Ce que révèle le débat sur l’invasion du globish

par Laurent Herblay
jeudi 17 juin 2021

La publication par le FigaroVox de mon papier critiquant l’utilisation de plus en plus envahissante du globish dans la publicité, comme sur les documents officiels de la République, a suscité un débat sur les réseaux sociaux. Mais ce faisant, ces échanges ont également permis d’éclairer sur les motivations profondes des soutiens de l’effarante adjonction de l’anglais sur notre carte d’identité.

 

Aplatir le monde par conformisme superficiel

Les arguments des partisans d’une carte d’identité bilingue franco-anglais sont très sommaires. Il n’y en a que deux. Le plus basique consiste à y voir une nouveauté qu’il faudrait soutenir de ce simple fait, les opposants à cette adjonction n’étant que des archaïques un peu frileux. Mais au final, la défense de ce changement ne tient qu’à un seul argument : puisqu’il y a une liberté de circulation des personnes dans l’espace Schengen, et que la carte d’identité suffit pour s’y déplacer, mieux vaudrait inclure l’anglais, seule véritable langue globale, pour faciliter le travail des douaniers, et éviter de faire perdre du temps aux touristes. Un internaute évoque même des soucis qu’il aurait eus aux douanes en Polone et en République Tchèque pour soutenir son propos. Des arguments extraordinairement faibles, superficiels, et inconséquents auxquels j’ai répondu avec le soutien de quelques internautes.

Aucun point de cette argumentation n’est solide. Pour avoir beaucoup voyagé en Europe, dans l’espace Schengen, ou en dehors, je peux témoigner n’avoir jamais eu le moindre souci avec ma carte d’identité, qui n’a jamais posé le moindre problème de compréhension à l’étranger. Plus globalement, personne ne m’avait jamais indiqué avoir eu des difficultés à la frontière du fait de la mauvaise compréhension de notre carte d’identité. Il s’agit d’un problème largement imaginaire. Et pour qui prend juste le temps d’examiner notre nouvelle carte bilingue, l’adjonction de l’anglais apparaît bien inutile. Qu’apportent Identity card à Carte d’identité, Sex à Sexe, Nationality à Nationalité, Document No à No du document ou Expiry date à Date d’expir. ? L’apport de l’anglais ne contribue qu’à réduire la lisibilité de notre carte d’identité, en l’encombrant de mentions qui n’apportent stricitement rien à sa compréhension.

Bien sûr, ceux qui pinaillent pourraient avancer que les traductions de nom et prénom diffèrent davantage. Néanmoins, leur sens est loin d’être évident pour ceux dont l’anglais n’est pas la langue maternelle. Et la différenciation de la police, avec les lettres capitales pour le nom de famille, rend le sens évident. De même, le sens de la date de naissance se dévine aisément puisque l’autre date est celle d’expiration. Seul point difficile à comprendre, il faut l’admettre : le lieu de naissance. Mais difficile de croire que cela pose un problème, si ce n’est de manière extrêmement exceptionnelle. En outre, il faut rappeler que nous disposons également d’un passeport, où l’anglais est présent, et dont l’usage est uniquement destiné aux voyages, quand la carte d’identité a un usage tourné sur la France.

Bref, difficile de ne pas voir derrière les protestations contre le refus d’inclure l’anglais sur la carte d’identité autre chose qu’un caprice de personnes mobiles, prêtes, parce qu’elles pensent se simplifier la vie, à faire de l’anglais la deuxième langue de la France. Pourtant, en prenant un peu recul, on constate qu’il n’y a nul besoin d’ajouter l’anglais pour rendre notre carte d’identité plus intelligible pour des douaniers. Et il est assez incroyable de constater la légèreté de ces personnes, dont le petit confort imaginaire justifierait ainsi l’effacement du français devant la lingua franca globale. Heureusement, quand on fait les comptes, avec plus de 100 retweets et plus de 300 « j’aime », on peut aussi en déduire que la majorité moins bavarde est finalement largement d’accord avec le fond du papier.

Enfin, cet épisode a le mérite de démontrer la logique d’applatissement du monde par la globalisation. Elle pousse sa logique jusqu’à imposer l’anglais sur des cartes d’identité dont l’essentiel de l’usage est national, pour des ajouts qui n’apportent rien ou presque à sa compréhension. C’est un processus d’harmonisation et d’appauvrissement du monde au nom d’un laisser-passer dogmatique.

 


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