi ? Si la réponse est rien, pas la peine de me conformer à la loi, sauf à être un légaliste absolu (notons qu’ici, la vaccination a été acceptée volontairement et librement par plus de 42 millions de Français bien avant l’instauration d’un passe sanitaire contraignant).

L’obligation vaccinale pour les soignants n’est pas une innovation. Elle est déjà instituée pour un certain nombre de vaccins, en particulier contre l’hépatite B. Aujourd’hui, le covid-19 est la première maladie nosocomiale, et c’est scandaleux de penser que des personnes qui sont entrées à l’hôpital pour un traitement particulier, ou une opération, aient pu être infectées au covid-19 et en soient mortes. C’est pourtant ce qui s’est passé à de nombreuses reprises. La rigueur d’un établissement de santé est que le patient ressorte en meilleur état que lorsqu’il y est entré, à moins d’être déjà atteint d’une maladie mortelle, auquel cas la médecine ne fait qu’accompagner le patient pour qu’il puisse être maintenu dans le plus grand confort possible.

Dans les faits, cette loi a-t-elle fait vacciner massivement les soignants ? Globalement, oui. Le 15 septembre 2021, le porte-parole du gouvernement Gabriel Attal a évoqué la proportion de 9 soignants sur 10 qui sont vaccinés. Apparemment, il y en aurait un petit peu moins, car 12% des soignants ne seraient pas encore vaccinés, et environ 2% à 3% des médecins libéraux, soit environ 3 000 médecins. Selon un premier bilan des sanctions, 3 000 soignants auraient été mis en suspension, ce qui peut avoir des conséquences sur l’organisation des hôpitaux.

Avant de poursuivre et d’essayer de prendre connaissance du point de vue des soignants non-vaccinés, je voudrais quand même aborder un aspect moral : le sens des responsabilités des soignants.

Lors du premier confinement, au printemps 2020, tout le monde applaudissait les soignants chaque soir à 20 heures, pour les remercier d’assurer les soins dans les hôpitaux, parfois au péril de leur vie (certains en sont morts, comme ce médecin à la retraite, Jean-Jacques Razafindranazy), notamment parce qu’ils n’avaient pas les équipements adéquats (masques, combinaisons, etc.).

L’argumentation actuelle qui veut comparer cette situation de mars 2020 à celle d’aujourd’hui ne manque pas de manipulation. Le gouvernement ne s’en prend pas aux soignants en leur imposant la vaccination, il veut juste que les soignants soignent sans contaminer les plus fragiles qu’ils soignent, ce qui est une mesure de salubrité publique saluée par la plupart des médecins. Du reste, comme précisé plus haut, la très grande majorité des soignants sont vaccinés et méritent encore aujourd’hui les applaudissements.



Ceux qui refusent encore aujourd’hui la vaccination, alors qu’ils pouvaient se faire vacciner dès janvier 2021, n’ont aucune idée du tort qu’ils peuvent faire en termes de santé publique. Ce qui reste très étonnant car les professions de santé devraient les premières concernées dans la compréhension de la vaccination (en particulier les médecins). L’aspect moral est là : être face à ses propres responsabilités. Et surtout, face aux personnes soignées qui méritent d’être protégées.

L’argument généralement invoqué est la liberté individuelle : je ne me ferai vacciner que si je le veux. Mais la liberté individuelle n’est pas la valeur exclusive et suprême d’une vie en communauté. La solidarité, par exemple, est aussi une valeur essentielle. La responsabilité également. La sécurité routière permet une bonne analogie de la gestion sanitaire, car il y a l’affrontement entre une liberté individuelle et l’intérêt général. Et l’autre point commun, c’est que celui qui ne suit pas les mesures de sécurité pense qu’il peut passer entre les gouttes (je roule comme un fou mais je n’ai pas d’accident ; je ne mets pas de masque mais je n’ai pas été contaminé, etc.).



On peut invoquer la liberté individuelle pour rouler à 150 kilomètres par heure, ou encore pour ne pas mettre sa ceinture de sécurité. Ce sont deux décisions qui vont augmenter les risques d’accident et même les risques de mourir, mais on peut s’en sortir indemne, sans accident, sans rien. Pour autant, on sera verbalisé si on est pris en faute. Le pire, ce n’est pas le jeu du chat et de la souris avec la maréchaussée, c’est qu’en toute conscience, le contrevenant met la vie des autres en danger, c’est cela qui est moralement discutable dans cette liberté absolue proche de l’adolescent capricieux. Même pour la ceinture, cela impacte sur les autres (les proches qui ont perdu un membre de leur famille ou un ami cher, les assurés dont la prime d’assurance va augmenter, les contribuables qui vont devoir payer les dégâts matériels de l’environnement urbain, etc.).

Il est néanmoins intéressant à comprendre les raisons d’un soignant de ne pas se faire vacciner encore maintenant. Ainsi, dans l’émission de l’incisif Éric Brunet, le mercredi 15 septembre 2021 sur LCI, ce dernier a invité une aide-soignante (je crois du CHU de Nice où il y a eu 450 suspensions de travail).

L’aide-soignante a été suspendue et, sans se montrer opposée par principe à la vaccination, a soutenu qu’elle ne voulait pas se faire vacciner et qu’elle voulait garder sa liberté individuelle. Mais très vite dans la discussion, bien que ce ne fût pas très clair au début, elle a annoncé qu’elle avait pris le lendemain soir un rendez-vous pour se faire injecter sa première dose.

Cette première information donnait ainsi raison à la loi et à l’obligation vaccinale pour les soignants. Sans cette loi, elle ne se serait pas faite vacciner, ce qui aurait rendu ses actes de soignante dangereux pour les personnes qu’elle soigne. C’est le premier enseignement. Il y aura des jusqu’au-boutistes, mais la plupart, par cette pression qu’il est désolant d’avoir dû faire, finissent par se faire vacciner.

Mais cette information n’était pas l’essentiel. L’essentiel, c’était de savoir pourquoi elle ne voulait pas se faire vacciner. Certes, des milliards de doses ont déjà été injectées et les risques seraient connus depuis longtemps maintenant, autre que les effets attendus (un peu mal au bras et deux jours de forte fièvre), à l’exception d’une ultra-faible minorité où les effets secondaires sont à prendre en compte (plus faible que pour des médicaments consommés régulièrement).

En revanche, l’aide-soignante interrogée était convaincue que certes, le vaccin la protégerait des formes graves, ce qui explique qu’elle comprend très bien la campagne de vaccination, mais elle était convaincue aussi que le vaccin n’aurait aucun effet sur sa capacité à être contaminée (et donc, à transmettre ou pas le virus). En clair, ce qu’elle pensait, c’était que comme vaccinée ou non-vaccinée, elle transmettrait toujours de la même manière le virus, le choix de la vaccination serait donc un choix personnel sur les risques ou non de développer les formes graves.

Sauf que cette idée est complètement fausse, et la preuve dans les Antilles, en Polynésie française, et même dans la réduction drastique du nombre de cas aujourd’hui dans l’Hexagone malgré une flambée épidémique en juillet (ce qui montre du reste qu’il n’y a aucun effet saisonnier, du moins pour le variant delta). Au contraire, la vaccination réduit énormément le risque d’être contaminé, d’un facteur de 8 à 12, selon certaines statistiques.

Depuis le 6 août 2021, la DREES (Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques du Ministère de la Solidarité nationale et de la Santé) publie chaque semaine un rapport complet sur le nombre de personnes vaccinées et non-vaccinées parmi les personnes qui ont été contaminées, celles qui sont hospitalisées, qui vont en réanimation, voire qui décèdent. Le vaccin protège AUSSI de la contamination, et c’est cette protection-là qui diminue avec le temps comme l’a prouvé le peuple d’Israël (mais cette diminution n’a pas encore été observée en France). On peut lire ces rapports de la DREES à ce lien, qui se remet à jour à chaque nouveau rapport.

Elle n’est peut-être pas représentative des soignants qui n’ont pas encore été vaccinés, mais elle donne quand même une bonne clef de compréhension et c’est pour cela qu’il faut inlassablement communiquer sur le sujet, car certains messages ne passent toujours pas. Il ne s’agit pas d’un consensus du corps médical, mais des faits : en France, ceux qui sont contaminés sont une dizaine de fois plus nombreux non-vaccinés que vaccinés.

Or, le vaccin n’est jamais efficace à 100%, pour des raisons diverses (de toute façon, rien n’existe à 100% d’efficacité). Cela signifie qu’il y a des personnes vulnérables vaccinées qui peuvent risquer de développer des formes graves voire de décéder en se faisant contaminer. C’est pour cela qu’il faut leur éviter toute source de contamination, et les personnes qui les soignent sont la première source extérieure (la deuxième, ce sont leurs visiteurs qui doivent se munir d’un passe sanitaire).

En comprenant qu’en refusant de se faire vacciner, ils peuvent mettre en danger la vie de ces personnes-là, qu’ils soignent, les soignants peuvent commencer à comprendre la nécessité de la vaccination pour eux-mêmes. Cette prise de conscience est ce qu’on appelle de la maturité. Certains mettent plus de temps que d’autres.

Comme il s’agit d’une action de santé publique, après plus de huit mois d’encouragement libre et volontaire (janvier à septembre), le gouvernement et les parlementaires ont décidé de forcer les derniers réticents parmi les soignants. C’est regrettable, car personne ne souhaite mettre en danger leur emploi, leur survie matérielle, celle de leur famille, d’autant plus que les hôpitaux sont en sous-effectifs. Mais un hôpital doit soigner, pas infecter. C’est une dernière extrémité, désolante mais nécessaire, pour amener certains "récalcitrants" qui n’ont que le mot "liberté" à la bouche, sans se rendre compte qu’il s’agit de la vie de dizaines de personnes qui est en jeu par leur seule décision, sans tenir compte qu’il n’y a pas de liberté qui vaille sans responsabilité, …pour les amener à plus de raison.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (15 septembre 2021)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Vaccination : des soignants face à leurs responsabilités.
Vers un passe vaccinal ?
Conférence de presse du Premier Ministre Jean Castex le 8 septembre 2021 (texte intégral).
Covid-19 : comprendre la situation épidémique en Israël.
Covid-19 : est-il pertinent de faire payer les tests de dépistage ?
Covid-19 : la France plus vaccinée que le Royaume-Uni.
Les derniers rapports de la DREES sur les appariements de bases de données (à télécharger).
Covid-19 : la France plus vaccinée qu’Israël.
La vaccination contre le covid-19, ça marche !
Rapport de la DREES du 6 août 2021 (à télécharger).
Covid-19 : les Engagés et les Enragés.
Le passe sanitaire validé par le Conseil Constitutionnel.
Décision n°2021-824 DC du 5 août 2021 du Conseil Constitutionnel sur la loi relative à la gestion de la crise sanitaire (texte intégral).
Couverture vaccinale : la France dépasse les États-Unis et l’Allemagne.
L’heureux engagement du Président Macron en faveur de la vaccination des jeunes.
Mathématiques alternatives (une vidéo à voir absolument).
La Science, la Recherche et le Doute.
Covid-19 : se faire vacciner, c’est résister !
Audition d’Olivier Véran au Sénat le 22 juillet 2021 sur le passe sanitaire (à télécharger).
Motion de rejet préalable sur le passe sanitaire le 25 juillet 2021.
Variant delta : la territorialisation des restrictions sanitaires.
Covid-19 : les bénéfices-risques de la vaccination des adolescents.
4e vague : passe sanitaire ou reconfinement ?
Les outrances désolantes des antivax, enfants gâtés de la planète.
Fête nationale : cinq ans plus tard…
Emmanuel Macron, la méthode forte.
Emmanuel Macron face à la 4e vague (2).
Emmanuel Macron face à la 4e vague (1).


 


Lire l'article complet, et les commentaires