Bac to Business
par Tristan Valmour
mardi 20 mai 2008
Le baccalauréat approche et on peut déjà mesurer la tension chez nos lycéens. Ce sésame n’est rien pour certains, mais tout pour d’autres. Pourtant, au-delà des querelles sur la valeur du bac se cache un véritable scandale : on peut acheter les résultats !
Ou, plutôt, comme le rapportait Le JDD du 1er juillet 2007, les élèves de l’Académie de Nantes ont pu consulter leurs résultats via des opérateurs privés - et 3 euros - avant leur affichage dans les lycées. Cela est le fruit d’une convention passée entre le ministère de l’Education nationale, des sites internet et des opérateurs de téléphonie mobile.
Cette expérience, jusque-là circonscrite à trois académies, sera généralisée à l’ensemble de l’Hexagone, selon une source au MEN (ministère de l’Education nationale).
Le baccalauréat suscitait jusque-là un business florissant pour les éditeurs parascolaires et les sociétés de soutien scolaire. Il semble ainsi que de nouveaux services s’emparent d’un marché très porteur avec la complicité active de l’Etat, dans la plus totale opacité, puisque le montant de la vente des données est tenu secret.
Cet épisode marque une dérive supplémentaire dans la gestion des affaires de la nation et symbolise le manque d’intérêt du gouvernement pour les inégalités. Inégalité de fait dans la préparation au baccalauréat. Inégalité de droit dans la consultation des résultats !
Nous ne doutons nullement que certains lecteurs trouvent dérisoire une somme de trois euros. Nous pouvons aussi comprendre la nécessité d’équilibrer un budget. Nous acceptons encore que les élèves ne soient pas obligés de consulter leurs résultats via un opérateur privé et peuvent se rendre au lycée le lendemain. Nous accordons volontiers du crédit à d’autres arguments qui pourraient être développés ici ou là.
Mais…
L’Education nationale, en signant cette convention, participe à creuser les inégalités quand son rôle est de les réduire.
L’Education nationale a violé sa doctrine qui lui imposait une neutralité face aux entreprises commerciales. Accepter cela aujourd’hui, c’est organiser demain des matinées Tupperware en classe.
Les adolescents, comme les adultes, sont déjà formatés par la société de consommation et les puissants ressorts du teasing auront raison de la raison. Un adulte peut difficilement lutter contre des agences de marketing qui ont eu le temps d’analyser ses motivations et son comportement. Un adolescent le peut encore moins. Au total, c’est la liberté individuelle qu’on aliène.
La consultation payante des résultats du baccalauréat s’inscrit dans une démarche plus large d’émancipation des adolescents pour accroître le potentiel des consommateurs, même si ce but n’est pas recherché par le gouvernement. Cela entraîne au moins trois graves conséquences : un éclatement de la cellule familiale, une désaffection des adolescents pour l’école, le viol de l’adolescence puisque l’adolescent n’a plus le temps de se construire. La prééminence de son rôle dans la société de consommation en fait un adulte comme un autre.
Les parents d’élèves qui souhaitent encore protéger leurs enfants des tentations commerciales en matière de consultation des résultats disposent néanmoins d’un recours : refuser que les données concernant son enfant soient publiées dans la presse !
Crédit image : Christophe61