Carte Scolaire : Ségo et Sarko sont-ils fous ?

par Anthony Meilland
vendredi 8 septembre 2006

Nouvelle ennemie désignée de l’égalité des « chances », la carte scolaire porterait donc en elle toutes les tares du monde, à tel point que les deux favoris des sondages la condamnent. Je vous propose donc d’analyser les conséquences d’une suppression annoncée.

Nicolas Sarkozy, en libéral convaincu, défend l’idée du "libre choix de l’établissement par les parents", Ségolène Royal quant à elle, opte plutôt, tout comme le ministre Gilles de Robien, pour un assouplissement, en affirmant tout de même que "l’idéal serait de supprimer la carte scolaire".

Mais quelle immonde atrocité se cache donc derrière ce simple découpage administratif ?

Outre les gesticulations idéologiques du ministre de l’intérieur, sur lesquels il vaut mieux ne pas s’attarder (peut-on choisir la mairie dans laquelle on vote, le centre des impôts ou le commissariat qu’on fréquente ?), l’argument principal avancé pour la suppression de la carte scolaire est la ghettoïsation qu’elle provoquerait. C’est vrai que nos établissements scolaires manquent souvent de mixité sociale (surtout dans les grandes villes), vrai aussi que, certains, bien informés, arrivent à contourner cette obligation. Sur ce dernier constat, rien à dire, toutes les lois ont leurs fraudeurs, cela ne justifie pas en soi leur suppression. Sur l’absence de mixité sociale dans beaucoup d’établissements, de qui se moque-t-on ? Est-ce la carte scolaire qui est coupable de cette carence, ou est-ce plutôt la désastreuse politique urbaine menée depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, avec ses tours, ses barres et ses cités, qui n’ont de cité que le nom ?

Le constat fait par nos deux « S » est donc le bon, le crime existe bien, mais l’accusé n’est pas coupable. La carte scolaire n’a jamais entraîné de ghettoïsation, et s’il faut blâmer quelque chose, blâmons donc la politique de la ville, cette stupide concentration de la pauvreté en périphérie des grandes villes, et le manque de logement sociaux en leur cœur, dans les beaux quartiers, et dans certaines villes riches... à Neuilly, par exemple !

Qu’apporterait de positif aux citoyens de notre vieille République une suppression de la carte scolaire ? Réfléchissons un peu. Mettons-nous à la place d’un citoyen lambda, désireux de voir ses enfants réussir. Il y a deux collèges dans sa ville, un à la périphérie, là où il habite, dans une cité, et qui n’a pas très bonne réputation. Un autre se situe au centre ville, dans les quartiers riches, et obtient de très bons résultats. Pour lequel notre sujet va-t-il opter ? Pour le deuxième, évidemment, et personne ne lui en tiendra rigueur. L’habitant du centre ville ne se posera, quant à lui, pas même la question. Changeons un peu d’échelle. Nous avons maintenant 1000 citoyens de la cité qui veulent mettre leurs enfants dans le collège du centre ville. Or c’est plus que ce qu’il peut accueillir. Le collège de la cité, quant à lui, se vide peu à peu. Deux solutions s’offrent à l’administration : fermer le collège de la cité et agrandir celui du centre ville, ou imposer des critères de choix à l’entrée du collège de centre ville. La première solution, une concentration des élèves dans des structures plus grandes, peut évidemment être envisagée, elle pose néanmoins de nombreux problèmes de gestion et de coût et elle ne résoudra pas les problèmes des immenses agglomérations comme Paris. Mais gageons que l’administration centrale optera pour la deuxième solution. Et maintenant, tout commence à se corser. Quels critères utiliser pour l’accès au bon collège ? Première réponse, celle du ministre de Robien, qui propose de permettre l’accès au lycée de leur choix aux élèves ayant obtenu une mention très bien au brevet des collèges. Résumons donc, en revenant à notre exemple. Les meilleurs élèves de la cité accéderont donc au lycée du centre ville. Et, pour les autres, la situation ne fera qu’empirer. La ghettoïsation s’amplifiera. Cette solution pose aussi un autre problème. Comment va-t-on juger les élèves à l’entrée en primaire ? Sur leur résultats en maternelle ? Deuxième critère possible, un tirage au sort. Sympa, non ? Je viens tout juste de l’inventer. Troisième réponse : des critères sociaux, permettant aux élèves issus des familles les plus modestes d’accéder à l’établissement de centre ville. C’est déjà un peu mieux, mais cela pose un certain nombre de problèmes importants, car, on le sait bien, dans certains établissements une grande majorité des élèves sont issus de milieux défavorisés. Et enfin, la quatrième réponse et la plus probable : le bon vieux piston, qui, quel que soit le critère envisagé, se verra renforcé.

En conclusion de ce modeste exercice de l’esprit, nous constatons donc que la suppression de la carte scolaire, ou son assouplissement, ne peuvent en rien régler le problème de la ghettoïsation, et dans la majorité des options étudiées plus haut, elle pourrait même l’aggraver. Elle pose, de plus, de nombreux problèmes d’organisation et de gestion des établissements pour l’administration de l’Education nationale, et cela engendrerait, soyons-en sûrs, des dépenses supplémentaires (fluctuation des effectifs, analyse des dossiers d’inscription, agrandissement d’établissements...).

Comme je l’écrivais un peu plus haut, le véritable problème de l’absence de mixité sociale ne peut se résoudre que par une nouvelle politique de la ville, une politique très ambitieuse, politique dans laquelle la carte scolaire pourrait, si nous en avions la volonté, devenir un élément important. Je ne ferai ici que reprendre brièvement les arguments que je développais déjà dans un article paru sur AgoraVox le 7 mars dernier. Partons de la carte scolaire comme unité de base d’une nouvelle mixité sociale, et organisons une nouvelle loi de Solidarité et renouveau urbain (SRU) autour d’elle. Rendons-la aussi beaucoup plus contraignante pour les maires délinquants (augmentation des amendes, inéligibilité). Ajoutons à cela une politique ambitieuse de construction de logements, en prenant soin d’en mélanger tous les types (sociaux, classe moyenne, personnes aisées...).

La mixité sociale est le ciment indispensable de notre République égalitaire. Alors, s’il vous plaît, Monsieur et Madame les candidats à la candidature, arrêtez de vous amuser avec elle, ce n’est vraiment pas drôle !


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