A mort le facteur Cheval !
par Railletonne
mercredi 4 janvier 2012
Une petite histoire sans prétention mais qui amène des réflexions profondes sur l’évolution de notre société … et de la juste limite entre la préservation des libertés individuelles et la réduction des libertés de l’individu.
Mes parents ont acquis il y a un peu plus d’une dizaine d’années une maison ancienne sur un terrain d’une petite commune en bord de mer en Bretagne. En dix ans, les deux terrains qui bordaient la maison de part et d’autre ont été acquis par des promoteurs de la région qui y ont bâti de grandes résidences modernes, soit disant dans le respect du style local. Je passe rapidement sur le fait que profitant de leurs probables accointances avec la mairie, et du rapport de force dont ils bénéficient, ils ont pris certaines libertés au mépris des droits de la construction (distances et hauteurs non respectées). Mes parents n’ont évidemment pas les moyens de se lancer dans un procès long et coûteux … la loi du plus fort (et du plus riche) est toujours la meilleure.
Récemment, mes parents ont souhaité installé dans leur jardin, entre quelques sapins, un petit abri sommaire qui servirait de cabane pour leurs petites filles, leur permettant de jouer, comme tout enfant en a toujours rêvé, aux grandes personnes et d’avoir un lieu qui leur permettrait, les jours de pluie (ça arrive même en Bretagne !), de s’amuser en se créant leur petit univers imaginaire.
Nous avons appris à cette occasion qu’il fallait déposer un dossier à la mairie pour obtenir une autorisation. Le dossier comprend une dizaine de pièces justificatives, plans côtés, en coupe, en long, en large et en travers, photos et autres preuves permettant d’apprécier l’insertion du projet dans son environnement … tout cela pour une cabane en bois !! Je n’ose pas imaginer recevoir une réponse négative car le projet déposé dans les formes à la mairie semble avoir été accueilli favorablement.
Cependant, au-delà de l’énergie inutile dépensée (je suppose que des employés sont payés pour étudier, apprécier et valider le dossier) en regard de la futilité du projet (une cabane en bois pour enfants … ), au-delà de l’absurdité de la démarche alors que d’autre part, des promoteurs peuvent faire (pratiquement) tout ce qu’ils veulent, ne sommes-nous pas allés un peu loin dans la soi-disant préservation des libertés individuelles au nom de la démocratie ? Ne sommes-nous pas en train de concevoir au contraire un système tellement lourd, procédurier, « soviétique » et bientôt kafkaïen, qu’il ne profitera finalement qu’aux seuls puissants et riches qui auront les moyens (toujours sous des objectifs de rentabilité) de passer une à une les barrières administratives.
Certes, je comprends le bien fondé de ces « protections » mises en place pour éviter les dérives ou autres indélicatesses, comportements antisociaux, voire malfaisants, mais n’est-il pas légitime de se demander quelles en sont les limites ? Je comprends l’idée d’encadrer les dérives mais n’est-ce pas un aveu d’échec ? N’y a-t-il pas un juste équilibre à trouver entre « encadrement » et « répression » ? Comme si les lois ne devaient être conçues que pour les 5% de la société qui cherchent à les bafouer. Ne vaut-il pas mieux préserver un espace de liberté le plus large possible pour 95% de la société et au contraire sanctionner plus lourdement les écarts ? J’imagine volontiers que cette déclaration que certains ne manqueront pas de taxer de réactionnaire (comme si c’était un mot grossier), en effrayera plus d’un, mais qui n’a pas la nostalgie de l’époque où on pouvait construire sa cabane au fond du jardin, et peut-être même en faire une chanson, sans avoir à se justifier ?
Et je pense avec une certaine ironie à notre bon facteur Cheval, qui, comme un enfant a créé chez lui, l’espace de son imaginaire. Je l’imagine se rendant à la mairie de Hauterives pour défendre un projet sans plan ni autre idée que celle de se laisser porté par sa créativité.
Et je dis : « A mort le facteur Cheval et tous ces extrémistes de la marginalité et de l’originalité ! A mort tous ceux qui se croient chez eux alors qu’ils sont chez eux ! Vive la démocratie, vive l’altération des libertés des faibles et longue vie à ceux qui ont les moyens ou les appuis nécessaires (souvent les deux) pour continuer à avancer dans cette société ou chaque pas nécessite une telle énergie que l’effort n’est justifié que par le profit et la rentabilité ! »
Certains penseront que je vais trop loin ou que j’exagère ... je ne pense pas, je ne fais que grossir le trait. Quant on voir le chemin parcouru en cent ans, ne peut-on craindre le pire pour l’avenir ? Et si j’exagère (à peine ?), n’est-ce pas pour annoncer ce qui nous attend ?
Anecdote sans importance ? Peut-être que ce n’est effectivement pas la mort du petit cheval, mais au moins un signe annonciateur …