Bienvenue en dystopie

par Monolecte
vendredi 17 novembre 2017

Ça commence comme une histoire d’Isaac Asimov et tout de suite, on se dit que, ça y est, on est enfin arrivés dans le futur, même si, pour ma part, je continue à rêver de voitures qui volent.

En Arabie Saoudite, le robot Sophia, conçu par Hanson Robotics, s’est vu accorder la nationalité saoudienne. « Je suis très honorée de recevoir cette distinction unique », a déclaré le robot conçu pour ressembler à Audrey Hepburn sur scène, à l’occasion du sommet Future Investment Initiative, qui se tenait à Riyad.

Source : IA et robot citoyen en Arabie Saoudite : un « bluff dangereux » selon Laurence Devillers – Sciencesetavenir.fr

 

Et puis, en fait, très vite, on se rend compte que non. Enfin, si, on est bien dans le futur — on y glisse tous consciencieusement, seconde a près seconde —, mais non, ce n’est pas du tout une histoire d’Isaac Asimov. Et les points de divergences sont nombreux.

Déjà, contrairement à ce que peut laisser penser la presse qui a relayé assez abondamment la nouvelle, le robot en question n’a absolument rien demandé. Il ne s’agit pas là d’un être synthétique conscient et sensible qui après un long cheminement existentiel aurait décidé de revendiquer une forme d’humanité. Non, nous ne sommes toujours pas Prométhée, nous n’avons pas apporté le feu sacré de l’existentialisme aux grille-pains, même si un abus de langage devenu une tarte à la crème prétend que nous côtoyons des objets intelligents. Il s’agit en fait d’un simulacre (assez moche, par ailleurs) programmé pour faire semblant de ne pas l’être (programmé, pas moche) et à qui, par le fait du prince (au sens très très littéral de l’expression), on a accordé la citoyenneté… dans un pays qui ne brille pas vraiment par l’universalisme de sa conception de la démocratie.

Effet d’annonce

On l’aura compris, il s’agit en fait surtout d’un gros coup du pub… et dans ce domaine, on n’est vraiment, vraiment pas sortis de l’auberge espagnole des fils de pub et des markéteux vains.

« C’est une façon, pour le prince héritier Mohammed bin Salman, âgé de 31 ans, de montrer son désir de moderniser le pays », estime Laurence Devillers. Mais pour ce qui a trait à Sophia, « l’effet d’annonce est déplacé. C’est du bluff, il faut arrêter de fantasmer sur l’intelligence artificielle ! » Car Sophia, malgré sa voix et ses expressions réalistes, n’a aucune conscience de ce qu’elle raconte. Même lorsqu’elle annonce très calmement envisager détruire l’humanité (mars 2015, à l’occasion du festival SXSW).

Source : Idem

En fait, si le prince voulait vraiment moderniser son pays, il pourrait commencer par réellement accorder une citoyenneté pleine et entière à l’ensemble de sa population et plus particulièrement à la moitié d’entre elle qui est toujours aussi cruellement maintenue dans un état de dépendance et d’enfance perpétuelle assez cruel et méprisant. Il s’agit donc bien d’un simple effet d’annonce — dont nos propres gouvernants sont eux-mêmes très friands — et non pas d’un grand pas en avant, que ce soit du point de vue des Saoudien⋅ne⋅s que du reste du monde.

Violence symbolique

Mais surtout, cette idée d’offrir la citoyenneté à un objet, comme un colifichet à un gentil sauvage — et l’enthousiasme poli que cela a suscité dans les cercles technophiles internationaux — est surtout la marque du profond cynisme qui caractérise aujourd’hui l’ensemble de nos congénaires. Et là, on est nettement plus chez Aldous Huxley ou William Gibson dans la série des lendemains qui déchantent.

Car comment est-il possible de donner la citoyenneté à un objet, alors que dans le même temps, partout sur la planète, nous considérons certaines catégories de personnes comme inéligibles à cette qualité qui est pourtant censée être universelle  ? Comment peut-on avoir plus d’empathie pour un ordinateur vaguement humanoïde que pour des gens que nous dépouillons chaque jour davantage de leur simple humanité, les décrétant illégaux, indésirables, surnuméraires, leur refusant jusqu’au simple droit de vivre en leur interdisant de satisfaire leurs besoins vitaux  ?

EMPATHIE. Mais alors, d’où viennent les réactions émotionnelles très fortes que nous inspirent les robots humanoïdes  ? « Il y a effectivement un phénomène d’anthropomorphisation du robot, poursuit Laurence Devillers. Face à un robot qui ‘buggait’ et s’écrasait tout seul au sol, incapable de se relever, j’ai entendu des gens me dire que la machine leur rappelait leur jeune bambin apprenant à marcher ! » Un concept formalisé par le roboticien japonais Masahiro Mori dès 1970 sous le nom de « vallée dérangeante », ou encore « vallée de l’étrange », et qui se présente comme suit : plus un robot nous ressemble, plus il nous semblera sympathique… jusqu’à ce que soudainement, les infimes différences nous paraissent monstrueuses. Un phénomène dont tirent d’ailleurs parti les films de science-fiction et d’horreur lorsqu’il s’agit de concevoir diverses créatures…

Source : Idem

Finalement, ce que révèle cette opération markéting pathétique, c’est notre profonde monstruosité, notre incapacité pathologique à faire espèce et donc, à nous penser un destin commun.

Le vrai visage de l’humanité  ?

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