Vive les représentants médicaux !
par Pharmafox
jeudi 21 juillet 2011
Régulièrement montrés du doigt, accusés de tous les maux de l’industrie pharmaceutique, les représentants médicaux sont sur la sellette. Cette réputation est pourtant injuste. Le système de santé doit être réformé, oui, mais ce n’est pas en s’acharnant sur un bouc émissaire.
Au fait, qu’est ce qu’un représentant pharmaceutique ? Le représentant pharmaceutique, c’est le commercial du laboratoire. Il va voir les médecins, leur présente ses produits et leur explique pourquoi ceux-ci sont meilleurs que ceux du concurrent. Dans un monde idéal, le représentant rencontrerait chaque médecin une fois par mois, et lui communiquerait une information objective.
Mais nous ne sommes pas dans un monde idéal. Le représentant est comme la plupart d’entre nous : un salarié. Au-dessus de lui, il y a une hiérarchie. Une hiérarchie qui impose des objectifs, qui menace, qui licencie. Parfois aussi qui récompense, mais sur l’année passée, neuf des dix plus grands laboratoires mondiaux ont licencié massivement dans leur force de vente (1). Le représentant est un salarié qui doit se soumettre à son patron, sous peine de se voir au chômage, et pour longtemps.
Le représentant doit vendre le produit. Il ne doit pas se poser de question quand à la véracité du discours qu’il débite au médecin. Fait symptomatique : On ne recrute plus les représentant parmi les diplômés en médecine, en pharmacie, en chimie ou en infirmerie. On recrute comme représentant des diplômés d’école de commerce. Ils ne connaissent pas leurs produits et on peut leur faire avaler toutes sorte de fables qu’ils ressortiront de bonne foi à leurs interlocuteurs. Mieux : leurs talents de vendeur, leur charisme, rendront ces mensonges plus vraisemblables que s’ils sont débités par un scientifique.
La faute aux médecins ? Non, certainement pas. Le médecin doit gérer ses patients qui sont sa priorité, et trouver malgré cela du temps pour recevoir les représentants médicaux. Certains représentants mènent un véritable siège : tout le temps que leur accorde le médecin est un temps pendant lequel ce dernier ne peux pas recevoir un représentant rival.
Mauvaises pratiques
Le harcèlement n’est pas la seule pratique condamnable. Ces dernières années, on a beaucoup parlé des cadeaux fait par le représentant au médecin qui acceptait de prescrire les produit du laboratoire. Cadeau fait par le représentant, mais qui, comme son nom l’indique, ne fait que représenter son entreprise, souvent l’instigatrice d’une politique systématisée de cadeaux et pots de vins. Il y a quelques années, le gouvernement allemand épinglait le génériqueur ratiopharm, pour une pratique finalement généralisée à toute l’industrie. En quelques mois, ratiopharm limoge les cadres supérieurs impliqués : le directeur financier Peter Brock, la directrice marketing Dagmar Siebert, et le président du conseil d’administration Claudio Albrecht sont remerciés (2).
Certes, certains représentants sont simplement ambitieux. Ils espèrent progresser dans la hiérarchie de l’entreprise et multiplient les entorses à l’éthique. C’est ainsi qu’ils vont empiéter sur le carnet de visite de leurs propres collègues, conseiller une utilisation fantaisiste des produits et prétendre à tort qu’ils sont meilleurs que les concurrents. Au printemps 2009, un représentant de Pfizer et son supérieur direct ont été condamnés individuellement pour marketing hors-indication (3).
Le contre-exemple existe : Debra Maul, représentant chez Ameritox, avait dénoncé les cadeaux fait par l’entreprise aux médecins (4). Scott McRae avait été licencié par GlaxoSmithKline pour avoir refusé des pratiques similaires (5).
Un lanceur d’alerte privilégié
En effet, le représentant pharmaceutique est souvent en première ligne pour dénoncer une politique frauduleuse. Sur 9 lanceurs d’alerte sur le scandale du Zyprexa (Eli Lilly), 8 sont des représentants médicaux (6).
Etre lanceur d’alerte comporte ses risques. Si le dossier n’est pas assez solide, l’entreprise a un double, voire un triple motif de licenciement (tentative d’atteinte à la réputation de l’entreprise, perte de confiance dans le salarié et, éventuellement, non-respect des procédures internes de lancement d’alerte). Son nom sera immanquablement publié dans la presse, et aucune entreprise du secteur ne voudra embaucher quelqu’un d’aussi « déloyal ». Quand bien même le nom resterait secret, il figurerait sur une liste noire, elle aussi secrète. C’est interdit, mais cela se pratique : me recruteur potentiel contacte l’ancien employeur, qui lui fait comprendre que l’employé n’est pas fiable, soit directement (ce qui est une infraction) soit en maniant adroitement les figures de style et le ton.
Jesse Polansky avait accusé Pfizer de pratiques illégales pour vendre le Lipitor. La plainte a été classée sans site. Polansky ne travaillera sans doute jamais plus comme représentant médical (7). D’autres s’en sortent mieux et n’hésitent pas à « récidiver » : James Wetta avait dénoncé les pratiques d’Eli Lilly sur le Zyprexa, puis celles d’AstraZeneca sur le Seroquel. De même pour Stefan Kruszewski, qui a révélé ce même scandale du Seroquel, mais aussi celui du Bextra (8). Citons enfin Peter Rost, cette fois un directeur général de filiales, qui a dénoncé les agissements de Pfizer, puis de Pharmacia (rachetée depuis par… Pfizer) (9).
Protégeons les représentants
C’est pourquoi, plutôt que de clouer les représentants au pilori, il faudrait réformer le système pour les protéger.
Ce que je propose :
- Imposer une formation qui assure qu’ils comprennent un minimum le produit qu’ils doivent vendre, idéalement une formation de pharmacien ;
- Imposer une formation plus courte spécifique à leur métier, avec une part significative consacrée à l’éthique ;
- Encadrer le nombre de représentants en fonction du nombre de produit de leur entreprise et du nombre de médecins (afin d’éviter des engorgements sur le marché de l’emploi) ;
- Mettre en place un système légal qui mette le lanceur d’alerte (quel que soit le secteur) à l’abri du besoin en cas de condamnation de son employeur, inspiré du modèle américain.
Je sais que ce dernier point est une utopie. Jamais nos politiques n’accepteraient de mettre en place quelque chose qui encourageraient leurs collaborateurs à dénoncer leurs propres malversations.
1. Nine of 10 Big Pharmas cut sales reps in 2010, Tracy Staton, Fierce Pharma, 8 Juillet 2011
2. Ratiopharm-Vertriebschefin entmachtet, Markus Grill, Stern.de, 31 Mai 2006
3. Pfizer’s Off-Label Bextra Team Was Called “The Highlanders”, Jim Edwards, BNET, 26 Juin 2009
4. Ameritox Settles $16M Lawsuit Over Allegations of Paying Kickbacks to Physicians, Jaimie Oh, Becker's ASC Review, 17 Novembre 2010
5. Drug Maker Sued for Unethical Conduct, A Drug Recall, 4 Novembre 2005
6. Lilly - Zyprexa : whistleblowers will get 18% and become millionaires, Insider, PharmaGossip, 15 Janvier 2009
7. Pfizer Wins Dismissal of Lipitor False-Claims Lawsuit, Patricia Hurtado, Bloomberg, 26 Mai 2009
8. Behind Two Big Drug Company Settlements : Professional Whistleblowers, Jim Edwards, BNET, 28 Avril 2010
9. Peter Rost (doctor), Wikipedia