Burqa : éducation, pédagogie, dialogue…

par bright nantes
mardi 30 juin 2009

Si l’on en croit les commentateurs : « Le port du voile intégral bouscule la tradition laïque française » (Le Monde, 20 juin 2009). « Notre république laïque doit se saisir de cette question » (André Gérin, député PCF, dans 20minutes.fr, le 18 juin 2009). "Il faudrait d’une manière ou d’une autre interdire le port de la burqa ou du niqab", a déclaré le porte-parole du PS avant de s’en prendre à Nicolas Sarkozy sur la laïcité. (Benoît Hamon dans le Journal du Dimanche, le 21 juin 2009) « Nous nous félicitons de l’initiative d’André Gérin, mais nous ne sommes pas rassurés. Le président de la République n’est pas un laïque, c’est Nicolas Sarkozy. Nous n’avons pas oublié, récemment, son soutien spectaculaire aux propos honteux d’Obama, visant la France, sur le voile. » (Riposte laïque, supplément week-end du 18 juin 2009)
 

Non ! La tradition laïque française n’est pas bousculée.


N’en déplaise à tous ces commentateurs, le port du voile intégral dans les rues ne « bouscule » pas la tradition laïque française, pas plus d’ailleurs qu’il ne bouscule la tradition laïque américaine sur laquelle s’appuie le président Obama et qui est décidément très méconnue de ce côté-ci de l’Atlantique : la laïcité, dans la tradition des Lumières commune aux révolutions française et américaine, peut être définie comme la liberté de conscience (et donc la liberté d’expression, dont la tenue vestimentaire est une des dimensions, sans laquelle une affirmation de liberté de conscience n’aurait aucun sens) garantie par la séparation des églises et de l’Etat.


En France elle s’est exprimée à de multiples reprises. Dans la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen (26 août 1789) tout d’abord puisque l’article 10 de la déclaration affirme que « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble par l’ordre public établi par la loi », et jusqu’à aujourd’hui dans l’article 1 de la loi du 9 décembre 1905 : « La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes » sous les seules restrictions dans l’intérêt de l’ordre public. Aux Etats-Unis elle s’exprime à travers le fameux « 1er amendement » interprété par Thomas Jefferson comme établissant un « mur de séparation » entre Etat et Religion.


Le port du voile intégral, qu’on aurait du mal à présenter comme procurant un trouble grave à l’ordre public, ne saurait donc être interdit dans l’espace public au nom de la « laïcité » : la laïcité n’est pas une hostilité aux religions et aux manifestations de leurs adeptes, même les plus dérangeantes pour un esprit libre ; elle est au contraire la garantie de la liberté la plus grande à celles et ceux qui adoptent une religion comme à celles et ceux qui ne se reconnaissent dans aucune, à égalité de droits ; le moyen de cette égalité c’est que l’Etat ne reconnaisse ni ne subventionne aucun culte : tel est l’objet de l’article 2 de la loi du 9 décembre 1905.


Au regard de la laïcité institutionnelle et scolaire le port du voile islamique, intégral ou non, est interdit dans les écoles publiques tout comme l’est son port par les fonctionnaires en contact avec le public : tel est le sort du port de tous les signes religieux ostensibles (voiles, croix, kippa, etc.) ; cela résulte de nombreux textes réglementaires, tels la circulaire de Jean Zay du 31 décembre 1936 qui entendait « maintenir l’enseignement public de tous les degrés à l’abri des propagandes politiques » complétée par celle du 15 mai 1937, qui précisait que « les mêmes prescriptions s’appliquent aux propagandes confessionnelles. L’enseignement public est laïque. Aucune forme de prosélytisme ne saurait être admise dans les établissements ». Cette tradition républicaine française a été réaffirmée par la loi n°2004-228 du 15 mars 2004 encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics. Souvent mal comprise, y compris dans l’Union Européenne, cette tradition laïque nécessite un effort inlassable de pédagogie.


La laïcité institutionnelle et scolaire n’est donc pas malmenée par le développement (qu’il reste néanmoins à caractériser pour instruire sur la base des faits et non de fantasmes) du port du voile intégral. Il n’en est pas de même pour la condition féminine.


Faudrait-il alors l’interdire au nom de la dignité de la femme ?


Il est clair que le message que nous, occidentaux fils et filles des Lumières, recevons quand nous voyons ces femmes musulmanes entièrement recouvertes de la tête au pied, est un message de soumission que nous ressentons comme intolérable ; il en est de même quand nous découvrons les femmes de Meha Sharim telles que Amos Gitaï nous les révèle dans son film Kaddosh ; et il en est de même si nous croisons ces religieuses catholiques en habit, sans oublier celles que nous ne croisons pas, cloîtrées qu’elles sont dans leurs couvents… D’aucuns diront, à juste titre, que d’autres prisons, d’autres servitudes volontaires, certaines vestimentaires et d’autres non, peuvent enfermer les femmes, y compris « à l’insu de leur plein gré », de façon largement aussi efficace…


Il ne s’agit pas de faire la place au « relativisme culturel » ; il ne s’agit pas de se faire l’avocat du « droit à la différence » ; la revendication du « droit à la différence », de toute nature, masque trop souvent la revendication d’une « différence des droits » ; les citoyens de religion musulmane ont, dans notre pays, ni plus ni moins les mêmes droits et les mêmes obligations que les autres citoyens, de quelque religion ou absence de religion ils se revendiquent ; telle est la différence essentielle entre un citoyen musulman qui réside dans la France laïque et un ressortissant musulman qui réside en un pays soumis à la charia : la femme qui entend s’extraire de la tradition dans laquelle elle a été élevée trouvera en France, si elle le souhaite, le soutien de la loi et de la puissance publique. Mais, en vertu du même principe d’égalité des droits, les citoyens de confession musulmane n’ont et ne doivent avoir aucun privilège ni aucun devoir particuliers à remplir : de ce point de vue, la liberté de conscience et d’expression d’une femme se revendiquant musulmane doit lui permettre de porter burqa ou niqab, là encore… si elle souhaite.


Abordons alors franchement les questions qui fâchent.


Prenons d’abord la dimension sécuritaire. Repli ultime fréquent mais question la plus facile à résoudre. Daniel Pipes écrit que « n’importe qui peut se dissimuler sous ces linceuls – homme ou femme, musulman ou pas, bon citoyen, fugitif ou criminel – et y nourrir on ne sait quel projet malveillant. »... Certes… mais n’importe qui peut aussi nourrir de tels projets sans se dissimuler à nos regards et, en l’occurrence, dans nos pays occidentaux, le choix d’un tel accoutrement attire les regards et suscite la vigilance plus qu’il ne permet de passer inaperçu. La dimension sécuritaire n’est pas bien compliquée à gérer et les réponses techniques comme de bon sens sont faciles à identifier et à mettre en œuvre par les professionnels pour permettre d’identifier les individus. Elles ne rencontreront aucun obstacle de quiconque dès lors que les objectifs sont identifiés et les réponses proportionnées à l’objectif.


Venons-en alors à l’argument central évoqué à l’appui de la demande d’interdiction : les femmes seraient contraintes (par leur mari, leur famille, leur milieu, …) de s’enfermer dans cette prison vestimentaire. Certes tous les cas de figure sont probablement dans la nature. Le plus basique réside, pour des femmes âgées ou d’émigration récente, dans la tradition tribale plus que religieuse ; Etienne de la Boétie nous l’enseignait déjà dès le début de la Renaissance : « La première raison de la servitude volontaire, c’est l’habitude ». D’autres femmes sont probablement contraintes, et, dès lors qu’elles se trouvent en France elles doivent y trouver la protection de la loi ; là aussi, comme pour la sécurité, des dispositifs peuvent et doivent être pensés et mis en œuvre par les professionnels, comme il en existe pour d’autres atteintes aux individus dans le secret des familles (femmes battues, enfants maltraités, etc.). D’autres enfin, surtout semble-t-il chez les plus jeunes, ne semblent guère forcées de porter cette tenue, mais semblent réaliser ce choix par repli identitaire, bien souvent à la surprise et contre l’avis de leur famille, sous l’influence notamment du contexte international.


Même s’il est avéré que certaines jeunes femmes affirment que cela représente un réel choix personnel, il est clair que ce choix contribue à l’oppression de celles qui voudraient résister ou s’émanciper. Nous ne devons donc pas taire que ce choix est contraire aux valeurs humanistes que nous portons, mais nous ne devons pas nous laisser pour autant emporter à renoncer à ces valeurs humanistes… La république française, en adoptant le mot « liberté » comme premier mot du triptyque républicain s’est affirmée contre ceux qui préconisaient le célèbre « pas de liberté pour les ennemis de la liberté ». De l’autre côté de l’Atlantique, un juge de la cour suprême américaine, tenait en 1929, parlant du 1er amendement, un propos que nous pouvons reprendre à notre compte :


"S’il y a un principe de la Constitution qui doit être plus impérativement protégé que les autres, c’est celui de la liberté de pensée. Pas la liberté de pensée pour ceux qui sont d’accord avec nous, mais la liberté de pensée pour ceux dont nous haïssons les pensées.". 


Ainsi, vous l’aurez compris, je fais mienne la conclusion d’Eric Besson, vendredi dernier sur Europe 1 : « il faut lutter contre le développement de la burqa, ça ne fait pas l’ombre d’un doute, mais il faut le faire par l’éducation, par la pédagogie, par le dialogue. ». Je fais mienne la conclusion de la ligue de l’enseignement, principale organisation laïque française avec ses deux millions de membres : "La question décisive est bien celle de l’égalité entre les hommes et les femmes. (...) Une loi [d’interdiction] risque de stigmatiser une population et être attentatoire aux libertés (...). la seule solution est celle qui allie la fermeté sur les principes et la constance dans le travail d’intégration à la société. (...) Cette voie est certes longue et difficile, mais c’est la seule efficace."

Sources des citations : http://www.les-progressistes.fr et http://www.laicite-laligue.org


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