Bon anniversaire, Oscar !
par morice
mardi 18 décembre 2007
Le samedi 15 décembre dernier, sur un building de Sao-Paulo, au Brézil, on a vu une étrange inscription apparaître : un énorme 100, ornant la façade de l’immeuble Copan. Les touristes se sont demandés quoi... mais pas les Brésiliens, et encore moins les habitants du quartier. Ce jour-là, on fêtait les cent ans, oui, cent ans, du constructeur de l’immeuble. Ou plutôt de son architecte, Oscar Niemeyer. Le créateur de Brasilia, et très certainement l’un des plus grands architectes au monde, sinon le plus grand.
Niemeyer n’est pas n’importe quel architecte, il n’est pas non plus n’importe quel homme. C’est un homme de conviction. Engagé en 1936 dans les brigades internationales, il avait démissionné en 1970 de l’Académie américaine d’arts et de sciences avec fracas pour protester contre la guerre du Viêtnam. Je vois d’ici déjà certains lecteurs se lever et dénoncer le Niemeyer communiste... qu’il a été et est encore, au contraire de Lula, le président du Brésil, qui est revenu sur son passé. Là n’est pas le problème, au-delà ce qu’il peut penser, arrêtons-nous d’abord sur ce qu’il va laisser derrière lui. Et là, force est de constater que les critiques se taisent assez vite. Celui que Le Corbusier en personne avait rejoint en Zeppelin au Brésil pour travailler sur le projet de ministère de l’Education ne peut laisser indifférent. Ensuite, il fit Brasilia, surgie du milieu de la jungle. Ses œuvres étonnantes parlent pour lui. Et ce, depuis plus de 70 ans maintenant !
Aujourd’hui, à cent ans, Niemeyer peut tout se permettre : à sa fille qui lui demande s’il veut se rendre à un hommage officiel que souhaite lui rendre le président actuel du Brésil, Lula, il fait répondre : "Je n’y vais pas. Qu’il vienne ici, s’il veut." A cet âge, et vu son palmarès, Niemeyer a tous les droits, y compris celui de rabrouer des présidents. Niemeyer, au final, ne s’est pas dérangé. C’est le président Lula lui-même qui s’est rendu à son bureau de Rio. Pour lui remettre une médaille, une cérémonie qui a eu lieu le 29 novembre dernier et a duré vingt minute à peine. Oscar n’en a plus rien à faire des hommages, il a déjà tout eu. Mais comme il est poli, il les accepte. Sans plus. Lui, préfère continuer à travailler, inlassablement. Et dessiner à 97 ans un autre chef-d’œuvre qui s’ajoute à sa longue liste : l’auditorium d’Ibirapuera, qu’on jugerait tout droit sorti du cerveau d’un architecte de 20 ans. Difficile de faire plus épuré, difficile d’oser faire de même à moins d’avoir gardé une jeunesse d’esprit intacte. Avec une idée magnifique, celle de pouvoir ouvrir le fond de scène pour offrir la vue sur le parc environnant. Niemeyer s’est fait plaisir, lui, avec un improbable entrelacs rouge qui court le long des murs de l’entrée, juste après avoir franchi une porte pont-levis et langue rouge en même temps. Le parc, appartenant à la société TIM cellular, avait été offert à la ville de Sao-Paulo. Un petit joyau avec au milieu la perle de Niemeyer.
A voir la photo de l’ambassadeur de France au Brésil lui remettre la Légion d’honneur, en le faisant directement commandeur, le 13 décembre dernier, on se dit que les honneurs, vraiment, ce n’est pas sa tasse de thé. Les Français, qui ont l’art de rater les grands rendez-vous, le prouvent encore. Ce jour-là, ce n’est pas l’honneur qui l’a marqué, mais c’est sa provenance : il s’est déclaré "très content de recevoir une décoration qui vient d’un pays où j’ai reçu toutes les possibilités de travail, d’un pays qui a toujours donné des exemples de lutte avec ses révolutions"... A cent ans, Oscar Niemeyer, qui a connu Malraux et Picasso, salue toujours les gens qui bougent ou qui ont su bouger, et non les régimes figés ou les esprits du même acabit. C’est donc évident : il mourra plus jeune que beaucoup d’entre nous... Bon anniversaire, Oscar...
PS, ou plutôt PC : pour ceux qui ne le savent pas encore, Niemeyer avait dessiné (bénévolement !) le siège du PC parisien, au 2 de la place du colonel Fabien. On peut visiter, le siège n’est pas à vendre contrairement à ce qui avait été dit ces derniers temps. En fait, tout le monde le connaît, car à chaque fois qu’un reportage télé a eu lieu à cet endroit, tout le monde a noté cette architecture si inhabituelle de soucoupe volante, son entrée à la Star Trek et qui, 27 ans après son inauguration, continue à surprendre. Depuis, l’immeuble est classé monument historique. Un peu comme le PC dirons certains : voilà, c’est dit, et ça leur évitera de le dire.