Charlie Hebdo en procès, une chronique de l’intégrisme ordinaire
par JC. Moreau
mercredi 7 février 2007
Les poursuites engagées à l’encontre de Charlie Hebdo par le recteur de la Grande Mosquée de Paris, l’Union des organisations islamiques de France et la Ligue islamique mondiale sont incontestablement de cet ordre, celui où les cérémonies de justice se substituent progressivement aux débats d’idées. Le recteur de la Grande Mosquée de Paris, Dalil Boubakeur, soucieux de ne pas paraître trop ostensiblement intégriste, se défend d’avoir organisé le procès de la liberté d’expression. Nous admettons que l’on puisse caricaturer le prophète, a précisé son avocat, Maître Szpizner, mais nous refusons cette agression raciste contre les musulmans (1).
De fait, le journal devra répondre devant le Tribunal de Paris, du 7 au 8 février, de l’accusation d’« injure envers un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée » (2) pour la publication de trois caricatures, dont deux initialement parues dans le journal danois Jyllands Posten. La première représentait Mahomet portant une bombe en guise de turban, la seconde montrait le prophète submergé par le nombre de terroristes arrivant au paradis, et leur en refusant l’accès par ces mots : « Stop ! Stop ! We ran out of virgins ! » (3) tandis que la dernière décrivait un Mahomet affligé par les intégristes, se tenant la tête entre les mains et déclarant : « C’est dur d’être aimé par des cons ».
Dans chacune des trois illustrations, c’est sans équivoque possible l’intégrisme musulman, et non la communauté musulmane dans son ensemble, qui fit l’objet de la charge critique menée par Charlie Hebdo. La distinction, essentielle, ne semble pourtant pas concevable à Dalil Boubakkeur, qui considère notamment que « Représenter Mahomet coiffé d’une bombe c’est dire à tous les musulmans et pas seulement aux intégristes : "Vous adorez un prophète vecteur d’attentats, de mort, de destruction, donc vous adorez la violence" » (4). Bien évidemment, ce serait faire preuve de fausse ingénuité que d’ignorer qu’un tel sentiment ait pu exister lors de la publication des caricatures. Pour autant, il n’est pas concevable de fixer les limites de la liberté d’expression au gré des fluctuations de sentiment d’une communauté, à plus forte raison quand celle-ci est représentée par des institutions à ce point contestées par ceux dont elle prétend aujourd’hui prendre la défense.
Entre
l’infinité d’interprétations possibles des caricatures publiées, ce
sera au tribunal de Paris de déterminer s’il en est une qui doit
prévaloir. Pour ce faire, il lui incombera de répondre à une question
décisive : le caractère insultant des publications procède-t-il d’une
intention coupable de leurs auteurs ou de la sensibilité particulière
d’un public ?
Or, à considérer la définition légale et
jurisprudentielle de l’injure (5), rien ne serait plus contraire au
droit positif qu’une condamnation de Charlie Hebdo. En effet,
pour que soit constitué le délit d’injure, il faut, outre l’existence
d’un propos outrageant adressé en public à une personne ou à un groupe de
personnes déterminées, démontrer la volonté de nuire de l’auteur des
propos.
En l’occurrence, les caricatures incriminées ne visaient de toute évidence qu’à stigmatiser les seuls intégristes musulmans, cherchant à mettre ainsi en exergue le dévoiement croissant de l’islam par les extrémistes religieux. De fait, pour que la justice condamne l’hebdomadaire satirique, il lui faudrait conclure que la critique véhiculée par les caricatures incriminées portait sur l’ensemble de la communauté musulmane. Procéder à une telle analogie serait en définitive estimer que le fanatisme est indissociable de la foi musulmane, ce serait proclamer que la violence est consubstantielle à l’islam. En d’autres termes, pour que les plaignants obtiennent gain de cause, il faudrait que la justice se rende coupable de l’amalgame qui précisément est aujourd’hui reproché à Charlie Hebdo.
Cette méprise aberrante, si la justice ne s’en est pas encore rendue coupable, a, quoi qu’il en soit, d’ores et déjà été commise par les premiers à s’en dire victimes ; car ne pas tolérer la critique des violences islamistes au motif qu’elle insulterait la foi de tout musulman, c’est ériger l’appartenance à une même religion en obstacle à la réprobation des crimes perpétrés en son nom, abolir le sens critique au nom du sacré.
2- Article 48 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.
5- Article 29 de la loi du 29 juillet 1881 : L’injure s’entend, en opposition avec la diffamation, de « toute expression outrageante, terme de mépris ou d’invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait ».