« C’était mieux avant ! » Vraiment ?

par Fergus
vendredi 4 mai 2018

« C’était mieux avant ! » Voilà un propos que l’on entend parfois dans la bouche de personnes plus ou moins âgées et inconsciemment nostalgiques du temps de leur jeunesse. Et de fait, sur certains plans, la vie était plus agréable avant. Mais pas dans tous les domaines, loin s’en faut. On peut même affirmer sans risque de se tromper que la vie actuelle offre beaucoup plus de facilités et un plus grand confort qu’il y a un demi-siècle...

La nature humaine est ainsi faite qu’elle estompe, voire gomme, de la mémoire les souvenirs les plus pénibles et les désagréments du quotidien de notre vie d’antan. Et quand ce n’est pas le cas, il arrive très souvent que ces souvenirs soient embellis dans une représentation du passé très différente de la réalité vécue. Une représentation en l’occurrence idéalisée pour être conforme à l’image que l’on souhaite inconsciemment garder d’une période depuis longtemps révolue : celle de la jeunesse enfuie.

Dans un article intitulé 1953 vs 2013 : paradoxe des conditions de vie, je faisais, il y a quelques années, le parallèle à distance entre deux familles des classes populaires emblématiques de leur époque et dont, paradoxalement, la mieux dotée au plan matériel – incontestablement celle de 2013 – éprouvait un sentiment de mal-être lié à un climat social dégradé et à des perspectives d’emploi précarisées alors que la moins bien lotie en termes d’habitat, d’équipements et de lois sociétales – celle de 1953 – vivait avec optimisme dans l’espoir d’une amélioration significative de sa qualité de vie. 

1953, ce n’est pas 1968, me direz-vous. Certes ! Et de fait beaucoup de choses ont changé dans notre pays durant les quinze années qui ont séparé ces deux dates. À commencer par le droit enfin donné aux femmes en 1965 de travailler sans l’autorisation de leur mari et d’ouvrir un compte bancaire à leur nom ! Mais il a encore fallu attendre trois ans après 1968 pour que sorte (en 1971) le décret d’application de la Loi Neuwirth autorisant la contraception des femmes, et sept ans pour que soit promulguée (en 1975) la Loi Veil sur l’Interruption volontaire de grossesse (IVG). Quant au viol, ce n’est qu’en 1980 qu’il a été criminalisé par la Justice française.

Pour ce qui est des jeunes, ils restaient placés en 1968 sous la tutelle de leurs parents jusqu’à 21 ans, âge de la majorité civile légale inchangée depuis 1792 ; et ce n’est qu’en 1974 que cette majorité a été abaissée à 18 ans. Des jeunes qui entraient plus tôt ans la vie active : à population égale, quatre fois moins de lycéens accédaient à des études supérieures en 1968. Cerise sur le gâteau, les garçons avaient droit à cette époque à un service militaire obligatoire de 16 mois pendant lequel ils devaient mettre leur carrière professionnelle entre parenthèses pour ceux qui travaillaient, et différer leur entrée dans la vie active pour les étudiants sursitaires.

Et que dire des conditions d’habitat qui prévalaient il y a 50 ans ? En 1968 (données de L’Obs) : 65 % des appartements et des maisons ne disposaient pas du chauffage central ; 53 % ne possédaient ni baignoire ni douche, mais un simple évier ; 50 % n’étaient pas équipés d’un chauffe-eau et n’avaient donc pas d’eau chaude ; 48 % ne disposaient pas de WC privatifs mais de toilettes communes sur le palier ou à l’extérieur de la maison ; 31 % des logements étaient surpeuplés ; 9 % des habitations étaient même privées d’eau courante ! 

Deux chaînes de télévision sous étroite surveillance

Bien entendu, l’on était encore très loin de pouvoir disposer d’un ordinateur personnel, d’une tablette numérique et de toutes les applications qui ont été mises à la disposition des consommateurs à partir des années 80 et 90. Le téléphone, évidemment fixe, était lui-même un luxe : 85 % des foyers n’en disposaient pas, et il n’était pas rare de faire la queue dans les bureaux de poste ou devant les cabines publiques pour passer les coups de fil, en général réduits aux plus urgents. Côté télévision, le petit écran avait réussi sa percée en étant présent dans 62 % des foyers dont les membres pouvaient suivre les programmes des deux chaînes de l’ORTF, très étroitement noyautées en matière d’information par le pouvoir gaulliste ; mais seule une infime poignée de téléspectateurs bénéficiait d’un téléviseur en couleurs.

Quant à la voiture, son usage se démocratisait, mais lentement, au point qu’en 1968, le parc automobile français comptait 7 millions de véhicules pour une population de 50 millions d’habitants contre 39 millions de nos jours pour une population de 67 millions d’habitants. Qui plus est, le réseau routier comptait encore à cette époque de nombreuses routes de haute-montagne et de campagne non bitumées. Quant aux autoroutes, elles ne totalisaient en France que 980 km contre environ 12 000 km actuellement ! Ajoutons à cela que l’on dénombrait à cette époque quatre fois plus de morts (près de 14 000) sur les routes contre moins de 4 000 de nos jours !

Dans le domaine ferroviaire, beaucoup de choses ont également changé à partir des années 80 avec la création du réseau TGV qui a considérablement « rapproché » les villes, il est vrai au détriment de la qualité des infrastructures du réseau régional. Quant au transport aérien, il s’est progressivement étoffé de très nombreuses dessertes court, moyen et long courrier et a connu une évolution exponentielle de sa clientèle dans notre pays, sans commune mesure avec les données de 1968, époque où ce mode de transport était réservé à une frange privilégiée de la population. Rappelons en passant que les Français n’avaient droit en 1968 qu’à trois semaines de congés payés.

Sur le plan de la santé, le SIDA n’avait pas encore fait son apparition en 1968. Mais nombre de maladies – à commencer par le redoutable cancer – n’étaient pas aussi bien soignées, ce qui entraînait une mortalité plus importante dans la population. Entre les progrès réalisés dans la lutte contre les maladies, l’amélioration significative de l’hygiène de vie, et les mesures législatives édictées contre les rejets industriels polluants, l’espérance de vie a considérablement progressé en France, passant de 71 ans en 1968 (hommes et femmes confondus) à 83 ans en 2017 !

On le voit, la vie s’est incontestablement améliorée sur de nombreux plans, notamment en matière d’équipements ménagers, de matériel informatique, de transport individuel et de confort de l’habitat. Et pourtant, le mal-être est sans doute plus grand en 2018 qu’en 1968 dans la population française. La raison ? Peut-être qu’en 1968, dans une société beaucoup plus cloisonnée en termes de classes sociales, l’on acceptait plus facilement un « destin » modeste qu’en 2018 où, sans cesse confrontés dans les divers médias à des flots d’images de vie facile, de destinations de rêve, de propriétés luxueuses, l’on conçoit une frustration plus ou moins consciente que le taux de chômage récurrent, la précarisation de l’emploi et le mépris des élites ne font que renforcer ?

À chacun d’apporter la réponse à cette question et de dire si, réflexion faite, « c’était mieux avant ! ». Ou pas...


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