La crise de l’Éducation (1/3) - Le mythe de l’Éducation nationale

par maltagliati
mardi 13 mars 2012

C’est un des principaux problèmes sociaux de notre époque. Mais il a un visage particulier : la crise de l’Éducation concerne directement pas loin de 800.000 enseignants, près de 15.000.000 d’élèves et étudiants et à travers eux l’ensemble de la population. Cette crise échappe aux conflits salariaux classiques qui touchent aux salaires ou aux conditions de travail. Les salaires des enseignants étant payés par l’État, la crise est sous l’impact direct d’une question chargée d’actualité, celle de la Dette d’État, le budget du ministère de l’Éducation nationale étant le deuxième poste du budget de l’État, directement après la charge de la Dette. Mais la crise de l’Éducation, c’est tout autre chose dans une Société où le fossé des générations n’a sans doute jamais été aussi béant et dans un État (la France) pour lequel politique culturelle et politique éducative ne sont pas de simples « domaines » de l’action de l’État, mais se présentent comme la raison même d’être de cet État.

1. Le mythe de l’Éducation nationale
 
La réalité de l’enfance s’est considérablement modifiée dans le cours du XIXème siècle, notamment par l’introduction de la vaccination. Auparavant, un enfant sur cinq seulement atteignait l’âge adulte, plus de la moitié d’entre eux disparaissaient en bas âge. C’est aussi le moment où le statut de l’enfant change considérablement. Jadis intégré à la vie courante, dans laquelle il suit son processus de formation en aidant ses parents puis en travaillant avec eux, il acquiert alors un statut à part, il est « scolarisé ». Ce qui jadis était réservé à une minorité devient le fait de la majorité d’entre eux. Ce processus se développe tout au long du XIXème siècle.
 
Parallèlement se développe la famille telle que nous la connaissons, qui, souvent présentée à l’origine du développement social en est surtout le produit. La Société a changé en un siècle ou deux et a complètement perdu l’aspect englobant qu’avait la communauté pour chacun dans sa constitution et son être. « Tout se passe comme si la famille moderne se substituait à la défaillance des anciennes relations sociales, pour permettre à l’homme d’échapper à une insoutenable solitude morale. » (Philippe Ariès)
 
École et famille sont ainsi devenues les deux piliers de l’éducation des jeunes. L’État allait bientôt en devenir le troisième partenaire.
 
L’école républicaine
« Le gouvernement républicain est le promoteur naturel de la liberté d’association professionnelle, le promoteur naturel de l’enseignement populaire, le surintendant de la prévoyance et le tuteur des malheureux qui n’en ont pas. » (Jules Ferry)
 
Il court en France une étrange légende concernant l’enseignement. Ce serait, dit-on, Jules Ferry qui dans les années 1880 aurait généralisé à toute la population l’enseignement primaire. Il n’en est rien. La scolarisation se développe dans les premières décennies du XIXème siècle et concerne plus de trois enfants sur quatre vers 1870. Jules Ferry, par la création de l’éducation nationale, a soustrait l’enseignement aux associations religieuses ou aux collectivités locales qui l’avaient pris en charge, pour le mettre sous la houlette de l’État. Mais les taux de scolarisation ne bougent guère. Environ 80% des enfants sont scolarisés avant les réformes de Jules Ferry, et le taux ne dépassera pas 85% jusque 1920. Pour forcer les derniers ruraux à envoyer leurs enfants à l’école, il faudra, entre les deux guerres, soit entre 1920 et 1930, que l’on lie le versement des allocations familiales à la scolarisation !
 
Plus que d’une extension de l’enseignement fondamental à toute la population, l’objectif républicain est bien, comme le dit Jules Ferry, de faire de l’État le promoteur de cet enseignement. Traduit en propagande laïque, cela donne : « libérer le peuple de l’emprise des curés ». Pour libérer l’enseignement ? Malheureusement non : pour le mettre sous l’emprise du gouvernement. On comprend que dans ce contexte l’enseignement du civisme tient une place prépondérante dans ce projet. On parle donc depuis Jules Ferry non d’enseignement national, mais d’éducation nationale, ce qui dénote bien le projet globalisant d’une formation des citoyens et place désormais l’école non dans une fonction complémentaire à la fonction parentale – aux parents, l’éducation ; à l’école l’enseignement – mais dans une relation de concurrence, avec l’objectif très clair d’ôter aux parents la responsabilité de cette éducation pour la revendiquer pour le maître ou la maîtresse, encadrés dans les Académies et sous le contrôle de l’Administration.
 
L’Éducation nationale a certes connu son ère de gloire avec l’avènement d’un personnage nouveau dans la Société française, l’ « instituteur » en charge de la communale et soutien des mairies républicaines (souvent radicales ou de gauche) contre les édiles traditionnels, le notaire et le curé ou en collaboration avec eux. Et il faut reconnaître que l’action des instituteurs de la Troisième république est une page importante de celle-ci, une action qui a contribué à faire accéder l’ensemble des enfants de classe populaire au fameux certificat d’études, et permis aux plus doués et plus travailleurs, l’accès aux études supérieures, brisant ainsi d’une certaine façon les limites de classes (sociales !).
 
Si l’on prend la question sous l’angle des libertés publiques, la question est beaucoup plus inquiétante par contre, car donner au gouvernement la charge de l’enseignement, c’est aussi lui donner la faculté de façonner le peuple à son image. Si on pose l’hypothèse, totalement absurde j’en conviens, d’un Pouvoir qui plutôt que de favoriser le développement du peuple chercherait à l’infantiliser, quel outil magique que cet enseignement « public », la maîtrise des programmes, de l’infrastructure et du personnel… !
 
Mais quelle attaque contre la Société que d’avoir accaparé pour l’État non seulement l’enseignement, mais jusqu’à l’éducation, qui était la fonction première des parents et de la famille, pour en faire une action publique et introduire ainsi une concurrence dont les effets sont aujourd’hui des plus pervers.
 
Reste en faveur de l’action gouvernementale le seul argument de l’égalité, l’accès universel à l’enseignement, égalité ou plutôt discours d’égalité dont j’ai analysé le danger par ailleurs. Cet argument de l’universalité devait dans le courant du XXème siècle gagner la pédagogie elle-même.
 
L’enseignement « rénové »
 
La situation de l’enseignement a changé complètement dans les années soixante. Le maître-mot est devenu faire table rase du passé. L’enseignement traditionnel, même républicain, a été dénoncé comme un embrigadement reposant en large part sur la brimade et l’étouffement de la masse des élèves au seul profit des plus doués, généralement reconnus par la seule capacité valorisée dans notre société, les forts en maths.
 
La réforme Haby (Loi du 11 juillet 1975) initie une série de réformes qui vont engager de plus en plus profondément l’enseignement français dans un processus de démocratisation compris non plus comme processus externe : la possibilité d’accès aux études mais comme une démocratisation interne du contenu des études mêmes. C’est donc ce contenu qui devra être modulé de façon à devenir accessible à tous ! Une manière très policée (politiquement correcte) de dire que le baccalauréat de notre époque ne représente pas grand-chose de plus que le certificat d’études de l’immédiat après-guerre. Lié sans aucun doute à l’excès de diplômés inutiles patent en 1968 et à une dévalorisation de la culture générale au profit d’un accès à des formations techniques, ce changement politique fondamental a pris pour prétexte l’adaptation de l’Éducation nationale à la pédagogie moderne.
 
L’éducation moderne a été conçue à partir du début du XXème siècle comme une importante réforme de la pédagogie, centrée non plus sur un programme à transmettre mais sur la dynamique interne des enfants, dynamique dont il faut faire le cœur même de l’enseignement de manière à favoriser chez l’élève non l’absorption d’un catalogue de savoirs mais l’éclosion et le développement d’une attitude, d’une méthode. Superbe emballage, qui nécessitait toutefois l’adoption de moyens considérables et le renoncement aux critères de sélection traditionnels pour des exigences plus grandes sans doute, puisqu’elles ne concernaient pas de simples « acquis » mais la démarche même d’apprendre qui doit, disait-on et dit-on encore, accompagner l’être humain pendant toute son existence.
 
Cette expérience « novatrice » avait de quoi mobiliser un nouveau corps enseignant, issu de la génération de 1968. Elle fut, ne mâchons pas nos mots, un fiasco total. Jamais l’on ne développa les moyens d’une telle réforme. Car donner à chacun les moyens de sa propre réalisation, c’est un tout autre programme que remettre tout le monde sur le même plan, indifférencié. Avait-on vraiment envie d’autre chose ? Il est certain que les critères d’évaluation et la discipline traditionnelle furent évacués aussi vite, mais au profit d’un nivellement par le bas. Ce qui fait que l’on s’est retrouvé très rapidement, d’une part dans une situation de vide, d’autre part en rupture totale avec les parents comprenant de moins en moins, de réforme en réforme, où on voulait emmener leurs enfants.
 
Dans la réalité administrative, le propos est très différent. On est bien passé d’une éducation élitiste, basée sur la brimade et l’endoctrinement, dont l’objectif était la sélection de l’homo hierarchicus, reposant sur un type mental donné (discipline, mérite, travail) à la formation générale d’une classe d’âge pouvant intégrer tous les types, l’essentiel étant que chacun se réalise à sa place. Tous les enfants doivent « réussir » à leur niveau, et pas seulement les plus doués. La République a aussi besoin de balayeurs (qu’on appellera désormais techniciens de surface).
 
Fin de l’ « utopie éducative »
 
L’utopie éducative a culminé dans les années trente sous le mot d’ordre de la « culture de masse » dont le chantre fut ensuite André Malraux. Elle est caractéristique de la philosophie des Lumières et porte sur sa bannière : « Ouvrir une école, c’est fermer une prison ». Selon elle, c’est l’éducation principalement qui nous débarrassera de toutes les dominations et des guerres. La France des Droits de l’Homme  a été longtemps investie de ce message de progrès, pris en charge au niveau international par l’Unesco depuis la dernière guerre. Mais alors que l’éducation progressait partout dans le monde, la guerre et le sous-développement n’en continuaient pas moins de ravager des continents entiers. L’utopie bat de l’aile…
 
En même temps une nouvelle utopie en a pris la place, l’utopie communicative, dont le propos n’est pas de transformer les humains – transformation que l’on dit sans effets – mais d’en adapter les comportements. De plus en plus, il s’avère que ce qui compte dans notre société, ce n’est pas l’être, mais le paraître. Alors que les enseignants, les éducateurs tenaient les premiers rôles au début du XXème siècle, ils ont quitté ce siècle par la petite porte et laissé la place aux hommes de médias qui en sortent triomphants.
 
MALTAGLIATI
 
A suivre….
2. De la société des pères à la société sans repères.
3. Quand l’enseignement ne va pas… rien ne va

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