C’est la crise, élisez un narcissique, lol !
par Bernard Dugué
vendredi 12 août 2011
Si l’on en croit les conclusions récentes d’une équipe de psychologues néerlandais, les individus au caractère narcissique affirmé passent pour des bons leaders, mais le sont-ils vraiment une fois qu’ils occupent un poste de direction ? Pas vraiment, répondent nos chercheurs en psychologie. Voilà une étude intéressante qui ne manquera pas d’apporter quelques éclaircissements pimentés sur la vie managériale et notamment sur la politique contemporaine. Non sans rappeler ce retentissant essai de Lasch sur le développement de la culture du narcissisme aux Etats-Unis à la fin des seventies. Un essai qui 20 ans après sa parution, demeure plus actuel que la plupart des livres sociologiques parus depuis, si l’on en croit les dires de JC Michéa qui en assura la réédition aux éditions Climat. Mais au juste, qu’est-ce que cette culture du narcissique ? Sans répondre explicitement à la question, on soulignera que l’étude de Lasch porte essentiellement sur une classe sociale précise, celle des managers, politiciens et autres élites aux commandes des affaires, administrations, institutions et industries. Le narcissisme est présent sous des types diversifiés et se manifeste avec de multiples traits dans les comportements. Sans doute, le développement des médias, conjointement à l’avènement du culte du moi et du développement personnel, a infléchi les sociétés dans cette culture narcissique en atteignant en premier lieu les élites, des individus suffisamment aisés pour qu’ils consacrent l’essentiel de leurs activités au bénéfice de leur précieuse personne. C’est donc avec un intérêt spécial qu’on réfléchira aux conclusions de ces chercheurs néerlandais.
L’étude a été effectuée sur 150 participants séparés en groupes de trois, avec un décideur tiré au sort, auxquels une tâche fut assignée, celle de recruter un bon candidat pour un job, sur la base de 45 informations livrées sélectivement et pouvant être partagées. Le protocole expérimental est compliqué mais les résultats sont exposés clairement et se livrent à des interprétations tangibles. Il ressort deux choses de ces expériences. Premièrement, les leaders dont les traits narcissiques sont accentués sont considérés comme les meilleurs. Deuxièmement, en observant le résultat du recrutement fictif, il apparaît que les groupes dirigés par un narcissique font en général un mauvais choix. Etrange en apparence mais pas tant que ça.
En fait, les leaders narcissiques sont coutumiers d’attitudes autocrates. Leur égocentrisme est amène à « jouer perso » comme on dit. Centrés sur leur petite personne, ils n’ont pas de propension à partager, échanger des informations et surtout, accueillir des avis divergents et diversifiés. A la limite, un narcissique préfère prendre une mauvaise décision qui repose sur ses convictions plutôt que de prendre la bonne décision qui, suscitée par l’avis d’un autre, sera jugée comme un échec et un signe de dévaluation personnelle. Selon Barbara Nevicka, qui a conduit cette étude, le caractère narcissisme affirmé exerce un effet délétère affectant la performance dans la prise de décision, la raison étant que ce trait inhibe la communication et l’échange en favorisant le nombrilisme et l’autoritarisme. Le narcissique tendrait à pratiquer le « moi je » plutôt que de se réclamer du « nous allons ». Si ce détail vous rappelle un individu discourant derrière son pupitre, vous n’avez pas tout faux. Selon Nevicka, le groupe gagne en efficacité lorsqu’il est dirigé par individu qui sait partager, communiquer et tracer des synthèses en incluant les avis diversifiés et pertinents.
Cette étude met donc en évidence deux points essentiels. Le premier, plutôt attendu, révèle le côté néfaste du caractère narcissique dans des tâches où l’échange et la coopération sont indispensables. Le second, plus surprenant, montre que les individus narcissiques sont considérés comme les leaders les plus aptes et les mieux constitués pour diriger les opérations. Ce fait pouvant donner lieu à deux interprétations complémentaires. D’abord, si un narcissique apparaît comme un bon manager ou dirigeant, c’est parce que le reflet de sa propre image lui donne une assurance suscitant la confiance et l’adhésion des autres. Bref, un type qui montre de l’assurance serait forcément l’homme qui saura prendre les décisions et guider le groupe. Ensuite, on peut tout aussi bien invoquer un trait opposé parmi ceux qui veulent être dirigés. Le fait d’avoir un type sûr de lui permet de se délester des responsabilités et de ne pas endosser le poids lié à la décision. Nonobstant cette remarque personnelle, Nevicka nous invite à réfléchir aux conséquences de cette étude en l’appliquant au monde du travail. Les narcissiques savent convaincre (et même embobiner ?) et le danger réside dans la distorsion entre l’image positive du leader et ses réelles compétences en terme de projets et de réussite d’un groupe. Bien souvent, les individus s’en remettent à un leader qui sait inspirer confiance du haut de sa narcissique prestance mais se révèle être un piteux manager conduisant le groupe dans des stratégies perdantes et inefficaces.
Pour finir, cette remarque de Nevicka prêtant à quelque facétie. Par temps de crise, les individus auraient tendance à choisir des leaders narcissiques. Ce qui est pour le moins paradoxal puisque par essence, la crise est le moment où il faut prendre des décisions et où le partage de bonnes informations peut s’avérer décisif. Autrement dit, plus les décisions demandent du savoir faire décisionnel, moins les individus optent pour un leader compétent. Mais ils choisissent celui qui affiche le plus de prestance, brasse le plus de discours, s’auto-congratule avec aisance. Vaste dilemme entre le rationnel et l’irrationnel. Quand une crise se dessine, les esprits animaux sont fébriles et préfèrent résoudre leur anxiété en privilégiant le narcissique en lequel ils croient, plutôt que de réfléchir et d’user de la raison pour élire des politiciens moins sûrs mais plus compétents pour trouver des solutions en s’entourant de bons conseillers. Inutile de préciser les effets négatifs du narcissisme dans tous les secteurs où ce trait de comportement tend à se répandre, que ce soit dans le monde de la politique, de la gestion, des institutions publiques ou même dans les associations. On savait déjà que le carriérisme coûtait aux entreprise, que dire alors du narcissisme dont les ressorts sont différents car si le carriériste œuvre au service de ses intérêts personnels matériels, le narcissique travaille au service de son moi hypertrophié. Et sait se placer, surtout en temps de crise. Extrait du livre de Lasch :
« L’habileté à manier ou à gérer les crises, aujourd’hui largement reconnue comme l’essence de l’art de gouverner, doit sa vogue à la confluence du politique et du spectacle. La propagande cherche à instiller au public un sens chronique de la crise qui, à son tour, justifie l’extension du pouvoir exécutif et du secret qui entoure celui-ci. Le dirigeant affirme alors ses qualités ‘présidentielle’, en montrant qu’il sait faire face à la crise, quelle qu’elle soit, à tel ou tel moment ; traduisez : prendre des risques, mettre son caractère à l’épreuve, garder son sang-froid dans le danger, agir de façon audacieuse et décisive, même lorsque l’occasion demande prudence et circonspection » (page 115). Lasch poursuit son propos en l’illustrant par des faits précis concernant deux présidents américains pratiquant ce genre de théâtre de mise en scène de la crise et du héros. C’est vieux mais curieusement, ce portrait convient parfaitement à notre président Sarkozy, passé maître dans la mise en scène d’une politique et d’une posture destinée au culte de soi, agitant les crises comme si le monde était un marasme permanent où seul, M. Sarkozy saurait réagir comme un vertueux capitaine, lui qui géra la pire crise économique depuis un siècle selon ses dires.
Un récent sondage montre que les Français font plus confiance à Mme Merkel qu’à notre président pour surmonter « la crise ». Ce fait n’est pas contradictoire avec le fait que Sarkozy a été élu. Il se trouve tout simplement que l’expérience de quatre ans de gouvernance a altéré l’opinion et que cette question hors élection, et donc neutre, se prête plus à un usage de la raison. Par contre, il se peut bien qu’en 2012, alors que rien n’aura été résolu pour l’économie, les Français placent leur destin entre les mains d’un narcissique. En 2007, le second tour a vu s’opposer deux narcissiques et l’on comprend maintenant un peu les mécanismes psychiques conduisant un peuple à placer sa croyance dans un personnage qui sait convaincre des capacités et possède une très haute idée de sa personne.