Affaire Coatalem « La part du fils ». Lettre ouverte au Président de la République Française

par Pascale Mottura
samedi 2 novembre 2019

Ce texte est une riposte à la réponse masquée, sous la plume de Jérome Garcin, à mon article « La part du fils pour les nuls », lequel Garcin écrit  : « l’écrivain impose à l’Histoire la loi de la littérature ».

Où j’interroge le Président de la République sur les outils législatifs dont dispose l’Etat pour sanctionner une publication préjudiciable au devoir de mémoire et de vérité.

Monsieur le Président de la République,

Le livre La part du fils de Jean-Luc Coatalem, paru chez Stock, figure dans les sélections finales des prix Goncourt et Renaudot 2019, dont les résultats seront annoncés lundi 4 novembre. Par ailleurs, il est en lice pour le Goncourt et le Renaudot des lycéens.

Le grand-père de Jean-Luc Coatalem, mort en déportation en 1944, y est décrit comme un Résistant valeureux, « terroriste », traité comme tel par la Gestapo, ce qui est loin d’être la vérité, cet homme n’ayant même pas eu droit au titre de déporté Résistant.

Je conteste ce livre à la forme insidieuse et au fond mystificateur dénaturant la juste histoire de la Résistance. Portée par mon devoir de mémoire, je me suis exprimée à ce propos dans deux articles successifs :

« La Résistance à l’oubli », publié le 28 septembre dernier par la revue l’Inactuelle :

https://linactuelle.fr/index.php/2019/09/28/resistance-oubli-pascale-mottura/

« La part du fils pour les nuls », publié le 27 octobre par Agoravox, écrit rapidement suite à l’émission La Grande Librairie du 23 octobre, cette fois en guise d’explication de texte :

https://www.agoravox.fr/actualites/medias/article/la-part-du-fils-pour-les-nuls-218855

Sur ces entrefaites, je me suis manifestée auprès des jurys du Goncourt et du Renaudot, lesquels n’ont pas encore daigné me répondre. Les membres de ces jurys ne pourront pas dire « je ne savais pas ».

Suite à la parution de l’article La part du fils pour les nuls (lu déjà par plus de 2600 personnes), le corporatisme joue à fond et l’on assiste à une ronde des amis journalistes tentant de venir en aide à l’auteur : Blandine Hutin-Mercier dans le Journal du Centre, Jérôme Garcin dans BibliObs, « E.C. » entretien pour France 3 Bretagne. Le mot d’ordre est de marteler le mot « roman ».

Jérôme Garcin volant au secours de son ami Coatalem a donc publié le 30 octobre un article intitulé : « La gloire de mon grand-père ». (Bien entendu il n’y fait pas mention de mes articles pour ne pas leur donner plus de publicité).

Paradoxalement et drolatiquement, son papier (écrit à quatre mains ?) est l’aveu de la tromperie que je dénonce. Je vous laisse juges :
D’abord, contrairement à tous les article parus antérieurement, toutes les précautions sont prises : le mot « résistant » n’est plus accolé aux mots « grand-père » ou « déporté », et « arrêté pour faits de résistance contre l’occupation allemande », phrase litigieuse, est écrite entre guillemets et en italique.

Enfin, le seul moyen de défense invoqué est colossal : « Coatalem impose à l’Histoire la loi de la littérature » (sic).

Selon Garcin et Coatalem il existerait donc une « loi de la littérature » à la suprématie intouchable. Celle-ci règlerait des droits mais aucun devoir, pas même celui vis-à-vis du lecteur d'adopter une forme claire et probe : récit, ou biographie, ou roman, etc.

Comme les autres copains de l’auteur, Garcin ne dit donc rien d’autre que « c’est un roman », circulez y'a rien à voir.

Eu égard à la démonstration fouillée que j’ai produite, c’est un peu court !

Mais on avance. La fausseté du portrait du grand-père Résistant étant entérinée, seule reste à trancher la question de la nature de ce texte.

Il ne suffit pas d’inscrire « roman » en minuscule sur une couverture pour se dédouaner d’une manipulation littéraire. En dépit des dires de l’auteur et de ses amis, quiconque lit honnêtement ce livre sait qu’il a un récit en mains.

Dans sa postface très ambiguë, l’auteur écrit lui-même « ce récit tient du roman ». On notera qu’il n’a pas écrit : « ce roman tient du récit ».

Ce long préambule visait à alerter sur la nécessité d’une lecture de La part du fils appuyée sur l’explication de texte que j’en ai faite (« La part du fils pour les nuls »), laquelle démontre une mystification historique intentionnelle.

J’en viens maintenant au sujet de cette Lettre ouverte.

Cette affaire montre à quel point la France perd sa mémoire, à quel point la grande majorité des citoyens se moque du lourd tribut payé par quelques uns et quelques unes pour la victoire sur la barbarie nazie.

La reconnaissance d’un devoir de mémoire fut un processus long en France. La Seconde Guerre Mondiale, douloureux épisode, resta longtemps un sujet tabou ballotté entre l’héroïsme de la Résistance et la honte de la collaboration.

Est-il besoin de rappeler que la mémoire de cette guerre est foncièrement liée à l’Occupation puisque l’engagement militaire du pays ne dura que six semaines, entre mai et juin 1940 ? La mémoire de cette guerre est ainsi intrinsèquement liée à celle de la Résistance. Après la Libération, il a fallu des années aux historiens pour annihiler le mythe du « Résistancialisme » qui tendait à atténuer le poids de Vichy, sombre réalité longtemps refoulée dans les consciences.

Faut-il souligner que c’est un historien américain, Robert Paxton, qui dévoila en 1973 le rôle actif de Vichy pendant l’Occupation ? Jusque-là, le consensus historique et politique oblitérait la collaboration volontaire de l’Etat français à la Shoah. Toutefois, le déni de l’Etat a perduré sous les présidences de Pompidou, Giscard d’Estaing et Mitterrand. Ce déni n’a cessé que le 16 juillet 1995 sous le mandat de Jacques Chirac au cours d’un célèbre discours prononcé à l'occasion des cérémonies commémorant la grande rafle des 16 et 17 juillet 1942 : « ces heures noires souillent à jamais notre histoire, et sont une injure à notre passé et à nos traditions. Oui, la folie criminelle de l’occupant a été secondée par des Français, par l’État français. »

La loi Gayssot du 13 juillet 1990 tendant à réprimer tout acte raciste, antisémite ou xénophobe, innove par son article 9 qui qualifie de délit la contestation des crimes contre l’humanité définis par le Tribunal international de Nuremberg (article 6 du statut du tribunal militaire international annexé à l'accord de Londres du 8 août 1945).

Aujourd’hui, quid du délit d’usurpation mémorielle de la Résistance héroïque ?

Le Parlement de la Communauté française de Belgique a adopté en 2009 un décret relatif à la transmission de la mémoire des crimes de génocide, des crimes contre l’humanité, des crimes de guerre et des faits de résistance ou des mouvements ayant résisté aux régimes qui ont suscité ces crimes , une initiative législative unique au monde.

Malheureusement en France, il n’existe pas de loi protégeant la mémoire des Résistants, seulement une obligation morale et une politique soutenant un programme d’actions mémorielles.

Or la seule existence, publication et diffusion, de La Part du fils est le signe d’un échec, voire d’une négation, du travail de mémoire entrepris depuis les années 1990 par tous les « bras armés » de l’Etat en la matière : Fondation de la Résistance, ONAC-VG, ANACR, FNDIRP…

De nombreuses menaces pèsent sur la mémoire de la Résistance, usée par le temps et l’indifférence. La réactivité d’une vigilance pointue et permanente est requise.

Pourtant, depuis les années 1990, chaque Président de la République a plaidé pour le devoir de mémoire. Vous-même avez souvent déclaré, à Oradour-sur-Glane et ailleurs, vouloir renouer avec le devoir de mémoire, renouer le lien des Français avec leur histoire.

La « mémoire de pierre » (monuments commémoratifs liés à la Résistance et à la Déportation) et les cérémonies du souvenir avec vin d’honneur et dépôt de gerbes ne suffisent pas. Le culte institutionnel de la mémoire, les actes symboliques, les musées et lieux de mémoire, c’est bien, mais si à côté personne ne réagit au problème posé par La part du fils, c’est très vain. La multiplication des commémorations en tous genres n’a aucune valeur si par ailleurs de tels récits peuvent circuler dans les librairies, les bibliothèques publiques, les lycées… et éventuellement même obtenir un prix qui renforcera leur médiatisation !

Au fond, la question soulevée par cette affaire porte sur les vertus que l’on souhaite prôner dans notre société : le mensonge ou la vérité ? la pleutrerie ou le courage ?
Veut-on encenser des égos puérils ou des caractères mûrs ?

En l’état, ce livre La part du fils devrait être retiré des ventes et des bibliothèques publiques.
L’éditeur devrait le rééditer augmenté d’une préface claire et précise, distinguant les pages « récit » des pages « fiction », avec un résumé de ce que les archives disent du parcours réel du grand-père pendant la Seconde Guerre Mondiale.

Monsieur le Président de la République, il vous appartient de vous prononcer sur la position de l’Etat aujourd’hui quant au devoir de mémoire de la Résistance s’imposant comme devoir de vérité.

J’ai ces questions :

En l’absence d’une loi spécifique, de quels outils juridiques dispose l’Etat pour sanctionner une publication préjudiciable au devoir de mémoire et de vérité de la Résistance ?

Qu’en est-il de la défense des droits et de la mémoire des Résistants face aux négationnistes, à l’oubli et à tout type d’usurpation mémorielle ?

Quelles perspectives comptez-vous tracer pour consolider la pédagogie de la Résistance ?

Pour ma part, j’aurais fait mon devoir. Prix littéraire ou pas, la falsification est dévoilée, la réputation de La part du fils est entachée. Celle de ceux, agents de l’imposture qui, bien qu’avertis, osent défendre et promouvoir ce livre, aussi.

Qu’ils se partagent « la part du gâteau » sur le dos d’hommes et de femmes qui furent portés par des valeurs autres que les leurs.

Espérant que celle lettre retiendra votre attention, je vous prie d'agréer, Monsieur le Président de la République, l'expression de ma très haute considération.

 

Pascale Mottura

1er novembre 2019


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