A quelle laïcité se vouer ?
par Orélien Péréol
mardi 5 mai 2015
Le PS serait dans l’embarras pour traiter de laïcité. Plusieurs acceptions ont l’air de circuler, incompatibles.
Depuis les tueries de Charlie et de l’Hyper Cacher, la laïcité a paru la notion-clé du problème (elle est attaquée) et de la solution (il faut la renforcer). La manifestation du 11 janvier, très suivie, mais aussi très haïe en silence par une minorité non négligeable, a fait de ce mot un emblème. Avec quel contenu ? On ne sait pas bien.
Le 5 février dernier, François Hollande a dit que la laïcité n'était pas négociable. Il faudra bien négocier parce que l’on ne sait plus de quoi l’on parle. Au PS et pas seulement au PS.
La loi contre les signes religieux à l'école (mars 2004) a inversé le sens de la laïcité et a brouillé les cartes. La laïcité de l’État était une obligation de l’État de garantir la liberté du citoyen. Elle est devenue un principe qui permet de commander les citoyens. Inversion du « champ de compétence » qui passe de l’Etat aux citoyens, inversion du sens des droits et des devoirs.
De par sa laïcité, l'État guide son action de façon plus ou moins rationnelle, ne faisant appel à aucune transcendance. Aucune religion n'est au-dessus de l'État. L'autre versant de la laïcité est que l'État s'oblige à organiser les relations des religions avec lui, et entre elles si besoin. La loi sur les signes religieux à l'école de 2004 n'est pas une extension de la laïcité aux individus, elle est un contresens. Avec cette loi et au nom de la laïcité, l'État édicte un commandement vers les citoyens. Ce commandement peut s’écrire ainsi : la religion est une affaire individuelle que tu dois cacher aux autres (sauf à tes coreligionnaires). Tu dissimuleras ta religion dans l'espace public, et y laisseras entendre que tu es athée.
Que la religion soit une option privée et que l'espace public doive en être « libéré », cette idée grandit et peu à peu s'installe comme ayant été de tout temps le fondement de la laïcité. L'origine, pourtant bien datée, de cette interprétation s'évapore peu à peu.
En édictant ce commandement « laïque » portant obligation d'un certain comportement aux « citoyens » (sont-ils toujours citoyens ?), l'État constitue cette nouvelle laïcité en religion. En constituant la laïcité en religion, l'État, elle la met en équivalence (en parallèle) avec les religions, et en concurrence.
Jean-Louis Bianco, président de l'observatoire de la laïcité, dit que « c'est aux religions de s'adapter à la laïcité, pas l'inverse ». Injonction qui dit involontairement l'équivalence et la concurrence.
Dans cette concurrence, la laïcité-religion d’Etat se sent impérative (la loi est la loi) alors qu’elle est structurellement perdante, à moins de créer un culte, avec cérémonies, paroles sacrées... de déclarer comme culte les 14 juillet, 8 mai, fête de la musique...etc. et d’obtenir l’adhésion des citoyens. C'est impossible.
Il en est résulté une confusion sémantique, qui n’est pas loin d’atteindre l’anomie (parler de laïcité va devenir impraticable), une augmentation de l’intensité des « débatteurs » et des pommes de discorde.
De nouvelles batailles sont apparues ici ou là : la crèche Baby-Loup, la burqa avec une nouvelle loi, les crèches municipales, une jupe trop longue à Charleville-Mézières, une affaire est apparue, le 4 mai 2015, à Ploërmel, en Bretagne à propos d’une statue de Jean-Paul II. Ce n’est pas fini.
On commence à voir, ici ou là, un renversement du rapport de forces entre l'État et les religions ; les religions commencent à exiger certaines décisions de l’Etat (procès contre Gleeden, qui valoriserait l’infidélité sexuelle dans le mariage, fidélité qui fait partie des engagements réciproques entre époux prévus par la loi).
Le Front national s’est emparé de cette laïcité inversée, non pas par une OPA, mais sans rien faire. Ce qui complique considérablement les choses. La loi sur les signes religieux à l’école a démarré avec trois (3) jeunes filles musulmanes (trois, ce n’est pas beaucoup, tout de même !) qui ont voulu cacher leurs cheveux en classe pour raison religieuse. Cette loi s’appelle fréquemment loi sur le voile islamique, voire contre le voile islamique. Le FN n’a rien eu à faire pour défendre cette anti-laïcité qui s’appelle toujours laïcité. Ce n’est pas l’extrême droite qui a changé, c’est le choix social et politique de l’Etat et de la société.
Les confusions liées aux deux laïcités vont réapparaître à partir du 11 mai : une proposition de loi des radicaux de gauche arrive à l’Assemblée qui veut encore étendre cette conception inversée de la laïcité aux établissements subventionnés par l’Etat (crèches, centres de vacances…etc.). Le PS ne veut pas voir s’ouvrir un nouveau front sur la question. Ce mot front signifie bien que la laïcité-arbitrage a fait place à une laïcité d’opposition aux religions (une surtout, sans le dire, tout en le disant). La solidarité des religions dans leur contre-opposition doit en surprendre plus d’un, alors qu’elle est contenue dans la loi qui initie cette inversion de la laïcité. Nous pouvons encore rebrousser chemin et revenir au vivre-ensemble que permet la laïcité, en la remettant à sa place : attribut exclusif de l’Etat, arbitrage et non intervention.