Ça sert à quoi tout ça ... ?

par C’est Nabum
samedi 21 mars 2015

Battre en retraite ...

Je tire mon irrévérence.

Il y a quelque temps encore, j'écrivais ceci en réponse d'une élève qui voulait voir dans l'école une fonctionnalité immédiate. Je pensais encore naïvement, que la mission de l'enseignant était l'ouverture au monde, la curiosité, l'intelligence et la sensibilité, la langue et les expressions artistiques.

Des années, je me suis battu pour cette conception humaniste de notre rôle. J'ai cru pouvoir changer la société de l'intérieur, la rendre meilleure, plus humaine, plus fraternelle. J'ai consacré toute mon énergie à cette merveilleuse utopie, malgré les découragements, la lente montée des inégalités, l'intrusion du fait religieux, le racisme rampant, les dérives de la société qui perturbaient de plus en plus nos classes.

Et puis, j'ai compris qu'il ne servait à rien de se battre. Que notre école était tombée dans les mains des gestionnaires : des libéraux qui veulent que tout soit rentable, opérationnel, mesurable, programmable, profitable … Le virage a eu lieu avec ce maudit socle commun :fausse bonne idée au service de l'idéologie capitaliste et non de l'épanouissement de l'individu.

L'école doit servir les desseins des politiques, des chefs d'entreprises, des marchands de main-d'œuvre docile. Elle doit préparer l'enfant à devenir un bon citoyen, un honnête justiciable, un brave travailleur obéissant, un prudent automobiliste, un sage utilisateur des médias, un pion parmi des milliers d'autres pions, heureux de leur sort de consommateurs serviles.

Je pose donc mon tablier, prends prématurément une retraite à laquelle un statut privilégié me donne droit. Je n'ai pas honte, puisqu' ainsi, je libère une place pour un bien plus jeune et que je fais don de mes dernières annuités à l'administration. Je vais basculer dans le bénévolat pour continuer à croire à mes rêves : l'école n'est plus le lieu de l'espérance.

J'aurai encore les contes, l'écriture et les chansons pour occuper ce grand saut dans le vide. Je ne baisse pas la garde ; je renonce à un combat perdu d'avance. En relisant ce texte, je ne changerai rien mais je serai désormais contrait d'avouer à l'élève, que les attentes du ministère de l'éducation nationale sont tout autres.

Il ne sert à rien de s'user au combat. La machine à casser est lancée à plein régime pour fracasser l'école publique ; le grand espoir des idéalistes qui voulaient un monde meilleur pour tous s'est brisé devant la cupidité, l'égoïsme, le calcul, l'exploitation, les mensonges de ceux qui sont au pouvoir et qui n'agissent jamais pour le plus grand nombre. Bientôt, très bientôt, l'enseignement sera un bien de consommation et je ne veux pas participer à cela.

Je vous tire ma révérence en vous offrant ce qui, aujourd'hui, est un vain discours. N'attendez pas de ceux qui nous dirigent autre chose que des réformes insipides et trompeuses. Les hussards noirs se sont brûlé les ailes devant les loups et les chacals de la haute administration.

Désespérément leur.

 

L'école, ça sert à quoi ?

Sempiternelle question !

Une fois encore cette terrible question a surgi au fil de la conversation. « Ça sert à quoi, monsieur, ce que vous nous faites faire ? ». Derrière ce cri du cœur se dissimule le manque d'appétence pour la chose scolaire, le désir de ne rien faire et, pire encore, l'absence de curiosité. Que répondre à celui ou bien à celle qui pose la découverte intellectuelle en une problématique bassement matérialiste ? Il faudrait désormais que tous nos actes s'inscrivent dans une logique de rentabilité immédiate. Triste société qui réfute le geste gratuit, l'effort par plaisir, le bonheur de la découverte inutile.

Que répondre à cette question qui n'admet, il me semble, aucun argument tangible et bassement matérialiste ?Il est inutile de rentrer dans cette logique honteuse, cette approche de petit boutiquier. À quoi sert de convoquer l'avenir ? Il est bien incertain. A quoi bon promettre des lendemains meilleurs ? L'ascenseur social est depuis longtemps en rade. L'école ne permet plus de croire en une promotion mirifique.

Que dire alors qui donne encore du sens à ce qui devrait mobiliser toutes les curiosités, toutes les gourmandises de savoir ? J'ai choisi d'aller au bout de ce que réclamait sans doute ce questionnement désespéré, de ne pas jouer les illusionnistes. « L'école ne sert à rien et c'est justement ce qui fait sa gloire et sa grandeur. C'est la seule vérité incontestable de ce lieu où vous avez la chance de vous trouver encore pour quelque temps ! »

Oui, savoir ne peut avoir la moindre utilité. Réfléchir n'est d'aucun intérêt. Comprendre est de moins en moins nécessaire. Aimer plus encore ne sert plus à rien. L'école est le lieu de toutes ces compétences sans valeur intrinsèque qui feront de vous des humains, des êtres capables de vibrer, de s'émouvoir, de s'indigner ou bien encore de créer. Nous sommes bien loin des petits savoir-faire qu'on veut découper en tranches, mesurer, évaluer pour que vous deveniez de bons ouvriers interchangeables, au profit d'un monde économique sans âme.

L'école n'a pas pour but de vous faire rentrer dans une case, de vous rendre opérationnels pour un emploi. C'est à la formation professionnelle, c'est à la formation continue qu'incombent ces tâches ponctuelles, techniques, directement opératives. C'est quand votre parcours initial sera achevé que vous prendrez le temps de préparer votre orientation ou d'envisager plus tard une conversion. Pour l'heure, vous êtes encore à ce merveilleux moment où vous pouvez, vous devez encore, perdre votre temps sans chercher à le gagner !

L'école c'est la plus belle des vacuités, c'est un espace qui n'aura jamais à se soucier de rentabilité. C'est un sanctuaire où l'argent, les normes, les cadences, les impératifs économiques, les délais, les contraintes ne devraient pas s'exercer, peser sur votre seul appétit de découverte. L'école c'est une déambulation ludique, c'est une promenade savante, c'est une escapade curieuse, c'est une aventure merveilleuse.

L'art, l'histoire, la littérature, le théâtre, le cinéma, la langue, les sciences devraient être vos gourmandises. Vous devriez dévorer à pleines dents tous ces savoirs qui feront de vous des maillons de plus dans cette longue chaîne humaine qui a constitué notre humanité. Vous en êtes les héritiers : c'est le plus grand et le plus merveilleux don que vous ont accordé tous ceux qui vous ont précédés sur cette planète et, au lieu de vous en réjouir, vous renâclez, vous rechignez, vous traînez des pieds et du cerveau, vous rejetez tout ce qui ne s'inscrit pas dans votre immédiat vide de sens.

L'école est un formidable privilège. N'en faites jamais un objet de satisfaction de vos seuls désirs matériels. C'est exactement le contraire. C'est le lieu de l'imaginaire, du rêve, de l'amour, des passions, des tragédies, des aventures humaines, des légendes et des folies. Il n'y a rien à gagner, rien à échanger, rien à vendre, rien à s'approprier pour soi seul. C'est un lieu de partage sans contrepartie. C'est un ailleurs déconnecté des valeurs qui sont celles d'un monde devenu fou.

Je comprends votre souffrance et votre ennui si tout ce qui vous est présenté ici ne trouve pas grâce à vos yeux cupides. Vous êtes des consommateurs et ici, il n'y a rien à vendre. Ouvrez les yeux, prenez dans vos esprits encore disponibles, apprenez par le cœur et la raison, enrichissez-vous de ce qui n'a aucun prix. Demain, il sera trop tard pour vous.

Voilà ce qu'est l'école en dépit de ses maudits refondateurs, de ses affreux docimologistes, de ses monstrueux planificateurs, des inspecteurs et des éditeurs, des patrons et des groupes de pression, des parents et des maîtres. L'école c'est un espace de liberté. Pas la liberté de ne rien faire, pas la liberté de martyriser la langue et les manières, pas la liberté de détruire ce formidable outil d'émancipation où vous avez le bonheur de passer votre jeunesse. C'est l'espace de votre liberté future et rien, vraiment rien, de plus.

Inutilement vôtre.


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