A propos du nouveau plan Banlieues : s’attaquer aux causes et non aux symptômes

par Jean-Loup Msika
vendredi 1er février 2008

Les quartiers de « Grands ensembles » sont des cités dortoirs à faible densité (1,3 contre 4,5 dans Paris intra muros). Ils sont privés de la mixité fonctionnelle et sociale qui fait la richesse de la ville traditionnelle. Car la ville traditionnelle intègre les populations diverses et favorise les dynamiques culturelles et économiques. Ces quartiers peu denses sont aussi privés de toute structure urbaine, rues, places vivantes et animées... au bénéfice d’un « espace vert » surdimensionné, en général inquiétant et mal tenu, dans lequel sont implantées tours et barres de logements. Il résulte de cette déstructuration et de ce défaut de diversité, qui sont la CAUSE, un cortège de problèmes qui sont les SYMPTOMES, tels qu’un sentiment d’isolement et d’enclavement, l’échec scolaire, le chômage des jeunes, l’exclusion, l’ennui, le désespoir, la colère, la délinquance, le vandalisme, la violence, la dérive vers les trafics et abus de toutes sortes, le refuge vers l’intégrisme fanatique, les émeutes à répétition, et de plus en plus graves, etc. Les problèmes des quartiers sont inscrits dans leur forme urbaine. Or, depuis trente ans, on cherche, en vain, à corriger les SYMPTOMES sans s’attaquer à la CAUSE, la forme urbaine clairement inappropriée de ces cités dortoirs enclavées dans leur « espace vert ».

Il est tout à fait possible de s’attaquer à la CAUSE des déséquilibres et de restructurer ces quartiers en les densifiant et en leur apportant la diversité.

Cela peut se faire, en démarche participative ouverte à tous les acteurs, habitants au premier chef, en étudiant un nouveau découpage parcellaire pour ce foncier déjà amorti, mais sous employé, foncier précieux car en général très proche de tous les beaux centres urbains anciens, tels que Paris, Lyon, Marseille, Strasbourg, etc.

Ce découpage parcellaire peut recevoir un bâti complémentaire aux tours et barres, avec diversité fonctionnelle et sociale.

En densifiant, restructurant et diversifiant ainsi les quartiers (et d’abord un premier quartier pilote) on peut réinsérer les immeubles de logements sociaux dans un contexte urbain viable : il ne sera alors plus nécessaire de les démolir.

Car, actuellement, si l’on démolit 10 logements en tours et barres pour reconstruire, dans le meilleur des cas, 7 logements en « plots » ou en pavillons, si donc l’on dédensifie, sans introduire de diversité fonctionnelle ni sociale, ni de structure et d’animation proprement urbaines, la CAUSE des problèmes des cités dortoirs reste entière.

L’essentiel du développement urbain actuel consiste en pavillons individuels ou petits collectifs en « zones résidentielles » d’une part, et en immobilier d’entreprises, bureaux, etc. dans les « zones d’activités » et autres « pôles tertiaires ».

On persiste donc, quels ques soient les discours, sur la nécessité de remédier :

- à la fracture sociale, pour éviter si possible la dérive des quartiers en zones de « non-droit » ;
- et à la pollution atmosphérique, pour respecter en principe les engagements relatifs au protocole de Kyoto, etc. ;

à séparer radicalement les fonctions urbaines, en renonçant à créer des quartiers vivants et intenses, tout en sachant que la fracture sociale, avec les « pauvres » d’un côté et les « riches » de l’autre, subsistera et que la dépendance à la voiture particulière s’accentuera, avec conséquences néfastes pour l’environnement (émissions massives de CO2 contribuant à l’effet de serre et au réchauffement climatique).

Il ne se crée pas de tissu urbain mixte, du type « ville traditionnelle » qui mêlait intimement couches sociales et fonctions diverses dans un même quartier, le tout à l’échelle du piéton.

Cela serait pourtant tout à fait possible et souhaitable, pour l’intégration sociale et le recul du « tout automobile ».

(Nous donnons, en annexe, à titre d’exemple, des esquisses « avant » et « après », pour une restructuration/densification du « grand ensemble » situé en face de l’Hôtel de Ville de Bondy, 93, projet qui propose de s’attaquer à la CAUSE des déséquilibres en introduisant la diversité qui fait défaut.)

Au lieu de s’attaquer à la CAUSE, on s’obstine à tenter de traiter les SYMPTOMES isolément, et le nouveau « plan Banlieues » de Mme Amara n’échappe pas à ce travers.

1/ SYMPTOME « ENCLAVEMENT »

Peut on désenclaver un quartier en ajoutant simplement quelques dessertes par tramway, bus ou taxis collectifs, comme le propose ce plan ?

Economiquement et techniquement, peut-on desservir un quartier peu dense comme s’il s’agissait d’un quartier dense et divers, avec la même fréquence ?

Peut-on faire fi de la réalité et imposer artificiellement un rythme de desserte par transports en commun ne correspondant pas aux caractéristiques démographiques et fonctionnelles ?

Les chauffeurs de bus et de taxis vont-ils oser pratiquer ces quartiers si la délinquance et la violence dues aux déséquilibres profonds des cités dortoirs (la CAUSE) persistent, au risque de se voir insulter, agresser, dévaliser, ou de voir leurs véhicules flamber ?

Un véritable désenclavement ne consisterait-il pas plutôt à introduire la diversité, l’animation urbaine, en densifiant et en restructurant un maillage de voies, rues et places vivantes, en somme à faire enfin la Ville sur la banlieue ?

2/ SYMPTOME « CHOMAGE DES JEUNES »

Le nouveau plan Banlieues promet la création de milliers d’emplois pour améliorer la situation dans les quartiers.

Le gouvernement de M. Jospin, avec Mme Aubry, avait attendu d’un recul du chômage une solution pour les banlieues.

En fait, un recul du chômage a bien eu lieu dans les années 90, mais loin de résoudre les problèmes, il a entraîné une aggravation de la situation : en effet, ceux qui trouvaient de l’emploi quittaient les quartiers dès qu’ils en avaient les moyens, car ces quartiers étaient restés isolés, enclavés, mornes, inquiétants, dangereux, insupportables...

La ségrégation sociale a donc été encore aggravée par cette « reprise » relative de l’emploi qui a éloigné des quartiers leurs meilleurs éléments.

3/ SYMPTOME « EXCLUSION »

La secrétaire d’Etat à la Ville exhorte les donneurs d’emploi à choisir la « diversité ».

Pourtant, les exhortations seules seront inopérantes tant que la mixité urbaine fera défaut, car elle seule permet aux gens de se rencontrer, de se connaître, de construire ensemble une culture, une économie où chacun trouve sa place, comme dans tous les centres urbains mixtes qui intègrent toutes les populations.

Pour obtenir la diversité dans l’emploi et dans l’intégration sociale, ne faut-il pas rechercher la diversité dans le tissu urbain, transformer les cités dortoirs en « morceaux de ville » véritables ?

POURQUOI NE S’EST-ON ATTAQUE JUSQU’A MAINTENANT QU’AUX SYMPTOMES ?

Il n’y a pas eu de véritable désir d’intégrer les populations d’origine africaine dans la nation.

De même qu’on avait maintenu les harkis dans des camps, à l’écart, on a cherché à conserver les cités dortoirs, en y procédant à des interventions minimales, saupoudrage de mesurettes, afin que les habitants « s’y tiennent tranquilles ».

Comme on ne désirait pas trop discuter avec ces populations, on ne voulait pas se lancer dans des démarches participatives d’évolution urbaine puissante qui leur aurait donné la parole.

Lorsque les tours et barres sont démolies, et leurs populations déplacées, il n’y a plus à discuter avec elles... et c’est la démarche qui est malheureusement trop pratiquée actuellement.

On s’est facilement résigné à conserver des quartiers d’exclusion, en les enjolivant un peu pour se donner bonne conscience (les « plots » n’est-ce pas plus joli que les barres ?...) et pour maintenir les populations dans des situations d’exclusion de fait.

Mme Amara, par contre, affirme avoir le désir sincère de favoriser l’intégration des populations.

Il faudrait donc qu’elle s’attaque aux CAUSES et non aux SYMPTOMES.

Cela ne nécessite pas des sommes astronomiques dont le gouvernement ne dispose de toute manière pas.

Car, l’atout du foncier déjà amorti mais sous employé peut permettre de faire financer la création de la ville sur la banlieue par une multiplicité d’investisseurs de toutes tailles, qui profiteront de l’assiette foncière réduite et y trouveront leur compte.

Ils construiront par exemple à Bondy ou au Blanc-Mesnil, à 10 minutes de Paris, sur du terrain qui coûtera 25% (en fait le simple coût des V.R.D.) de ce qu’il coûterait en Seine-et-Marne, à une heure de Paris.

De même, autour de Lyon, Marseille, Strasbourg, etc.

Ce faisant, ils contribueront à édifier des rues, des places, avec maisons de ville, commerces, ateliers, bureaux, etc.

La présence d’un projet d’ensemble (voir à titre d’exemple les esquisses préliminaires jointes en annexe, pour le Blanc-Mesnil), avec évolution puissante vers la diversité et l’animation urbaine, rendra une première opération pilote, reproductible ensuite, crédible et attrayante pour des quartiers qui ne demandent qu’à évoluer favorablement, sans démolitions massives, en combinant le bâti existant avec un bâti neuf complémentaire.

La desserte par les transports en commun et les progrès de l’éducation, de l’emploi et de l’intégration sociale se feront alors naturellement.

Une fois la CAUSE des déséquilibres supprimée par une restructuration et une densification introduisant la diversité, les SYMPTOMES fâcheux se résorberont d’eux-mêmes.

Alors que l’étalement des banlieues rend tributaire de la voiture particulière, la ville dense, diverse et structurée est à l’échelle du piéton.

Le recul du « tout automobile » permettra donc en plus de lutter contre la pollution et le réchauffement climatique.

La banlieue deviendra effectivement de la ville : que souhaiter d’autre ?

Une première opération pilote va prouver que cela est possible.

Mme Amara serait alors, après tous ces ministres de la Ville, la première à avoir rendu un espoir et apporté une vraie solution.

Annexe :

- Esquisse préliminaire pour une restructuration du quartier « grand ensemble » situé dans la proximité immédiate de l’Hôtel de Ville de Bondy, 93, avec vue en axonométrie, « avant » et « après ».

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