Argent gagné = argent mérité ?

par Voris : compte fermé
mercredi 23 juillet 2008

Cet axiome de la pensée sarkoziste selon lequel tout argent est mérité est ce qui fonde le règne de l’argent-roi, c’est-à-dire l’argent élevé au rang de valeur centrale et suprême. L’argent décomplexé, sans tabou, sans limites aussi. Mais un axiome est par définition une vérité indémontrable que nous devons admettre. Or, s’agit-il vraiment ici d’un axiome ou bien plutôt d’une affirmation fausse que l’on veut nous faire admettre ? Si l’affirmation est fausse, c’est tout un pilier porteur de la politique sarkoziste qui défaille.

"L’argent gagné est de l’argent mérité" n’est pas un axiome. Juste une affirmation qui peut être contestée par l’argumentation contraire. Elle est contestable par l’usage de la seule raison et sans le recours aux préceptes de la religion catholique qui a un point de vue particulier sur l’argent. Cette simple affirmation sert l’idéologie du pouvoir en place, qui a recours à elle pour légitimer les marchés d’armes, les diplomaties complaisantes, le "pragmatisme" comme on dit souvent dans les milieux adorateurs du dieu argent.

L’affirmation est commode pour justifier tous les gains, quels qu’ils soient et sans limites : les revenus indécents des stars, les parachutes dorés, les auto-augmentations de salaire de 300 %, et même les magouilles. Partant d’un principe posé comme une évidence absolue, on fait passer aisément la nécessité de dépénaliser le droit des affaires, on joue les Robin des bois en restituant à des hommes d’affaires indélicats des sommes astronomiques que le contribuable paiera de sa poche. L’argent gagné, c’est de l’argent mérité : au besoin il faut le rendre à celui qui l’a gagné, fût-il connu pour ses nombreuses malversations et condamnations pour escroqueries et corruption.

Un cas d’actualité vient illustrer les abus que peut générer cet amour immodéré du fric. On en a peu parlé dans les médias, il s’agit de l’affaire Peyrat.

Un exemple d’actualité pour illustrer : Peyrat paiera pas


En juillet 2008, une décision de justice vient condamner les acteurs de l’affaire du tramway de Nice dont Peyrat est responsable, mais pas coupable. Voici l’affaire en quelques mots : Peyrat, alors maire de Nice, recrute Dominique Monleau qui est connu de tous pour avoir été la cheville ouvrière du tandem Chirac-Tibéri dans les affaires parisiennes. Il sait donc qui il recrute. Une affaire de marché truqué est montée par Monleau et la société Thales pour l’achat du tramway de la ville. La sentence de la justice aujourd’hui est lourde. Quatre ans de prison dont deux avec sursis pour Monleau, 18 mois dont 12 avec sursis pour Michel Josserand, l’ancien PDG de Thales, et surtout 600 000 euros d’amende pour Thales, jugée coupable d’avoir été l’ordonnateur d’habitude de la corruption.



Mais Peyrat paiera pas, sa culpabilité n’est pas établie. Ce n’était pourtant pas la première fois qu’il recrutait sciemment un escroc. Déjà en 2003, il avait embauché comme directeur général des services, Michel Vialatte, célèbre pour avoir été en Essonne le "Monsieur tirelire" de la droite. Vialatte a notamment alloué un salaire de complaisance à Xavière Tiberi. Non coupable aux yeux de la justice, Peyrat n’est néanmoins pas irréprochable sur le plan professionnel et éthique, et sur le plan des comptes à rendre aux citoyens.

Quant à Monleau, si personne ne fait appel, il pourrait obtenir un aménagement de sa peine et ne pas être remis en prison. Le dessous-de-table qu’il avait reçu dans ce marché truqué s’était élevé à la somme de 180 000 euros qu’il plaça en Suisse. De l’argent gagné, mais guère mérité du point de vue de la loi. Mais il faut bien admettre, hélas, que beaucoup passèrent au travers des filets ou écopèrent de peines légères.

Peyrat fait encore parlé de lui, mais pour autre chose. Le 13 juillet 2008, le journal Nice Matin évoque ses dépenses inconsidérées d’avocat. Il aurait, selon le nouveau maire, Christian Estrosi, trop tapé dans le budget municipal prévu pour les frais de justice en engageant de nombreux procès en diffamation. Soucieux de préserver l’image de sa personne, il attaquait à tout-va, grâce à la procédure dite de protection fonctionnelle des élus, et peu soucieux de ce que cela coûterait aux habitants. Avec la somme dépensée, l’ancien maire aurait pu faire rénover 24 salles de classes supplémentaires fait-on remarquer. Cette affaire fait transition pour évoquer la tendance qu’ont certains à saisir à la première occasion la justice pour tenter de décrocher le jackpot par l’attribution de lourds dommages et intérêts. Argent gagné toujours mérité ? Pas sûr... Il arrive que les décisions d’octroi de sommes importantes soient remises en cause par la juridiction d’appel.

Pour en revenir aux commissions de marchés publics, Gérard Merle (UMP) raconte ses souvenirs de porteur de valises dans le cadre du marché truqué du pont de l’île de Ré dans lequel Bouygues était impliqué.

Désormais, les marchés publics sont très contrôlés par la loi, mais pendant longtemps ces pratiques ont eu cours et les protagonistes considéraient que l’argent ainsi gagné se justifiait, qu’il était naturel de se servir. Comme quoi, on peut toujours combattre une idée admise et la changer.

Pour une éthique de l’argent

Ce qui a été fait pour moraliser les marchés publics devrait servir d’exemple pour réglementer les parachutes dorées ou les retraites dorées des ex-PDG. Car l’argent gagné est certes mérité, mais jusqu’à un point où la décence, mais aussi le sens de l’équité et du partage doivent alerter. La transparence, rendue obligatoire des PDG du CAC40, est une bonne chose. Elle permet surtout de voir la flambée des profits. Tout le monde peut donc s’apercevoir que les inégalités et les injustices sont criantes. C’est donc un devoir de corriger le tir, en réglementant d’urgence les pratiques excessives des actionnaires et PDG, afin de ne pas écœurer les gens qui travaillent.

Mais il n’y a pas que des gens qui travaillent. Certes, l’argent gagné est mérité et cela quel que soit l’effort productif accompli (et on ne va pas faire de distinction entre les intellectuels, les manuels, les sportifs, les investisseurs...) Mais l’argent perçu par les personnes qui ne peuvent travailler ne doit pas pour autant être déconsidéré ni ne doit constituer une source de honte. A force de marteler les valeurs comme le travail, l’argent, le mérite, on fustige tous ceux qui ne peuvent travailler, faute d’emploi ou à cause de handicaps. Les handicapés se sont vu accorder en 2008 une revalorisation dérisoire de leur allocation, une obole en fait, bien en deçà des promesses du candidat Sarkozy et insuffisante pour faire face à leur vie de tous les jours. Les petits retraités, dont ceux qui relèvent des régimes agricoles, survivent seulement de leurs pensions alors qu’ils ont été actifs et qu’ils ont cotisé. On ne peut pas flatter d’un côté les revenus du travail, du capital, des héritiers et des rentiers, et d’un autre côté pointer du doigt les revenus que l’on dit d’"assistance" avec un certain mépris dans la voix. Car en flétrissant de la sorte les revenus de la solidarité nationale, on jette l’opprobre sur ceux qui en bénéficient (et non ceux pas en "profitent" ou en "abusent") et qui, pour beaucoup, ne demandent qu’à jouer un rôle utile dans la société.

La question est vaste et relève d’un débat qui dépasse le cadre d’un article. C’est pourquoi, je m’arrête ici pour laisser place à la discussion. Mais la question mérite d’être portée à la réflexion. L’affirmation "argent gagné = argent mérité" a-t-elle valeur d’axiome dans le monde d’aujourd’hui ?



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