Les marques et les tribus modernes

par alain fernandez
mardi 30 août 2005

Le besoin de mimétisme, "de faire partie de...", l’envie de pouvoir dire "j’en suis" ou "je l’ai fait" (I made it) sont-elles les nouvelles tendances comportementales ?

En tout cas, il est sûr qu’elles trouvent aujourd’hui une chambre d’écho au sein même des pratiques du marketing dites innovantes (buzz, viral, tribal...). On peut d’ailleurs se demander si ce n’est pas le bizz mercantile qui pilote bon nombre de ces comportements dits d’appartenance, choisis en "toute liberté".

Les bizuts...
Depuis quelques années, le samedi après-midi, dès que le printemps pointe le bout de son nez, Paris est envahi de jeunes en vadrouille qui "enterrent leur vie de garçon ou de jeune fille". Il s’agit en effet de marquer durablement ce dernier moment de "liberté" (dixit) avant de franchir le grand pas. Au-delà du regrettable retour au conformisme et à la tradition, ce phénomène de mode n’est pas sans rappeler l’éphémère tradition du bizutage qui occupait l’opinion il y a une quinzaine d’années. Le moindre IUT de banlieue pratiquait ainsi cette prétendue tradition des grandes écoles avec les moyens à sa portée. L’originalité n’était pas vraiment la principale caractéristique. Les "anciens" couvraient systématiquement de farine et de sacs poubelle les malheureux nouveaux arrivés, contraints de faire la manche ainsi accoutrés.
"Pourquoi tu te ridiculises ainsi ?"
"C’est la seule façon de me faire intégrer."
"Si déjà tu rampes, tu ne finiras pas bien haut..."



Ce soir j’enterre mon célibat...

Avec les futur(e)s marié(e)s, c’est un peu la même chose. La majorité des élus portent pratiquement tous le même déguisement et adoptent un comportement similaire. La future "casée", dotée des oreilles et d’une queue de lapin comme une Bunny’s girl du play-boy des années 60, marche devant, rigole, aborde les passants. C’est en effet son grand jour. Les copines suivent à 5 mètres et pouffent, l’air de dire "elle est folle, on ne la connaît pas, on est pas avec elle, poufffff".

Un phénomène international...
Mais le plus surprenant, sur le plan sociologique en tout cas, c’est l’internationalisation de ce comportement débilitant que l’on retrouve dans la majorité des villes d’importance. Ainsi, lorsque j’étais basé à Vancouver, les filles, le samedi soir, agissaient de même. Cela dit,
elles ne se contentaient pas de porter des oreilles et une queue de Bunny ou encore d’être déguisées en gros lion avant de se risquer à l’entrée d’un spectacle de strip au rabais.
Oh que non !
Un soir au "Yale", une boîte de Rythm and Blues en live où j’avais mes habitudes,
une fille, pas plus de 20 ans, belle comme un cœur, blonde comme les blés et soûle comme une cochonne, vêtue d’un grand tee-shirt entièrement recouvert de bonbons, arborait, telle une bête de concours, une pancarte autour du cou avec la seule indication « SUCK ME » écrite en lettres majuscules. Le public de ce bar, fréquenté assidûment par de vieux rockers sur le retour et des bikers ventrus et barbus, n’en demandait pas tant ! Il leur fallut bien peu de temps pour la dévorer.
Très souvent, d’ailleurs, les jeunes filles ne laissaient que peu de place à la suggestion, et portaient en lettres claires et nettes la mention sans détour : "I SUCK FOR A BUCK"
Tout un programme !

...et une manne pour les marques...
Mais là encore, le slogan, parfaite réussite de la conjonction de la bêtise et de la vulgarité, n’est même pas une marque d’originalité. J’ai constaté depuis qu’il est couramment porté par les "futures" dans le monde anglo-saxon....
Cette originalité fictive n’est en fait qu’un signe supplémentaire de la quête d’un conformisme, du besoin de respecter les règles tacitement établies par une classe de population, pour "appartenir, faire partie de quelque chose".
Besoin de repères, disent certains. Pourquoi pas. C’est en tout cas une véritable manne pour les marques...

Mieux comprendre les tribus modernes...
A lire, l’ouvrage de référence du spécialiste des comportements tribaux modernes :

Michel Maffesoli : Le temps des tribus

Éditeur : Table ronde (25 octobre 2000)
Collection : La petite vermillon
Format : Poche - 330 pages 3e éd édition
ISBN : 2710309947

A plus tard ....


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