Clodogame, le jeu dont vous êtes le héros ?

par Babar
mardi 1er septembre 2009

Dans la peau d’un clochard. Clodogame est un jeu en ligne inédit en France. Un jeu particulier. Il s’agit pour le joueur de devenir un SDF et d’apprendre à survivre dans la jungle urbaine.
 
Un jeu d’origine allemande qui, un mois après sa mise en ligne en France, suscite une grosse controverse.
 
Nous avons voulu en savoir plus en interrogeant Jean-Baptise Bertrand, porte-parole de Farbflut Entertainment, éditeur de Clodogame
 
« Depuis ton arrivée sur le trottoir, des années se sont écoulées et tu as oublié la personne que tu étais autrefois. Deviens le clochard le plus talentueux de Paris et installe-toi à Versailles ! » annonce le site sur sa home.

« Pour y arriver, tous les moyens sont bons », précise le Parisien : « Le king des trottoirs » devra « collecter des tickets de métro », « apprendre à jouer d’un instrument », s’en mettre « plein les poches » en mendiant , « attaquer d’autres sans-logis », remporter des combats d’animaux, garder sa « conso de boissons à l’œil ». Enfin, « pour s’enrichir, le personnage est invité à devenir un « pickpocket hors pair », à « voler une machine à bonbons, à taper la thune de la dame pipi, à se faire une laverie automatique... ».

En Allemagne, Pennergame (penner signifie clochard en allemand) ce jeu existe depuis un an et chaque mois plus de deux millions de personnes s’y adonnent. Des versions anglaises, polonaises et espagnoles existent générant au total, toutes versions confondues, plus de trois milliards de pages vues. Ce qui fait de l’éditeur, la maison Farbflut Entertainment l’un des leadres du jeu en ligne Outre-Rhin.
 
En France, Clodogame est arrivé en plein coeur de l’été sans susciter aucune polémique. Ce n’est plus le cas. Soudain, à tort ou à raison, les médias se sont emparés du sujet agitant dans l’inconscient Français le spectre du déclassement, de la déchéance, de la rue.
 
Et de faire pleurer dans les chaumières : « C’est lamentable ! Ce site va malheureusement confirmer le grand public dans les clichés qu’il a du monde de la rue. C’est comme ça que les gens voient mes potes, ils ne les connaissent pas », s’indigne, toujours dans Le Parisien, Jacques Deroo, ex-SDF et président du collectif Salauds de pauvres. « Comment peut-on faire un jeu à partir d’une grande souffrance ? On ne doit pas s’amuser du malheur des autres. Le scénario est très vulgaire, immoral, discriminant, violent », dénonce David Berly, à la tête du Collectif des sans-logis (CDSL) et responsable de trois centres d’hébergement en Ile-de-France. « C’est une honte, c’est dégradant, c’est humiliant de faire du sans-logis un objet de dérision. L’image véhiculée est exactement celle contre laquelle on essaie de lutter », juge, « peiné », Jean-François Riffaud, porte-parole de la Croix-Rouge.
 
Quant à Benoist Apparu, secrétaire d’état au logement qui comme on sait fait tout pour rendre la vie des SDF meilleurs, il serait « indigné » et, selon 20 Minutes « a demandé aux services juridiques du ministère d’étudier les possibilités d’intervention ».

Pourquoi cette représentation virtuelle suscite-t-elle tant la controverse ? Celle que nous avons communément des SDF redore-t-elle leur blason ? Il y a une époque où les clochards étaient magnifiés. Doisneau ou Brassaï sans rien enlever de leurs oripeaux les ont figés dans leur dignité. Aujourd’hui, les SDF sont invisibles. Quand par malheur ils existent. C’est nous que nous voyons en eux.

Pour en savoir plus nous avons interviewé Jean-Baptise Bertrand, porte-parole de Farbflut Entertainment

Olivier Bailly : Comment est né Clodogame ?
Jean-Baptiste Bertrand : Les créateurs du jeu, Marius et Niels avaient dix huit ans à l’époque, ça fait maintenant deux ans. À l’origine c’était un hobby. Ils ont créé un petit jeu comme ça et au bout d’un an ils se sont aperçus que finalement ça pouvait devenir quelque chose de plus gros. Les financements venant ils ont réussi à le mettre en ligne il y a un an.

OB : Quand Clodogame a-t-il été mis en ligne en France ?
JBB : Fin juillet. Au début, ce n’était pas connu du tout. Ça ne sortait pas des petits forums spécialisés.

OB : Qu’est-ce qui a déclenché la polémique ?
JBB : Au départ ce n’était connu que par les connaisseurs de jeux stratégiques en ligne, des gens assez jeunes en général. Ils n’étaient pas choqués. Pour eux c’est la même chose que de jouer à des jeux de stratégie mettant en scène des Vikings ou des Romains. Après dès la parution d’un article vendredi dernier et d’un suivant, le lundi, dans le Parisien, un public beaucoup plus large a découvert le jeu. C’est parti comme ça. On a dit qu’il y avait de la violence, des SDF, on a associé les deux et c’était l’horreur. Alors qu’en fait, lorsqu’on y jette un coup d’oeil au plus près la violence n’est pas une nécessité.

OB : Curieuse idée de faire un héros d’un SDF, c’est-à-dire d’un anti-héros ?
JBB : Leur situation fait en sorte qu’ils sont toujours du côté des perdants. Là, pour une fois, on inverse la situation : ils deviennent les héros du jeu. Je vous rappelle que c’est un jeu de stratégie. Après ce qui a choqué c’est la violence. Parallèlement la sortie du jeu en France a été annoncée en même temps que la mise en ligne de vidéos américaines parues sur Youtube. Ça a été associé directement. C’est un hasard de l’actualité. Mais dans le jeu la bagarre est un à-côté. On n’est pas obligés de se battre.

OB : Depuis la médiatisation de votre site quelle est la fréquentation de votre site ?
JBB : La semaine dernière on en était à 1500 joueurs environ. Comme je vous le disais, il s’agissait essentiellement de gens qui connaissent. Ensuite, dès le premier article le vendredi, c’est passé à 3000 puis 4000. Le lundi, avec l’article du Parisien nous avons eu 5000 visites et dans la journée c’est passé à 10 000. Aujourd’hui nous en sommes à 20 000 visites.

OB : C’est une bonne opération pour vous ?
JBB : C’est vrai qu’au final question com’ c’est pas mal, mais c’est un peu bizarre parce qu’on se fait attaquer de partout. On nous menace d’interdire le jeu. Des associations se plaignent, etc. C’est vrai qu’il y a des détails dans le jeu qui le rendent piquant (l’alcool, etc.) et c’est ce qui fait l’effet buzz, mais au final c’est le rôle du jeu. Après on voit les SDF interviewés par des journalistes. Il est clair que ces derniers leur ont parlé du jeu en leur disant « c’est un jeu qui vous met en scène et dans lequel vous vous castagnez avec d’autres personnes... », alors que ce n’est pas du tout ça. Je ne pense pas que les journalistes les aient manipulés mais que certains d’entre eux leur ont présenté le jeu sous un angle biaisé qui le condamnait d’emblée.

OB : Ce jeu marche bien en Allemagne ? Pourquoi hérisse-t-il les Français ?
JBB : On l’ignore. Au départ en Allemagne ça a crié au scandale et puis ça s’est calmé rapidement. Au départ c’était la même chose, bien que les types d’attaques étaient différents. Le fait de mettre en scène des SDF avait choqué. Comme en France beaucoup de gens avaient critiqué le jeu sans vraiment regarder à l’intérieur. Maintenant c’est retombé et maintenant nous en sommes à deux millions de joueurs et à deux milliards de pages vues chaque mois.

OB : Pourquoi le site français ne propose-t-il pas de verser des dons à des associations humanitaires, à l’instar de la version allemande ?
JBB : Le site français est tout jeune. Au début on ne peut pas faire de fausses promesses, ce qui serait pire que tout, on nous accuserait de faire une utilisation médiatique de la misère. En Allemagne nous le faisons depuis longtemps. Mais si c’est possible c’est clair et net que nous le ferons.
 

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