Burkini : le Conseil d’Etat a tranché

par Taverne
samedi 27 août 2016

Le juge des référés du Conseil d'Etat (affaires nos 402742 et 402777), par une ordonnance du 26 août 2016, a décidé l'annulation de l'ordonnance du tribunal administratif qui avait donné raison au maire de la commune de Villeneuve-Loubet. Ce maire avait interdit, par un arrêté du 5 août 2016, le port de la tunique religieuse sur la plage, en les termes exacts ci-dessous :

(article 4.3) « Sur l’ensemble des secteurs de plage de la commune, l’accès à la baignade est interdit, du 15 juin au 15 septembre inclus, à toute personne ne disposant pas d’une tenue correcte, respectueuse des bonnes mœurs et du principe de laïcité, et respectant les règles d’hygiène et de sécurité des baignades adaptées au domaine public maritime. Le port de vêtements, pendant la baignade, ayant une connotation contraire aux principes mentionnés ci-avant est strictement interdit sur les plages de la commune ».

Le Conseil d'Etat a été saisi en urgence par la Ligue des droits de l’homme et autres - association de défense des droits de l’homme collectif contre l’islamophobie en France. Le juge des référés a admis l'urgence et l'atteinte aux libertés fondamentales et il a suspendu l'exécution de l'article 4.3 de l'arrêté du maire.

Le juge n'a eu qu'à rappeler les grands principes qui régissent notre droit et notre république, à savoir, la Constitution française dont l'article 1er de son préambule, la loi 1905, la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Il s'est aussi référé, très concrètement, au code général des collectivités territoriales dont l'article L. 2212-1 dit que le maire est chargé de la police municipale, à savoir : « d’assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques ».

L’article L. 2213-23 dispose en outre que : « Le maire exerce la police des baignades et des activités nautiques pratiquées à partir du rivage avec des engins de plage et des engins non immatriculés…Le maire réglemente l’utilisation des aménagements réalisés pour la pratique de ces activités. Il pourvoit d’urgence à toutes les mesures d’assistance et de secours. Le maire délimite une ou plusieurs zones surveillées dans les parties du littoral présentant une garantie suffisante pour la sécurité des baignades et des activités mentionnées ci-dessus. Il détermine des périodes de surveillance… ».

Ainsi que l’ont confirmé les débats qui ont eu lieu au cours de l’audience publique, ces dispositions ont entendu interdire le port de tenues qui manifestent de manière ostensible une appartenance religieuse lors de la baignade et, en conséquence, sur les plages qui donnent accès à celle-ci.

I - Rappel par le juge du cadre de la mission du maire

Le point 5 est très important. Il rappelle que, si le maire est chargé du maintien de l’ordre dans la commune, il doit concilier l’accomplissement de sa mission avec le respect des libertés garanties par les lois.

Il en résulte que les mesures de police que le maire d’une commune du littoral édicte en vue de réglementer l’accès à la plage et la pratique de la baignade doivent être adaptées, nécessaires et proportionnées au regard des seules nécessités de l’ordre public, telles qu’elles découlent des circonstances de temps et de lieu, et compte tenu des exigences qu’impliquent le bon accès au rivage, la sécurité de la baignade ainsi que l’hygiène et la décence sur la plage. Il n’appartient pas au maire de se fonder sur d’autres considérations, et les restrictions qu’il apporte aux libertés doivent être justifiées par des risques avérés d’atteinte à l’ordre public.

Donc, si les deux articles précités du code général des collectivités territoriales accordent effectivement un pouvoir de police administrative au maire pour la réglementation de la baignade, notamment, les conditions qu'il doit respecter sont les suivantes : 

- sa mission doit s'accomplir dans le respect des libertés garanties par les lois,

- les mesures qu'il édicte dans le cadre de cette mission doivent être justifiées par les seules nécessités d'ordre public appréciées selon les circonstances de temps et de lieu,

- elles doivent être rendues nécessaires par ces nécessités, adaptées et proportionnées à celles-ci,

- le maire ne peut pas invoquer d'autres considérations que ces nécessités,

- enfin, les restrictions qu’il apporte aux libertés doivent être justifiées par des risques avérés d’atteinte à l’ordre public.

II - Appréciation du cas d'espèce

- Le juge constate que les nécessités d'ordre public sont inexistantes :

"6. Il ne résulte pas de l’instruction que des risques de trouble à l’ordre public aient résulté, sur les plages de la commune de Villeneuve-Loubet, de la tenue adoptée en vue de la baignade par certaines personnes. S’il a été fait état au cours de l’audience publique du port sur les plages de la commune de tenues de la nature de celles que l’article 4.3 de l’arrêté litigieux entend prohiber, aucun élément produit devant le juge des référés ne permet de retenir que de tels risques en auraient résulté."

- Il déclare les autres justifcations illégales :

"En l’absence de tels risques, l’émotion et les inquiétudes résultant des attentats terroristes, et notamment de celui commis à Nice le 14 juillet dernier, ne sauraient suffire à justifier légalement la mesure d’interdiction contestée."

- En conséquence, il n'existe par de "risque avéré".

"Dans ces conditions, le maire ne pouvait, sans excéder ses pouvoirs de police, édicter des dispositions qui interdisent l’accès à la plage et la baignade alors qu’elles ne reposent ni sur des risques avérés de troubles à l’ordre public ni, par ailleurs, sur des motifs d’hygiène ou de décence."

- De plus, l'arrêté incriminé porte une grave atteinte aux libertés fondamentales :

"L’arrêté litigieux a ainsi porté une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales que sont

— > la liberté d’aller et venir,

— > la liberté de conscience,

— > la liberté personnelle."

Pour finir, le juge des référés, estimant que les atteintes à ces libertés caractérisent l'urgence requise pour faire usage des pouvoirs qu’il tient de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, annule l’ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Nice du 22 août 2016 et ordonne la suspension de l’exécution de l’article 4.3 de l’arrêté du maire de Villeneuve-Loubet en date du 5 août 2016.

III - Mon commentaire

Tout ceci a eu pour point de déclenchement la rixe de Sisco en Corse. Certains maires ont décidé de battre le fer tant qu'il est chaud dans l'opinion en prenant des arrêtés d'interdiction de tenues de baignade qui sont à leurs yeux inappropriées. Ils se sont fondés sur le principe de précaution, sans qu'un danger quelconque ait pu se vérifier concrètement.

A partir de là, leurs décisions encouraient l'annulation par le juge puisque, rappelons-le, en France « la liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui » (Déclaration des Droits).

Par ailleurs, c'est par un amalgame douteux qu'ils ont eu recours à ce procédé, parce que les faits relatés par le procureur de Corse montrent qu'il n'y avait pas de burkini en cette affaire et que les musulmans agressifs n'étaient pas des nationaux mais des Marocains en vacances. 

Cela n'a pas empêché ces maires du parti des Républicains de tirer prétexte de cet évènement pour allumer la mèche de la peur et du populisme, à un moment où justement le candidat Sarkozy annonçait un programme très chargé en mesures de restrictions aux libertés. Coïncidence ? Ou pas...

On ne pouvait pas exploiter ce fait divers pour évoquer les musulmans nationaux qui ne respectent pas la laïcité française ni pour stigmatiser le burkini. Et pourtant, ils l’ont fait.

Quand des responsables locaux en arrivent à justifier leurs atteintes aux libertés pas leur fantasme personnel de soi-disant trouble public, ce sont eux qui, en réalité, cause du trouble. Le remède est pire que le mal.

Quand on en est réduit à attendre comme le Messie la décision du juge administratif qui ne fait pourtant que dire le droit (il ne fait pas la loi), c’est que l’on a perdu toute foi en ses valeurs, perdu tout repère et tout sens de la mesure et du raisonnable.

Ce n’est pas le rôle du juge de régler toute la vie de la cité et ni de définir la sphère du religieux.

C'est aux maires d'exercer leurs responsabilités de magistrats de leurs cités en ouvrant le dialogue avec les communautés concernées, ceci afin de définir certaines règles de discrétion ou de respect du deuil (pour Nice). Ces accords pourraient prévoir le rôle d’un médiateur pour intervenir auprès des femmes voilées sans violence, avec bienveillance. Ce n’est qu’en cas de provocation grave et avérée, que le médiateur contacterait la police municipale pour régler le cas au mieux.

Qu’est-ce qui empêche, en effet, la ville de trouver une entente avec la communauté musulmane ?

Le dialogue est toujours préférable aux actions en justice et aux mesures de rétorsion. Je dirai plus : les valeurs humaines universelles, comme le respect réciproque, le dialogue, l'hospitalité (etc.) doivent prévaloir sur les valeurs inauthentiques que sont les valeurs identitaires.

Les rares cas de potentiel risque de trouble psychologique pouvaient se régler sans mettre sens dessus dessous les valeurs de la France ni envahir tout l’espace médiatique, politique et judiciaire.

Et les femmes là-dedans ? On a comme une sensation désagréable qu'on ne leur a pas demandé leur avis. Les élus concernés se sont comportés en machos, à la manière des fanatiques religieux qu'ils dénoncent. Dans les deux cas, il y a excès et des hommes prétendent régenter la vie de la femme pour le bien de celle-ci. Sans doute qu'ils savent mieux qu'elles ce qui est bon pour elles. Pourquoi ne pas les placer sous leur tutelle ?

Deux ministres femmes ont eu le courage de faire entendre leurs désaccords, mais le matador Manuel Valls a tenu à dire officiellement que c'est lui qui a le dernier mot en tout, même en matière de liberté de pensée.

Alors, s'il faut défendre nos valeurs efficacement, ne le faisons pas en nous tirant une balle dans le pied. La défense ne s’improvise pas, c’est un art de stratège. Et gardons nos forces (de police, de justice, de citoyens vigilants) pour lutter contre les dangers réels. Nous avons appris, par exemple, aujourd'hui, que la ministre de l'Education a mis hors d'état de nuire des enseignants qui avaient une fiche "S". Ils ont été suspendus.

Agissons ensemble pour nos valeurs mais aussi pour les valeurs humaines supérieures et ne nous laissons pas détourner par des chiffons que l'on agite sous notre nez.


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