Censure, délit d’opinion : la dérive liberticide du pouvoir

par Laurent Herblay
mardi 27 janvier 2015

Si les 17 morts du début d’année ont engendré un vaste rassemblement patriote de défense des valeurs de la République, il a également charié des réactions assez répugnantes, et certaines ont été sanctionnées par de la prison ferme. Sans être partisan du laisser-faire, n’est-ce pas aller trop loin ?

Menaces sur la liberté d’expression ?
 
En Arabie Saoudite, un blogueur, Raef Badaoui, a été « condamné à 10 ans de prison et 1000 coups de fouet pour ‘insulte à l’islam’ », sur 20 semaines, les 50 premiers lui ayant été donnés le 9 janvier devant une mosquée. En France, quelques jours après le massacre de Charlie Hebdo, un homme « a été condamné à six mois de prison ferme par le tribunal correctionnel de Bourgoin-Jallieu  » pour avoir crié à des policiers : « Ils ont tué Charlie, moi j’ai bien rigolé. Par le passé ils ont déjà tué Ben Laden, Saddam Hussein, Mohamed Merah et de nombreux frères  ». Il a été « jugé en comparution immédiate pour ‘apologie directe et publique d’acte terroriste  ». Et cela s’ajoute au projet de loi voté en septembre.
 
En effet, Bernard Cazeneuve avait fait voter un projet de loi de « lutte contre le terrorisme  ». Pour le Point, « l’article 9 prévoit le blocage des sites internet par l’exécutif, sans décision préalable du pouvoir judiciaire : une mesure contre laquelle il avait voté lorsqu’il était député et que l’UMP l’avait proposée en 2010. Cette mesure était soutenue par les groupes PS, UMP, UDI ou encore SRC, illustrant bien l’éternel fantasme de contrôle d’internet qui rassemble droite et gauche, dans un consensus plus que perturbant  ». Il est assez frappant de noter que ce projet est passé dans une relative discétion médiatique, au point que je l’avais raté. Il faut également noter l’alerte lancée par Laurent Mauduit de Mediapart sur une disposition de la loi Macron qui protégerait le monde des affaires des enquêtes journalistes.
 
Contradictions liberticides

Bien sûr, les mesures prises en France restent, heureusement, très éloignées de celles qui sont prises en Arabie Saoudite, mais l’horreur des massacres commis ne doit pas nous empêcher de prendre du recul sur ces mesures ou ces décisions prises trop rapidement pour permettre un débat. Le mouvement du 11 janvier était l’expression de notre attachement à la liberté d’expression. Et si je ne crois pas qu’on puisse absolument tout dire, la récente décision de justice et cette loi me semblent contradictoires avec les valeurs de la République et ce que nous avons exprimé il y a un peu plus de deux semaines. Est-il normal d’envoyer en prison un homme uniquement pour ce qu’il a dit ?

Comme je préfère qu’un journal puisse faire une couverture qui offense certaines croyances, j’ai du mal à me dire que des propos, aussi horribles soient-ils, méritent la prison ferme. Une amende ou des travaux d’intérêt général, sans doute, mais la prison me semble disproportionné pour ce qui n’est qu’une parole. Ne versons-nous pas dans un penchant totalitaire, certes moins fort qu’à Riyad, mais quand même dans la veine de ceux qui ont tué à Charlie Hebdo, comme les Etats-Unis après le 11 septembre ? Bien sûr, une société peut mettre des limites, mais de la prison ferme pour une opinion ou une censure menée comme dans les dictatures ne sont-elles pas de graves erreurs ?
 
Si je critique généralement le laisser-faire, ici, j’ai l’impression que le gouvernement, comme l’UMP et la majorité de notre classe politique, tombent dans le côté obscur de sa remise en cause, par des mesures dont l’inspiration me semble trop familière avec les pratiques des régimes autoritaires.

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