Bienvenue dans un monde aseptisé et formaté

par Bernard Dugué
lundi 18 septembre 2006

 

La récente crise autour des huîtres du bassin arcachonnais dévoile un renforcement des craintes hygiéniques qui, il faut le dire, sont devenues un des marronniers médiatiques récurrents depuis une décennie. Le principe de précaution est invoqué et bien souvent, c’est une manière de clore le sujet en dispensant de toute forme de débat. On interdit, principe de précaution, et c’est comme ça, il n’y a rien à redire, pas plus que l’on ne négocie une indulgence après avoir grillé un feu et que l’agent vous verbalise. Certes, nul ne mettra en cause les progrès effectués en matière de santé publique depuis des décennies ; nul ne contestera l’utilité des mesures prises en matière hygiénique et sanitaire à partir de la fin du XIXe siècle ; mais force est de constater qu’une certaine psychose a gagné les esprits, depuis la vache folle jusqu’aux huîtres d’Arcachon en passant par la grippe ordinaire, la grippe aviaire, la méningite, la légionellose, la canicule, les maladies nosocomiales... Exagérées pour les uns, raisonnables pour les autres, les mesures prises se déroulent sous le regard pressant des médias qui font leur beurre de ces événements suscitant craintes et émotions chez les individus. Toujours est-il que ces phénomènes traduisent l’impact de l’idéologie scientifique et la présence développée du système technicien exerçant un contrôle de plus en plus strict et étendu. A la limite, on pourrait ironiser une sorte de pseudo-religion où l’eucharistie serait remplacée par le contrôle des services scientifiques. Buvez, ceci est passé entre les mains de nos laborantins, mangez, ceci a été labellisé, c’est un corps pur technologiquement testé.

Le contrôle sanitaire des produits devient de plus en plus drastique, empruntant la même voie que la surveillance des lieux publics. Dans le premier cas des analyses chimiques et biologiques, dans le second des caméras et des vidéos. La toile du contrôle s’étend. Comme dans le domaine des thérapies alternatives, de la psychothérapie et d’un nombre certain de professions qui deviennent encadrées par des normes de formations. Toute activité devient régie par un système législatif encadrant des dispositifs de sécurisation. L’homme est devenu un élément du système sous le contrôle des structures de formations et d’évaluation. La société, un gigantesque organisme technologique. Certes, des progrès dans l’efficacité ont été réalisés mais quelque part, les sociétés sont devenues un peu froides, sans âme, du moins en apparence et dans l’organisation du dispositif économique et politique. On ne verra nulle dictature technocratique mais une connivence avec une attente des individus en matière de sécurité, attente exprimée autant dans le domaine de la protection des personnes physiques que dans le contrôle sanitaire. Récemment, une loi de plus est passée, encadrant non seulement la vente de produits phytosanitaires utilisés dans l’agriculture mais aussi la diffusion d’informations relatives à des produits non homologués. Penchons-nous sur ce texte législatif.

Il y est question d’un article censé répondre aux attentes des citoyens et des consommateurs qui, bien que plombés par des tonnes de propagande sécuritaire, n’ont rien demandé. Cet article ne mentionne pas qu’il est une transposition d’une directive européenne sur la production, la mise sur le marché de produits non homologués. Avec ironie on dira que nos parlementaires post-vichystes ont décidé de collaborer avec l’occupant technocratique de Bruxelles, et même de faire du zèle, interdisant la publicité sur ces mêmes produits. Le texte est clair, puisqu’est évoquée explicitement une réglementation communautaire, laquelle communauté incarne depuis des années l’expression du formatage et de la standardisation des produits au nom d’une demande supposée des consommateurs, enfin, on veut bien y croire, mais pas moi. Il y aurait tant à dire sur cette Europe technocratique tissant ses normes sanitaires. Des lieux de pouvoirs, sans enjeu véritable. Les caricatures de la presse sont éloquentes. On se gausse de la taille des concombres dont Bruxelles se moque éperdument et l’on ignore souvent l’essentiel, ces discrètes mesures coercitives envers l’usage de produits naturels comme le purin d’ortie. L’idéologie sécuritaire semble être une denrée occidentale, d’Europe aux Amériques.

Faut-il rapprocher ces normalisations sanitaires de la standardisation dans les médias ? Si vous écoutez attentivement les reportages télévisés, vous avez sans doute noté que le commentaire parlé est récité avec toujours les mêmes intonations, en général une voix caressante et douce, un rythme plutôt apathique, comme s’il s’agissait de ne pas brusquer le téléspectateur. Ce sont des voix qu’on entend sur toutes les chaînes publiques, qu’on devine être celles de jeunes journalistes que l’on soupçonne avoir reçu une même formation pour produire des reportages, avec répétitions sous le regard des maîtres. Pas le moindre dérapage, tout est nickel, sans saveur, à l’image de ces fromages industriels rendus insipides pour ne pas heurter le palais. Même finalité dans les médias. Ne pas choquer l’oreille, présenter la chose sous couvert d’une objectivité factice. L’information quotidienne présentée avec l’esprit d’une existence sans accro, aussi existante que le vécu dans un pavillon de banlieue, là où justement le clampin se love sur son canapé, avec son assiette de chips-tapas, et se met à zapper.

Tout d’un coup, je viens d’entendre un coup de pistolet. Soyez rassuré, c’est juste une image, André Breton tirant en l’air pour effrayer la foule, histoire de rappeler qu’il y avait un temps des créateurs, des artistes, des inventeurs. Maintenant, l’une des figures emblématiques de la société contemporaine est le producteur, dans de multiples domaines, coopérant avec le formateur et l’expert, le contrôleur et l’opérateur. Ainsi va le monde technique, technologique et formaté. Faut-il s’en plaindre ? Après tout, ceux qui sont lésés représentent une minorité de professionnels. Les consommateurs disposent d’une offre sans précédent, et le téléspectateur n’est pas obligé de se coltiner des reportages insipides, offre médiatique oblige. On continuera à manger ces délicieux fromages qui puent, avec du caractère, tout en écoutant du métal ou bien des radios associatives et ses animateurs affichant la fraîcheur de l’amateurisme. Il n’y a pas vraiment d’issue possible contre ce système du formatage et du contrôle qui a encore de beaux jours devant lui, compte tenu de la demande publique, cette machine émotive désirante et craintive incapable de concevoir autre chose ; quant aux politiques et élites aux commandes, ils n’ont pas intérêt à tout chambouler vu le profit qu’ils tirent de ce système.


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