Affaire Troadec : Caouissin, Compte numéroté, Complice
par Cazeaux
jeudi 23 mars 2017
Les fouilles ont cessé, mais qu’ont-elles donné ? On en sait un peu plus sur les personnages et le trésor « maudit » mais les aveux de Caouissin continuent d’être présentés par les médias comme le récit des faits nonobstant ses incohérences. Cela a un parfum d’enquête qui se poursuit sous couvert d’un mystère insondable. Serait-ce pour piéger un complice encore dans la nature ? Ou pour ménager l’opinion, tant la réalité est peut-être encore plus terrifiante qu’on l’a présentée ?
Dans un précédent article, Les disparus d’Orvault : victoire de l’ADN, tchao Columbo, j’ai mis en évidence les incohérences contenues dans les aveux de Caouissin, meurtrier présumé de la famille Troadec, examinant chaque détail du récit. Le quadruple meurtre n’a pas pu se passer comme rapporté le procureur de Nantes, c’est ma conviction.
Décrivant de son crime les aspects les plus sordides, puis conduisant les enquêteurs au lieu où il a dissimulé les corps (tous les corps ?) des victimes, Caouissin a habilement conféré une véridicité à son récit.
A lire tous les articles qui en traitent, parfois gonflés en « dossier spécial », par effets rédactionnels, photos soignées et élégantes mises en page, la manœuvre de Caouissin a atteint son objectif : ses aveux sont présentés sans réserve comme « le récit des faits ».
L’enjeu n’est pas mince : une inculpation pour quadruple meurtre et non pour assassinat crapuleux ; au lieu de la perpétuité avec peine de sûreté maximale, il ne s’expose plus qu’à vingt ans maximum, ce qui signifie quinze ans au plus de détention. A 62 ans, il sera libre. Avec peut-être un gros magot qui l’attend.
Qu’avons-nous appris depuis les aveux de Caouissin ?
La déclaration de la mère de Pascal et Lydie Troadec
Elle nous apprend deux choses capitales :
1. Le trésor en pièces ou lingots d’or : c’est du lourd
Changement d’échelle. Des 40 000 euros évoqués au départ, il est désormais question d’un mobile qui pèse dans ses quatre ou cinq millions. D’après la grand-mère Troadec, son fils Pascal, père de la famille assassinée, aurait mis la main sur le magot à la mort du « vieux » il y a dix ans. Il aurait ensuite déposé l’or dans des banques de paradis fiscaux. Vient conforter cette révélation, un train de vie des Troadec supérieur à leur condition sociale, celle de modestes employés : multiples vacances coûteuses à l’étranger, deux berlines cossues pour les parents (BMW et Audi), une 308 en excellent état pour le fils de 21 ans, étudiant sans revenu. L’origine plus ou moins frauduleuse de ce trésor expliquerait pourquoi aucune poursuite n’a été engagée par la mère et la sœur de Pascal. Héritage sans existence légale, déposé sur des comptes numérotés en des pays aux législations arrangeantes, le trésor non partagé a inévitablement provoqué disputes, rancœur, puis une fâcherie définitive…et la longue mise au point d’une vengeance.
2. Pascal Troadec : une victime pas très sympathique
En dépit de l’horreur des faits, la grand-mère n’a pas été tendre au sujet de son fils Pascal. Outre le vol du trésor dont elle l’accuse, semble-t-il avec justesse, c’est le portrait d’un homme envieux, coléreux, violent, qu’elle dresse de son fils. Avant de mettre la main sur l’or, il ne cachait pas sa jalousie ; il ne supportait pas la situation avantageuse d’un Caouissin qu’il n’avait jamais accepté comme le mari de sa sœur Lydie.
Pis encore, il aurait frappé sa femme et n’hésitait pas à la mal traiter en l’insultant. Ce jugement sévère de la mère est corroboré par les messages du fils dans les forums auxquels il participait sur internet. Il y évoque sans ménagement un père violent et alcoolique, au point que dans un premier temps, les soupçons s’étaient dirigés vers lui. Il y a enfin les voisins qui rapportent avoir entendu maintes fois Troadec crier lors de scènes de ménage. Détail à bien noter : depuis les pavillons de part et d’autre de celui des Troadec, l’on entend les cris
Les fouilles
Les fouilles effectuées dans la propriété des Caouissin, ont confirmé que les cadavres ont été dépecés, partiellement brûlés et réduits en bouillie. Ce sont des « restes » humains qui ont été retrouvés dans ces 32 hectares marécageux. Il est probable que les morceaux de corps avaient été disposés pour accélérer leur décomposition et leur dévoration par les bêtes. Caouissin pouvait se permettre cette « coopération », comme l’a presque saluée la presse. Il savait qu’on ne pourrait pas découvrir comment ses victimes ont été tuées. Certes aucun compte rendu de médecine légale n’a été communiqué, pas plus qu’un rapport sur les objets, bijoux et ordinateurs déterrés par les enquêteurs. Aurait-on su « faire parler » les ordinateurs ? Rien ne filtre pour le moment.
En revanche, le lieu d’enfouissement des corps et objets des victimes vient souligner l’énigme posée par le pantalon de la jeune Charlotte, fille des époux Troadec, retrouvé à l’air libre non loin, par une joggeuse. Pourquoi le duo Caouissin n’a-t-il pas incorporé ce vêtement au feu qui a brûlé les cadavres ? Fut-ce une action délibérée, destinée à crédibiliser cette piste initiale d’un tueur qui se serait amusé, par défi ou plaisir morbide, à semer des indices déconcertants ?
Nous allons voir qu’une hypothèse totalement inattendue a toute sa pertinence dans cette énigme. Il faut d’abord revenir sur un indice connu dès le départ de l’enquête et que j’avais négligé d’examiner dans mon premier article.
Charlotte : pas de trace
En dépit des efforts produits par Caouissin et sa compagne Lydie, nettoyage intensif du pavillon d’Orvault et de la 308 du fils Troadec, les enquêteurs ont détecté des traces de sang et d’ADN :
- Au pavillon, sang appartenant au père, à la mère, au fils ; ADN de Lydie, sœur de Troadec et femme de Caouissin, retrouvé sur un verre posé dans la cuisine ;
- dans la 308, ADN de Caouissin.
Mais de Charlotte, nulle trace de sang, ni au pavillon ni dans la 308 de son frère.
Comment une telle absence peut-elle s’expliquer ?
Le hasard ? Si l’on retient la thèse du récit de l’inculpé, Charlotte, aurait été tuée à coups de pied de biche, tout comme ses parents et son frère, dans un contexte de furie criminelle. Frappées à la tête, les victimes seraient tombées au sol l’une après l’autre dans un espace limité, chambres, palier de l’étage, escalier.
Les blessures au crâne provoquent de forts saignements. Les écoulements de sang n’ont pu que se mêler entre eux, les corps étant au sol, puis transportés jusqu’au garage. Quand ils sont revenus au pavillon pour nettoyer la scène du crime, les Caouissin ont tenté de faire disparaître toutes les traces de sang ; du sang indifférencié, donc. Il est inconcevable que leurs efforts aient abouti pour le seul sang de Charlotte, laissant celui des trois autres victimes détectable par les enquêteurs. Cela implique sans le moindre doute que le sang de la jeune fille n’a pas coulé durant cette sinistre nuit. Soit elle n’a pas été tuée, soit elle l’a été d’une manière non sanglante.
Charlotte a donc connu un sort différent. Pourquoi ?
Retour sur le modus operandi de la tuerie
Dans mon précédent article, j’arrive à la conclusion que les aveux de Caouissin ne tiennent pas. Il n’a pas pu tuer quatre personnes en un tournemain, à coups de pied de biche.
Les voisins, habitués aux hurlements périodiques du père Troadec dans ses moments de colère, n’ont, durant cette nuit, rien entendu.
Aucun appel de détresse n’a été lancé depuis l’un ou l’autre des téléphones mobiles, ce que le laps de temps nécessaire à l’exécution des quatre meurtres rendait possible.
Enfin, il se pose la question de l’intrusion dans le pavillon. Caouissin dit avoir pénétré dans le garage, puis de celui-ci, avoir rejoint le pavillon. Effraction, bris de porte, de serrure ? Le procureur de Nantes n’a pas précisé comment. Caouissin nous dit que c’est seulement une fois à l’intérieur du pavillon qu’il aurait provoqué le bruit capable de réveiller Troadec et sa femme. Pas de bruit comparable donc, pour accéder au hall du pavillon. Une telle discrétion n’a que deux explications :
- les accès n’étaient pas clos ;
- les serrures étaient des plus simplistes, faciles à crocheter avec un tournevis.
Eh oui, mais aucune de ces hypothèses ne concorde avec ce que dit Caouissin par ailleurs. Il prétend qu’un bruit produit dans le hall – quoi ? un verre, un vase qui se brise au sol – aurait alerté Troadec, qui serait descendu aussitôt, un pied de biche en main.
Il descend aussitôt, oui ; car s’il avait d’abord allumé, puis échangé des paroles avec sa femme, puis avancé tout doucement par prudence, Caouissin aurait eu le temps de faire chemin arrière et de disparaître. Souvenons-nous que selon ses aveux, l’inculpé prétend n’être pas venu pour tuer, mais pour « espionner » et mettre la main sur une clé.
Un pied de biche en main Imaginons la scène, Troadec, anxieux, craignant tellement une intrusion à son domicile, dort un pied de biche à son chevet ! Il a les moyens de posséder une Audi, une BMW et une 308, de passer chaque été des vacances dispendieuses à l’étranger, mais quand il s’agit de défendre sa maisonnée, un fusil ou un pistolet à gaz seraient trop coûteux. Il se contente alors d’un pied de biche, rustre outil bon pour forcer une serrure mais guère prisé par les tueurs. Mais admettons ! Troadec a si peur d’une éventuelle intrusion qu’il a posé un pied de biche à portée de main. Et c’est le même homme qui laisserait ouvertes la porte du garage et celle qui fait communiquer celui-ci au pavillon ? Ou qui s’en remettrait à des serrures de pacotille qu’on peut crocheter sans faire de bruit ?
Du constat de ces incohérences, je déduisais que Caouissin, loin d’avoir réagi à une tentative d’auto-défense, avait soigneusement prémédité son acte dans le but de récupérer le trésor indûment détenu par les Troadec, puis d’éliminer ceux-ci et de faire disparaître les corps. Et j’expliquais que dans ce macabre projet, le plus difficile était d’accomplir le quadruple meurtre : réunir la famille et la tuer rapidement selon un procédé insonore et rapide. Insonore pour qu’aucun voisin ne puisse être alerté, rapide pour éviter qu’une victime ait le temps d’appeler la police avec son mobile et/ou de fuir.
Je ne donnais pas d’explication sur la façon de récupérer le trésor ni sur la raison de tuer les quatre membres de la famille. Je me suis limité à souligner qu’il s’agissait nécessairement d’un assassinat incluant la disparition et la dégradation des cadavres à fin qu’il ne soit pas possible ultérieurement, de découvrir comment les victimes ont été tuées.
A présent, et sous réserve évidemment de ce que l’enquête nous apprendrait de nouveau, j’y vois plus clair, tant sur le mobile que sur le modus operandi de la tuerie.
Le mobile : un trésor de grande valeur et la haine
Le trésor
Au lieu du mince magot en pièces ou lingots évoqués au début de l’enquête, le trésor retrouvé par le vieux Troadec, père de Pascal et Lydie, proviendrait d’une partie conséquente des quelques 500 kilos d’or dérobés en juin 1940 au port de Brest, peu avant le départ pour l’Afrique, des réserves d’or des agences de la Banque de France.
De 40 000 euros, l’on passerait à quatre ou cinq millions d’euros. De quoi susciter conflit, rancœur et, période dépressive aidant, projet de récupération personnelle par la violence.
Il s’est écoulé dix ans entre le vol du trésor par Troadec et la tuerie d’Orvault. Durant une telle période, Caouissin a eu le temps de recueillir et de recouper des informations qui lui ont permis de savoir où se trouvaient les fonds et comment les récupérer.
Comment ? C’est le deuxième aspect du mobile qui peut apporter une réponse.
La haine
Celle de Caouissin ? Pas de doute. Troadec ne l’a jamais apprécié, le jalousait, puis il vole de façon éhontée sa pauvre mère hospitalisée, il insulte, il jette une table sur une baie vitrée lors d’une dispute, il maltraite sa femme, son fils et….nous y arrivons, possiblement, Charlotte.
Dans cette affaire, il a beaucoup été question du fils au départ de l’enquête.
La disparition de sa voiture, une condamnation pour menace par voie d’internet, des messages agressifs à l’encontre de son père postés sur des forums de discussion…autant d’indices avaient orienté les enquêteurs sur un passage à l’acte ultra-violent après des années de rumination dans l’esprit d’un jeune homme désorienté, objet de troubles psychiques non encore détectés par son entourage.
Mais de Charlotte peu a été dit. Une jeune fille effacée, n’ayant qu’une copine dans son lycée privé, sujette parfois à des crises de pleur. C’est tout. En revanche, l’enquête a permis de savoir qu’elle projetait un voyage au Portugal. Pour des vacances ? Avec quelqu’un ? Rien ne plus n’a été dit à ce sujet.
L’élément capital et c’est lui, en dernière analyse, qui m’a éclairé, est l’absence de toute trace de sang de la jeune fille sur la scène du crime. Cette absence de trace ne peut avoir que deux explications :
- Charlotte n’était pas au pavillon ce soir-là
- Charlotte était présente… pour aider Caouissin.
En vérité, qu’elle fût au pavillon au moment de la tuerie ou pas, ne change pas réellement la donne.
Imaginons que Charlotte soit allée à une soirée et qu’elle ait dormi sur place. Cela suffit à expliquer l’absence de trace de sang. Mais pas qu’elle ne se soit plus rendue à son lycée ni que plus personne n’ait eu de contact téléphonique avec elle. Cette hypothèse est donc à écarter.
En revanche, l’idée de la complicité est compatible avec les deux cas de figure énoncés.
Complice, Charlotte a pu donner ses clefs à Caouissin et se tenir en retrait pendant la tuerie. Mais elle a pu également entrer dans le pavillon une fois couchés les parents et le frère, Caouissin lui emboîtant le pas.
Complice Charlotte ? Horrible et insoutenable hypothèse ?
Pas plus que celle qui a accusé le frère. Peut-être, mais le frère avait exprimé des sentiments vivement hostiles au père, comme l’attestent les forums où il a posté des messages. Rien de cela chez Charlotte.
D’un coup, sans indice préalable, une jeune fille se jette sous un train ou se défenestre. On apprendra plus tard, retrouvant ses carnets intimes, qu’elle développait depuis des années de graves troubles psychiques.
Mon hypothèse mise à la fois sur un possible déséquilibre affectif aggravé par la violence du père, et sur la connaissance par les enfants du litige au sujet du trésor.
Comment en effet n’auraient-ils pas su ? Le train de vie qui se transforme, les disputes avec la grand-mère, avec la tante et l’oncle… Au fil des ans, la gamine a eu tout loisir d’y voir clair et d’être choquée par l’acte immoral de son père.
Par ailleurs, qui nous dit qu’elle n’avait pas conservé des Caouissin, un bon souvenir ? Ils étaient pour elle et pour son frère, un tonton et une tata et au moment de la rupture, elle était âgée de huit ans, ayant donc eu le temps de développer des sentiments affectueux à leur égard.
Grandissant, elle se referme sur elle au point de n’avoir qu’une seule copine et elle voit un père qui insulte et frappe sa mère, qui boit peut-être, et qui profite avec arrogance – les cartes postales de vacances évoquées par la grand-mère Troadec – d’un pactole qu’il a dérobé à la communauté familiale.
Puis arrive le temps où, victime d’un burnout, l’oncle Caouissin tombe en dépression. C’était il y a trois ou quatre ans. Charlotte était donc dans ses quinze ans, âge où un potentiel psychotique est susceptible de s’actualiser.
A la recherche d’une affection qu’elle ne trouve pas auprès de ses parents, elle se tourne vers ce tonton malade dont elle conserve un bon souvenir.
La grand-mère Troadec comme la mère de Caouissin, parle de lui comme d’un bon gars, enjoué et serviable, n’aimant pas les conflits. Paradoxal, mais les affaires criminelles en ont vu d’autres.
Imaginons qu’un contact, par téléphone ou email, s’établisse entre l’oncle dépressif et la nièce désorientée. Ils en viennent à parler du trésor et Charlotte se propose d’aider Caouissin à récupérer la part qui revient à sa tante Lydie. Comment ? L’or, conservé ou pas sous forme matérialisée, se trouve dans un ou deux comptes numérotés de telle ou telle banque d’un paradis fiscal.
De telles banques enregistrent, au moment de l’ouverture du compte, l’identité véritable du déposant, mais de façon très discrète et pour un usage très restreint. La gestion courante s’effectue par le biais d’un pseudonyme avec la production des numéros et codes. D’où la possibilité de faire effectuer des retraits par un tiers muni des précieuses informations.
Imaginons Charlotte, désormais majeure se rendre à telle banque, en Suisse ou ailleurs, où l’or a été déposé. Munie des numéros et codes, elle récupère une partie des fonds, histoire de ne pas éveiller de soupçon, cependant qu’entre Orvault et le Finistère, les Caouissin achèvent leur macabre opération en nettoyant maison et voiture, et faisant disparaître les corps. Mais le retrait des fonds a pu également être opéré par Caouissin lui-même, durant la période séparant la tuerie et sa première garde à vue ; ou encore par un éventuel complice.
Mais tout cela ne nous dit pas comment s’est passée la tuerie.
Modus operandi : avec ou sans Charlotte
Plus haut, je donnais deux explications à l’absence de trace de sang de Charlotte.
Nous venons de voir Charlotte partie vers le paradis fiscal après avoir donné ses clés à celui qui allait transformer le pavillon familial en enfer.
Reste l’autre explication qui ne ferait peut-être que décaler le départ de Charlotte pour l’étranger.
Censée être allée à une soirée, la jeune fille revient au pavillon sur le coup des 23 heures. Elle ouvre la porte, ses parents l’entendent, c’est moi dit-elle. Tout est normal à ceci près que Caouissin, accompagné de Lydie sa compagne ou d’un complice, la suit dans le hall.
Charlotte monte les escaliers et va directement dans la chambre de son frère, attablé devant son ordinateur. Elle sort un pulvérisateur de gaz paralysant – arme d’auto-défense en vente libre – et en asperge le jeune « geek » cependant que Caouissin, avec Lydie ou un complice, se précipitent dans la chambre des parents qu’ils menacent d’une arme à feu. Au moyen d’un large rouleau de ruban adhésif,
Lydie bâillonne son frère et l’attache à son siège. Les parents sont conduits de force dans la chambre, sommés de s’asseoir sur le lit du fils et sont liés l’un à l’autre également avec du ruban adhésif.
Les détails que je formule sont donnés pour concrétiser une hypothèse. Peu importe s’ils correspondent ou non à l’exacte vérité. Ce que je tiens pour seule version crédible est un mode d’action soudain et silencieux mené à plusieurs, deux au minimum. Il fallait que Caouissin pût pénétrer facilement et au bon moment dans le pavillon et qu’ensuite, le fils et les parents fussent appréhendés simultanément. Dans le cas contraire, un appel de détresse pouvait être lancé soit par le fils, soit par les parents, un risque que Caouissin ne pouvait pas prendre.
Le fils encore sous l’effet du gaz et ne pouvant de toute façon crier, les malfaiteurs vont alors faire parler les époux. C’est simple, ou bien ils indiquent où trouver les numéros et codes des comptes ainsi que les adresses des banques, ou bien le fils est tué sous leurs yeux. Moyen le plus simple, l’arme blanche, un puissant poignard pointé sur la carotide du pauvre jeune.
Troadec, forte tête, a pu ne rien dire, même une fois la femme puis le fils égorgés ; même torturé de diverses façons. Peu probable mais possible. Dans ce cas, il restait les ordinateurs, des machines sans affect, qu’on peut purger de tout ce qu’elles savent.
Dans tous les cas de figure, la sinistre nuit s’est achevée avec trois cadavres qu’il a fallu ensuite évacuer. Là, nous revenons à ce que je décris dans mon précédent article, les corps dépecés sur place et non dans le Finistère pour qu’ils puissent entrer dans la 308, à moins qu’un autre véhicule, de type fourgonnette, volé pour la circonstance, ait servi à cette besogne.
Etant donné le caractère extrêmement violent de la tuerie, il me semble plus probable que Caouissin ait opté pour une solution sans la présence de Charlotte.
Fragile, même si très motivée, elle pouvait « craquer » en cours de route et faire tout capoter. D’un autre côté, l’hypothèse d’un complice extérieur à la famille me semble difficile à valider. Caouissin sortait d’une longue dépression ce qui va avec isolement. Qui aurait-il pu convaincre de participer à un tel coup ? Aucun indice ne permet de se prononcer sur ce point.
Le trio Caouissin, Lydie, Charlotte paraît plus probable, avec le départ de Lydie et de la jeune fille, une fois les trois victimes bien ligotées. A partir du moment où Caouissin avait en quelque sorte les mains libres, il pouvait agir seul. Pas avant.
Ayant obtenu ou pas de Troadec, les numéros et codes du ou des comptes où l’or était déposé, il allait avoir toute la nuit pour transporter les cadavres jusqu’au garage, et les démembrer sur place selon le véhicule qui allait être utilisé pour les évacuer.
Le recours à la Peugeot du fils peut sembler étrange dans la mesure où il s’agit d’une berline offrant un volume limité pour y loger trois cadavres. Utiliser une camionnette garée plus loin et ramenée à l’aube devant le garage, pourquoi pas.
Mais cette option présente l’inconvénient du manque de discrétion. Un voisin sortant au petit matin, un véhicule à ordures venant à passer et la manœuvre est inévitablement repérée. L’usage de la Peugeot, peu commode, obligeant Caouissin à dépecer les corps sur place, a un double avantage. Elle peut, et c’est ce qu’a déclaré Caouissin, être rangée dans le garage de façon discrète, une simple marche arrière, puis, disparaissant des lieux, égarer un moment les enquêteurs sur une fausse piste, la piste du fils assassin.
Il reste à élucider la question des objets retrouvés dans les parages de la ferme des Caouissin : le pantalon de Charlotte, le manuel scolaire marqué du nom de Pascal Troadec et le drap.
Du drap, il n’a pas été rapporté s’il était souillé ou pas de sang. Propre, sa présence peut signifier qu’il a servi de baluchon pour contenir les divers objets ayant disparu du pavillon des Troadec. Maculé de sang, il pourrait d’agir d’un des draps retirés des lits des victimes, draps ayant servi de linceuls pour le transport des cadavres. Mais pourquoi n’a-t-il pas connu le sort des autres linges ? Serait-ce pour faire croire à l’exécution de Charlotte, dans ce bois du Finistère, en complément du pantalon appartenant à la jeune fille ?
Le pantalon : si comme on l’a vu plus haut, Charlotte n’a pas été tuée à Orvault et qu’elle a été prise en charge par Lydie, il est loisible de penser qu’elle n’a pas été exécutée du tout, ou qu’elle l’a été plus tard et ailleurs. Mais l’objectif de Caouissin, dans les deux cas de figure, était de faire croire que Charlotte faisait bien partie des victimes d’Orvault, ceci pour crédibiliser son récit, en cas d’arrestation. En s’arrêtant sur cet indice, nous avons du moins la confirmation que Charlotte n’a pas été dépecée ni tuée à Orvault. Pour être démembrés, les cadavres ont dû être dévêtus. Et leurs vêtements étaient forcément maculés de sang. Or il a été rapporté du pantalon de Charlotte qu’il contenait une carte vitale et une carte bancaire mais de sang, il n’a pas été question.
Reste en ultime indice, ce livre scolaire ayant appartenu à Troadec. Je vois là deux hypothèses.
- Ou bien ce fut un réflexe de curiosité de l’assassin, il remarque le volume dans la chambre du fils, il le feuillette, le repose et au moment où il regroupe vêtements, draps et autres objets devant être évacués, il se souvient y avoir laissé ses empreintes et l’emporte.
- Deuxième hypothèse, c’est dans ce modeste ouvrage que Troadec a inscrit les numéros et codes du ou des comptes bancaires, en y glissant un feuillet ou en entourant des lettres et chiffres permettant de les reconstituer.
Conclusion
Il m’a paru utile de me livrer, avec mon seul bon sens, à un bilan critique du dossier ainsi qu’à une tentative de « théorie » explicative globale de la démarche criminelle qui se présente à nos regards. Une fois recensés et analysés tous les éléments en rapport avec un crime, c’est la seule façon d’aller plus loin, d’orienter des recherches dans de nouvelles directions, loin d’être évidentes à première vue.
J’ose espérer que les enquêteurs n’ont pas tout dit de ce qu’ils ont découvert et de ce qu’ils suspectent. Plus que dans d’autres affaires de ce gabarit, les informations ont filtré de façon laconique, de sorte qu’en parler comme si tout était réglé maintenant que les époux Caouissin sont sous les verrous me semble peu professionnel de la part des médias. La très probable complicité dont a bénéficié Caouissin sera peut-être difficile à élucider. L’abolition de la peine de mort présente sur ce plan l’avantage de ne pas classer trop vite une affaire criminelle.
L’assassinat le plus retentissant du XIXe siècle que fut le Crime de Pantin, un dossier des plus tortueux, a laissé une grave incertitude quelque peu comparable à celle qui plane au-dessus de la tuerie d’Orvault. Un homme, qui avait réellement tué, fut jugé coupable d’un sextuple meurtre puis vite guillotiné. Pour autant, il y avait de fortes présomptions en faveur de l’existence d’un complice. Mais l’affaire fut close et il n’y a pas eu même de contre-enquête menée par un organe de presse.