Cet ensauvagement que certains refusent de voir

par Laurent Herblay
vendredi 18 septembre 2020

Cela aura été une des polémiques de la rentrée : le débat sur l’utilisation du terme « ensauvagement » par le nouveau ministre de l’intérieur, et la droite, terme qu’une grande partie de la gauche, et le ministre de la justice contestent. Une polémique extraordinairement révélatrice de notre société et de la coupure effarante d’une certaine gauche avec la réalité de la vie des français...

 

Taisez cette insécurité que je ne saurais voir

Il y a quelque chose d’assez sidérant à lire ou entendre les réactions de personnes comme Samuel Gontier, de Télérama. En somme, il accuse les chaines d’information d’être responsables du sentiment d’insécurité et de promouvoir un discours d’extrême-droite. Les chaines d’information, si elles choisissent les sujets dont elles parlent, ne peuvent pas créer les faits dont elles parlent. Quand elles parlent d’insécurité, c’est bien parce que l’actualité charrie malheureusement des horreurs, comme la personne égorgée à la Gare du Nord. Leur choix éditorial reflète aussi largement le flux de l’actualité. Et il est clair qu’après plus de 7 mois passés à parler du coronavirus, elles doivent bien parler d’autre chose, et ce n’est pas le plan daté et très convenu du gouvernement qui peut remplir longtemps l’actualité.

Ce discours est totalement effarant par ses implications. Faudrait-il que les chaines d’information taisent les violences que charrie l’actualité et n’en débattent pas en plateau ? Parler d’insécurité serait un discours d’extrême-droite  ! Toutes les personnes qui subissent l’insécurité et osent en parler seront heureuses d’apprendre qu’elles tiennent un discours d’extrême-droite ! Ce faisant, Samuel Gontier disqualifie trop systématiquement le fait de parler d’insécurité pour être honnête. Il y a une forme de totalitarisme à disqualifier par principe tout discours sur un sujet qui fache, une extraordinaire fermeture d’esprit de la part de ces gens qui se considèrent pourtant comme les partisans de l’ouverture. N’est-il pas juste normal de discuter d’insécurité en démocratie quand cela fait l’actualité ?

Le discours sur le « sentiment d’insécurité » est assez biaisé, même si on accepte qu’il y a une distinction entre insécurité et sentiment. Néanmoins, ceux qui en parlent tendent trop souvent à disqualifier ce sentiment pour ne pas être de parti pris. Ce sont aussi souvent ceux qui refuse d’utiliser le terme « ensauvagement » et y voit bien sûr l’influence de l’extrême-droite, alors que c’est à Chevènement que l’on doit le retour de ce vocabulaire dans le débat public. De plus, cette référence sématique semble assez adaptée, en ce que la société civilisée s’oppose à l’état de nature, sauvage, où il n’y a plus de règles. Pourquoi refuser de qualifier d’ensauvagement les actes de violence extrêmes comme celui de la Gare du Nord ou l’état de quartiers où la police ne peut plus venir ?

En outre, les chiffres montrent bien la réalité de cet ensauvagement, avec la forte progression des crimes et des délits les plus violents. De 2009 à 2019, le nombre d’homicides par habitant a quasiment doublé ! Les coups et blessures volontaires ont plus que doublé depuis 2000, comme les séquestrations, les violences contre dépositaires de l’autorité ou les menaces et chantages. Débattre du terme pour qualifier l’explosion de la violence dans notre société en semble d’autant plus ubuesque que les chiffres sont graves. Soit dit en passant, le bilan de Sarkozy n’en apparaît que plus superficiel, les lois et les déclarations martiales n’ayant guère produit de résultats sous son magistère, de 2002 à 2012. Et pour finir pas moins de 70% des Français jugent que le terme « ensauvagement » est justifié

De manière intéressante, même 47% des partisans de la France Insoumise, 59% de ceux du PS et 61% de ceux des Verts jugent le terme justifié. Nul doute qu’une plus grande majorité encore jugerait probablement que réfléchir au moyen de faire reculer la violence de notre société est bien plus utile que le débat sur ce terme. Ce qui excessif, ce n’est pas le terme, c’est la violence qu’il qualifie.


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