Avons-nous un droit au bonheur ?

par Voris : compte fermé
vendredi 10 novembre 2006

Existe-t-il un droit au bonheur, gravé quelque part en lettres d’or, et que l’on pourrait brandir pour s’en réclamer ? Si vous répondez oui à cette question, vous êtes forcé d’admettre aussi l’existence d’un devoir corollaire. Mais alors, ce devoir de vous rendre heureux, sur qui le ferez-vous peser ? Sur Dieu, l’Etat, la famille, l’argent, sur vous-même ? Il n’existe pas de droit sacré au bonheur. Rien d’écrit dans la Constitution de notre République. Et pourtant, certains candidats à la présidentielle font comme si un tel droit existait, comme s’ils en étaient les garants...


Le premier à avoir entonné la chansonnette, c’est Laurent Fabius, qui a choisi comme thème d’entrée dans sa campagne le titre d’une chanson de Cali C’est quand le bonheur ?. Le chanteur s’est opposé après coup à l’utilisation de sa chanson à des fins politiques. Fabius propose plus de sous pour être plus heureux (augmentation conséquente du Smic) mais nous verrons plus loin que l’augmentation de revenus n’induit pas systématiquement un sentiment de bonheur accru, passé le premier effet.

Sarkozy Potter et sa sécurité magique : Nicolas Sarkozy avait aussi tenté de récupérer la chanson, révèle Cali dans Le Monde 2. Là encore l’artiste a dit non. Mais cela montre bien que Nicolas aussi se prétendait l’artisan de notre bonheur. Sa méthode : le «  sécuritarisme ». Evidemment, cela ne va pas sans quelques sacrifices sur le plan de notre vie privée, comme le fichage étendu et systématique. Marat , le révolutionnaire, nous avertissait : "La trop grande sécurité des peuples est toujours l’avant-coureur de leur servitude." Pour reprendre aussi un proverbe grec : « Le vaisseau le plus sûr est celui qui est ancré au port. » Autrement dit, le repli de la nation sur elle-même, la restriction du mouvement d’aller et venir, sont-ils la meilleure voie vers le bonheur ?

Le bonheur, c’est la beauté : enfin, la personne candidate qui excelle en promesse de bonheur, c’est Ségolène Royal. Elle n’a nul besoin d’en défendre l’idée : elle l’incarne !

La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 24 juin 1793 disait dans son article premier : « Le but de la société est le bonheur commun. » C’est la seule constitution française qui ait fait porter sur l’Etat l’obligation de rendre le peuple heureux. Cette constitution n’a pu être appliquée, et l’on ne saura donc jamais si cette entreprise philanthropique envers le peuple français aurait abouti.

La forme de l’Etat n’est pas étrangère au bonheur des citoyens. Ainsi, 64 % des Danois, qui vivent en social-démocratie, se disent très satisfaits de leur vie, contre seulement 16 % des Français. En revanche, les vingt-cinq pays ex-communistes, sauf le Viêtnam, la Slovénie et la République tchèque, ont les scores les plus bas. Les pays de tradition protestante ont des scores assez élevés (chiffres donnés par Claude Fischler, sociologue et directeur de recherche au CNRS).



Pour Ed Diener, l’un des auteurs de l’article « The Satisfaction with Life Scale » (échelle de satisfaction de vie, SWLS), les croyants éprouvent un bien-être supérieur aux non-croyants. André Comte-Sponville montre, lui, que l’on peut être heureux sans Dieu, par le secours de la spiritualité athée. Toute sa réflexion est liée à l’idée du bonheur, seule préoccupation essentielle selon lui. L’essayiste Pascal Bruckner dans L’euphorie perpétuelle (2000), rappelle que la religion catholique reporte dans l’au-delà la béatitude promise. La pensée religieuse a « pour stricte condition que le salut ne doive en aucun cas advenir » (Clément Rosser, L’objet singulier, Editions de Minuit) alors que la vision laïque du bonheur a pour exigence inverse que celui-ci advienne sans délai.


Comme nous l’explique Fischler, bien que dans les pays développés à régime démocratique et économie de marché, le pouvoir d’achat, le niveau de vie, de confort matériel, de consommation aient augmenté considérablement au cours des cinquante dernières années, le niveau de satisfaction mesuré n’a pas suivi. Ce phénomène est connu sous le nom de « paradoxe d’Easterlin » (du nom de l’économiste Richard Easterlin). Pour Ed Diener, d’une manière générale, les cultures ou les personnes qui privilégient les relations sociales plutôt que les biens matériels ont de meilleurs scores de satisfaction de vie. L’argent nous délivre des soucis, mais s’il devient obsessionnel (que l’on soit pauvre ou riche), il pourrit nos chances de bonheur.


C’est la thèse que défend Pascal Buckner dans le livre précité : « Le malheur n’est pas seulement le malheur : il est, pire encore, l’échec du bonheur » dans notre société où être heureux est une obligation morale qui pèse sur chacun. Ainsi dit-il : « Nous constituons probablement les premières sociétés dans l’histoire à rendre les gens malheureux de ne pas être heureux. »


Boris Cyrulnik a repris la notion de résilience dans son ouvrage Un merveilleux malheur. La notion de résilience a été beaucoup reprise dans le domaines de la protection de l’enfance, pour les cas d’enfants maltraités qui développent malgré leur difficile passé des aptitudes étonnantes au désir de vivre.

Le tort de l’Occident, selon Bruckner, est d’avoir donné aux hommes l’espoir insensé d’un effacement prochain de toutes les calamités : famines, indigences, vieillesse.

Mais l’incorrigible optimiste qu’est le biochimiste Joël de Rosnay (que je ne présente pas aux lecteurs d’AgoraVox, site dont il est cofondateur et coresponsable), proclame que quatre-vingts ans, selon bon nombre de scientifiques, c’est trop jeune pour mourir. « Il devrait être possible d’allonger d’une trentaine d’années encore la durée de vie pour la grande majorité des gens et, surtout, de vivre en forme pendant ces années supplémentaires, estime-t-il. Coauteur de Une vie en plus. La longévité, pour quoi faire ? (Seuil 2005), il nous montre l’avenir rêvé : puisque la limite de l’espérance de vie est sans cesse repoussée, et qu’il y a encore bien de la marge, nous pouvons espérer voir grandir nos arrière-petits-enfants et les aider dans leur quête de bonheur.

En tout cas, chers candidats aux élections présidentielles, ne nous promettez pas l’impossible ! Montrez-nous plutôt par l’action concrète ce qui peut améliorer notre quotidien. Méditez l’exemple de Coluche, et entonnez ce premier couplet de la chanson des Enfoirés :

« Moi, je file un rancard
A ceux qui n’ont plus rien
Sans idéologie, discours ou baratin
On vous promettra pas
Les toujours du grand soir
Mais juste pour l’hiver
A manger et à boire »

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