Burqa ou francité
par HappyPeng
vendredi 18 juillet 2008
Les réactions sur la récente affaire dite de la burqa tendent à montrer que certains souhaiteraient voir défini le droit à la nationalité en termes de coutume, d’image, de culture ou de valeurs, en bref, d’une certaine francité. Il serait pourtant temps de se rendre compte de l’incohérence de cette idée, en fait simplement révélatrice du malaise de notre société face à la réalité d’aujourd’hui.
L’identité nationale
Pour que la francité définisse le droit à la nationalité, il faudrait de façon indispensable la définir dans le droit, et donc l’expliciter, puisqu’il ne peut évidemment se satisfaire de bon sens. L’affaire de la burqa montre déjà que, pour beaucoup de Français, certains types de vêtements sont incompatibles avec la francité.
Ce recensement légal de critères pourra donc commencer par la définition complète de critères vestimentaires permettant de savoir ce qu’est une tenue digne d’obtenir la nationalité française, avec bien entendu des formes, tailles et autres propriétés précises. Si ces vêtements ne peuvent pas être trop longs et couvrants, ils ne peuvent pas non plus être trop courts ou découverts, notamment pour éviter de choquer Eric Raoult.
On pourrait ainsi multiplier les exemples, comme la nécessaire définition exacte des types de cuisine autorisés pour ne pas choquer les narines françaises, le niveau de décibels auquel il est acceptable de parler dans les rues de Paris pour ne pas perturber les oreilles françaises, ainsi que des conventions à signer sur le temps maximal acceptable pour laisser ses enfants jouer dehors tout seuls, avant que la police ne doive venir s’en mêler.
De la même façon, l’acceptation des valeurs nécessite la définition d’une philosophie officielle, elle-même à l’origine des jugements et comportements acceptables pour la francité.
Il ne s’agit en fait de rien d’autre que de définir le Français type ; caractères physiques et religieux exceptés, et encore, car ayant pénétré le stade du politiquement correct grâce à un passé peu glorieux. Cette tâche incombe naturellement au ministère de Brice Hortefeux, au vu de son intitulé.
Le Français idéal
Puisque nous sommes un peuple de débat et de rationalité, les citoyens souhaitent donc naturellement débattre de ce que sont les critères souhaitables de la francité.
C’est ainsi que l’on verra apparaître de forts sérieux et construits arguments sur le fait que la burqa empêche la communication non verbale, augmente dangereusement la température corporelle en été, pose des problèmes d’hygiène, empêche de se déplacer correctement et, finalement, n’est pas esthétique.
Mais moi, je trouve qu’un costume aussi ça tient trop chaud pour la santé, ça cache certains signes corporels, ça cultive les bactéries si on n’en prend pas soin régulièrement, ça n’est pas adapté pour sauter les barrières du métro et sur certaines morphologies c’est franchement moche. Je pense donc qu’il serait préférable que Nicolas Sarkozy et son gouvernement soient nus dans le cadre de leurs fonctions officielles.
Nous entamerons sans doute aussi un jour un débat scientifique sur les qualités gustatives, odorantes, nutritives, esthétiques et somme toute artistiques comparées de la choucroute et du couscous, en n’omettant pas le fait que le porc donne du cholestérol, mais que l’on peut mourir de faim si l’on n’en mange pas dans le cas où l’on se retrouverait enfermé dans une charcuterie.
Nous pourrions ainsi prendre pour référence les philosophes allemands et japonais des années 1930, qui s’écrivaient pour prouver d’un côté qu’il vaut mieux être grand, blond, aux yeux bleus, baraqué et en pantalon, et de l’autre petit, aux cheveux et aux yeux noirs, fins et en kimono. Ils ne sont d’ailleurs parvenus qu’à une conclusion, c’est qu’il valait mieux en ce temps-là être Aryen ou Japonais que Juif ou Coréen.
Plus Français que personne
Une fois cette normalisation établie, restera encore à trouver les individus y correspondant. Par exemple, bien que de nationalité française, certains de mes ancêtres ne sont pas Européens, ni même Occidentaux ; je n’ai aucun respect pour les institutions de la République, notre président, notre drapeau et notre hymne, qui ne méritent que d’être changés, fut-ce par la Révolution ; je critique ouvertement la philosophie des Lumières et la religion chrétienne ; je ne voue aucun culte au passé français, bien au contraire ; il m’arrive d’écouter de la musique américaine fort et de cuisiner de la nourriture chinoise, parfois plusieurs fois par semaine ; à Paris, je vis avec un Tunisien, qui me prépare des tajines ; j’aime une Japonaise ; j’envisage donc de ne pas passer toute ma vie sur le territoire national et de pouvoir pratiquer d’autres langues que le français au quotidien.
Dès lors, si j’ai le droit à la nationalité française alors que je viole sans aucun doute un très grand nombre de critères de francité, au point sans doute d’être considéré comme membre de l’Anti-France par certains co-détenteurs de passeport République française, pourquoi quelqu’un d’autre qui vivrait comme moi n’y aurait pas droit ?
La fin de la nation
En réalité, alors que par le passé la distinction entre les peuples nationaux pouvait relativement bien se faire en pratique à cause de leur isolement relatif, le développement des échanges matériels et humains par les moyens de transport et de communication ont eu pour effet de brouiller toutes les frontières en permettant aux individus de connaître et souvent d’adopter certains caractères qu’ils pouvaient rencontrer. Cette idée d’une possible distinction, rationnelle ou pratique, est donc morte car incompatible avec la réalité de notre monde.
La crispation autour de l’idée d’identité nationale, source de toute cette folie, est liée à l’attachement sentimental irraisonné à une pensée aujourd’hui invalidée. Elle ne pourra que disparaître, avec plus ou moins de douleur.