Avortement : la remise en question des Occidentaux

par Kirinki
mercredi 12 mars 2008

Aux Etats-Unis, la polémique suscitée par le film Juno a révélé, chez les jeunes, une tendance de plus en plus « pro-life ». En Europe, les débats sur l’IVG ont fait leur retour à l’occasion des différentes campagnes politiques. Le droit à l’avortement, menacé ?

Le président de la Saxe-Anhalt, Wolfgang Böhmer (CDU), a fait très fort. En établissant un lien entre la mortalité infantile plus élevée en ex-RDA et l’avortement (légalisé sous l’ère soviétique, en 1972), il a suscité de vives réactions dans le pays. Mais il ne s’agit-là que du dernier épisode en date d’un feuilleton qui ne cesse de gagner en audience depuis plusieurs mois : la reprise du débat sur l’avortement.

La Grande-Bretagne est citée, également, parmi les nombreux exemples répertoriés par Courrier international cette semaine dans un dossier intitulé « Le retour de la guerre des sexes ». Des chiffres attestant d’une importante augmentation du taux de survie de bébés nés à 25 semaines ou moins ont « ravivé la discussion », explique The Independant. Une discussion qui s’est étendue à l’Union européenne dans son ensemble et n’a pas été sans provoquer quelques divisions, rapporte encore l’hebdomadaire. Selon le Times of Malta, la Pologne et Malte (où l’avortement est illégal) se sont opposés aux autres pays-membres à l’occasion de la dernière session des Nations unies sur le statut de la femme.

En Espagne, le socialiste Zapatero, soucieux de ne pas relancer une polémique qui aurait pu lui coûter cher aux élections législatives, faisait voter une loi timide qui dépénalise l’avortement « tout en l’encadrant fortement ». Au-delà des Pyrénées, on ne peut donc avorter que dans trois cas bien précis : en cas de viol, de malformation du fœtus ou si la santé de la mère est en danger.

« Avortement, non merci »

Mais c’est encore en Italie que le débat est le plus vif. Afin de « diviser le centre gauche » selon l’opposition, Silvio Berlusconi a réintroduit le thème ultra-sensible de l’avortement au coeur de la campagne législative italienne, allant même jusqu’à évoquer un moratoire, à l’image de celui pour la peine de mort.

Les tensions ont atteint un seuil critique, en Italie, où la député de Fora Italia, Isabella Bertolini n’a pas hésité à parler de « massacre d’innocents » et où la liste du journaliste de droite Giuliano Ferrara, largement réputé pour ses positions « pro-vie », s’intitule « Avortement, non merci ». Des gynécologues romains ont même appelé à la réanimation des fœtus hyper-prématurés, contre la volonté de leur mère.

Qu’il s’agisse de manœuvres politiques ne change rien au problème : le Cavaliere est parvenu à diviser une opposition déjà largement affaiblie par la démission de Romano Prodi. En 2004, plus de 136 700 avortements étaient recensés dans le pays, contre 234 800 en 1982. Mais si la polémique fait rage en Europe à l’occasion des différentes campagnes, les Etats-Unis constatent depuis plusieurs années, déjà, l’impopularité grandissante de l’IVG.

« Pro-life », une « tendance » aux Etats-Unis

Le succès du dernier film de Jason Reitmann, sorti en France en février 2008, démontre une tendance surprenante : les jeunes Américains cautionnent de moins en moins l’avortement. Le scénario était le suivant : Juno, une jeune fille de 16 ans, qui tombe enceinte après avoir couché avec son meilleur ami, choisit de ne pas avorter et se lance à la recherche de la famille adoptive idéale pour son bébé.

Fort de trois nominations aux Golden Globes et aux Oscars, lauréat du meilleur film à Rome, Juno a réalisé un carton. Carton à propos duquel on pourrait être sceptique étant donné la cible visée, les jeunes. Mais les chiffres sont éloquents.

Selon plusieurs études et sondages recueillis par Daniel Allot, analyste du très conservateur Institute of American Values, et relayées par Liberté Politique, la tranche d’âge la plus « opposée à l’avortement » est celle des 18-30 ans, comme l’indique l’institut Harris Poll. Un autre sondage New York Times/CBS News/MTV réalisé en juin montrait que 38 % des jeunes de 17 à 29 ans souhaite que l’avortement soit « plus strictement limité ». Enfin, le Hamilton College révélait que seules 13 % de ses étudiantes le conseilleraient à une amie.

La tendance est récente. Selon une enquête effectuée dans le Missouri, entre 1992 et 2006, le nombre de jeunes adultes de moins de 30 ans « fortement pro-life » grimpait de 13 points, passant ainsi de 23 à 36 %.

L’effet « Roe »

Plusieurs facteurs expliquent ce phénomène, selon Allot. Les progrès scientifiques ont un impact « crucial ». Les recherches effectuées sur la douleur du fœtus, la découverte de l’apparition des neurones dès la 31e semaine, les naissances « miracles » de prématurés de 300 grammes, les techniques d’imagerie en 3D montrant un fœtus vivant, respirant, bougeant... autant d’avancées technologiques auxquelles les jeunes sont particulièrement sensibles. Sans oublier le lien de plus en plus souvent établi entre avortement et dépression.

Il y a aussi ce qu’Allot nomme « l’effet Roe », du nom de l’arrêt Roe v. Wade (1973), qui déclarait les lois contre l’avortement en violation avec le XIVe amendement de la constitution américaine. Le droit au respect de la vie privée des citoyennes américaines n’étant plus garanti si elles ne peuvent pas avorter, les lois anti-IVG furent abrogées.

Selon Allot, c’est mathématique. Etant donné que ceux qui s’opposent au droit à l’avortement le pratiquent moins que ceux qui le soutiennent et qu’ils font, en moyenne, plus d’enfants, « l’avenir américain est démographiquement pro-life ». Voici donc Roe pris à son propre piège : il a lui-même contribué à faire naître une tendance anti-avortement après avoir légiféré en sa faveur.

Le 22 janvier 2008, à l’occasion du 35e anniversaire de l’arrêt Roe v. Wade, près de 10 000 personnes ont manifesté dans les rues de Washington, réaffirmant par là leur refus à l’avortement. Dire, comme Daniel Allot, que « la nouvelle génération a tourné la page de l’avortement » est peut-être un peu prématuré. Mais force est de constater que le débat est plus que jamais ouvert. Aux Etats-Unis comme en Europe.

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