90 – 110 ans : Des arrières plans aux premiers plans, le réveil de nos aïeules grands-mères

par Eric Donfu
samedi 6 mars 2010

Regardez cette image tirée d’un documentaire : Georgette, 102 ans, avalant un steak frittes avec un verre de rosé, en terrasse, avec Julien, son arrière arrière petit fils de 2 ans… Un siècle qui semble plus les rapprocher que les séparer. Au milieu de l’indifférence des autres convives qui ne remarquent pas le grand âge de Georgette, c’est une belle victoire contre le temps, le triomphe de la vie qui s’exprime. Rappelons en effet que plus d’un tiers des centenaires sortent régulièrement de chez eux, et que, généralement, ils ou elles, ont un regard très positif sur la vie et sur cette chance qui leur est offerte.

Georgette, 102 ans déjeune avec Julien, 2 ans.

Même s’il s’agit de « jeunes centenaires » (80% ont moins de 105 ans, et 30% le sont depuis moins d’un an), les faits sont là : Les centenaires arrivent au premier plan. Combien de grands-mères centenaires seront donc fêtées dans des familles de souvent cinq générations, ce dimanche ? Des milliers, et, parmi elles, ma propre grand-mère, Paule, qui a eu 99 ans le 10 novembre dernier. Je sais la fierté que représente pour nous le fait de la voir s’élever ainsi, toujours en riant, dans les sommets de l’âge, autonome, et chez elle. Nous nous souvenons d’elle comme une grand-mère toujours présente depuis notre enfance, et nous prenons déjà cette longévité en bonne santé comme un cadeau sans prix. Ce sont bien elles, les grands-mères de référence dans le cœur des familles.

La génération née entre 1900 et 1920 : Les grandes pionnières.

En effet, c’est bien cette génération, née entre 1900 et 1920, qui a été la première génération des « nouvelles grands-mères » à la fin des années 70. Rappelez-vous la Boum, film sorti en 1980. Qui ne se souvient pas de Denise Grey, « Poupette » dans sa R5, complice de sa petite fille adolescente, Sophie Marceau ? Ce sont bien elles, ces femmes sacrifiées par un vingtième siècle de guerres, qui ont été les premières à voter, en 1948. Ce sont elles qui ont été les mères du baby boom, et qui, en 1965, ont obtenu le droit de travailler sans l’autorisation de leur mari. Ces « grandes pionnières » ont aussi été la première génération d’enfants vaccinés, bien nourris, à bénéficier du système de soins inventé après guerre. Naturellement, cette génération s’est retrouvée à l’âge de la grande maternité dans les années 60 avec un capital génétique beaucoup plus important que leurs propres parents, qui étaient « vieux » à 60 ans. Hier, la grand-mère était soit une icône, lointaine et fatiguée, soit un substitut parental, qui élevait directement les enfants. C’est bien cette génération qui a inventé la nouvelle figure des grands-mères.

Aujourd’hui, il n’est pas facile pour leurs filles de devenir la « grand-mère » de référence

A l’heure ou se sont leurs propres filles, qui ont vécu leur jeunesse dans les années 60 et sont allées plus loin qu’elles dans l’innovation, remettant en question la fonction maternelle pour certaines, s’assumant seules pour d’autres, mais plaçant l’enfant au cœur de la famille, en lieu et place du couple. Ces « nouvelles grands-mères » étonnent par leur jeunesse et leur modernité, et annonce de nouveaux bouleversements dans les rapports entre les générations. Tout en gardant leur indépendance, elles n’hésitent pas à s’investir dans leur rôle de grand-mère. Elles veulent rattraper le temps qu’elles n’ont pas pu passer avec leurs propres enfants, confrontées à leur carrière professionnelles, mais elles peuvent aussi jouer un rôle avec leurs petits enfants, parce que leurs mères ont déjà ouvert la voie, et que, aujourd’hui, grand-mère et moderne ne sont plus contradictoires. Il leur reste à imposer leur place de « grand-mère », déjà et souvent toujours occupées par leurs mères…

Nos aïeules ont renouvelé le rôle et les styles de la grand-mère

L’image traditionnelle de la grand-mère remonte au moyen âge, avec les contes de la mère l’Oye, se retrouve aussi dans la comtesse de Ségur ou dans Georges Sand, merveilleuse grand-mère. Ces valeurs de la grand-maternité rassurante ne disparaissent pas et sont inscrite dans l’imaginaire. Mais ce sont bien elles, nos aïeules de 90 ans et plus, qui ont déstructuré l’image traditionnelle de la vielle dame en noir avec son chignon tricotant au coin du feu avec son chat sur ses genoux. Elles ont été les premières grands-mères présentes dès la naissance et gardant les enfants, et en restant proches de leurs filles. Ce sont elles qui, pour renouveler le rôle, ont refusé de se faire appeler grand-mère ou mamie et se sont lancées dans des petits noms, souvent inventés par le premier petit enfant. Ce sont elles qui, les premières sont entrée dans la culture de leurs petits enfants, faisant du sport, partageant leurs passions, et les soutenant moralement et matériellement. Enfin, ce sont bien elles qui, se rappelant des cours de cuisine appris dans leur jeunesse, ont retrouvé les vertus de la « grand-mère gâteau », toujours appréciée par des petits enfants avec la fringale !

Ce sont les premières a avoir noué des relations de complicité avec leurs petits-enfants

Pour faciliter la vie professionnelle des jeunes mères, elles ont gardés leurs petits enfants. En nouant des relations de complicité avec elles et d’eux, même à l’adolescence, elles sont devenue les premières grands-mères à s’inscrire dans le cœur des enfants devenus adultes, non pas à la marge, mais au centre de la famille. Le récit de Anna Cavalda, « Ensemble, c’est tout » met par exemple en scène un petit fils qui fait tout pour que sa grand-mère puisse retourner chez elle. Et nous observons de plus en plus de jeunes adultes qui souhaitent héberger leur grand-mère. C’est une mauvaise idée, qui va à l’encontre de l’autonomie acquise des générations et risque de se finir par un placement de l’aïeule, mais cet élan du cœur vers nos « vieilles mamies » est révélateur de l’importance qu’elles occupent dans les familles.

Même dépendantes, elles sont soutenues par leur famille.

45% des personnes âgées de plus de 65 ans présente des « déficiences motrices », contre 16% des Français, en moyenne. Plus grave, 900 000 personnes souffrent de la maladie d’Alzheimer, qui les isole du monde. Même s’il s’agit d’une minorité, il est donc aussi vrai, comme dans le roman « Ensemble c’est tout », qu’une grand-mère peut devenir dépendante, et donc une charge, aussi pour sa famille. Souvent, c’est une de leurs filles, de la « génération pivot » qui va alors devenir la personne « référente » et consacrer du temps à soutenir sa mère alors qu’elle doit aussi soutenir ses enfants. Parce que les générations suivantes ont fait beaucoup moins d’enfants. Demain, ces personnes âgées dépendantes, plus nombreuse, bénéficieront moins de soutiens familiaux. Il est donc important de ne pas isoler les personnes très âgées de la société. Comprendre qu’elles sont au cœur de la famille peut aider à mobiliser les moyens qui, seront inéluctablement exigés de la solidarité nationale.

Des « passeurs de vie » extraordinaires

Mais pouvoir ainsi échanger avec un membre de sa famille qui a gardé tous les souvenirs du passé, et dont la simple présence évoque tant de profondeur, permet aussi de regarder l’avenir. Ce n’est pas par hasard que l’on parle de « passeurs de vie » au sujet du quatrième et même du cinquième âge. Alors oui, il existe bien dans les familles des grands-mères qui ne sont pas « modernes », qui ne surfent pas sur Internet, continuent à faire des mots croisés et des petits plats, ou restent dans un fauteuil devant la télévision, mais, à 90 ans comme à 105 ans, elles sont des championnes de la vie. Face aux défis de l’allongement de la vie, elles inaugurent une société de l’intergénération qu’il nous reste à construire. Ne les oublions pas dimanche 7 mars, ne les oublions jamais.


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