Combien coûtent les jours fériés à l’économie française ?

par Danièle Dugelay
mercredi 8 mai 2013

A l'origine de ce cauchemar d'une dictature médiatique, il y a un fait réel que certains d'entre nous ont pu voir et entendre sur leur petit écran, sur une grande chaîne d'information en continu, mardi soir 7 mai 2013

Vous êtes tranquillement affalé dans votre fauteuil, fatigué après une dure journée de labeur, les yeux à moitié clos devant votre écran de télévision dont vous suivez distraitement le déroulement du programme d’une chaîne que vous n’avez même pas pris la peine de choisir, bref vous dormez à moitié, quand vous entendez cette phrase terrifiante : « Combien coûtent les jours fériés du mois de mai à l’économie française ? »

 

 Horreur, vous n’aviez pas pensé à cela ! Vous vous étiez même réjoui du heureux hasard qui avait permis que le jeudi de l’Ascension de cette année tombât le lendemain de la fête de la victoire du 8 mai, ce qui permettrait avec le pont du vendredi de vous octroyer cinq jours de suite de congé, cinq jours de repos que vous pensiez bien mérité dans cette alternance interminable de « métro, boulot, métro, dodo, métro, boulot… » du lundi au samedi de cette semaine destinée à ressembler à la précédente, puis à la suivante…

Pauvre innocent que vous êtes ! Pauvre insouciant ! Pauvre inconscient ! Misérable larve qui n’avez même pas songé une seconde que votre longue pause de cinq journées sans labeur allait coûter cher à l’économie française, oui cher, votre télévision vient de le dire, elle l’a même écrit en gros titre de lettres noires comme elle le fait chaque fois qu’elle veut attirer votre attention sur une information importante. Chère télévision qui vous a tiré de votre demi-sommeil pour vous rappeler à votre devoir de patriote : vous êtes sur terre pour travailler, pour alimenter l’économie française.

Fini de rêvasser, de bailler aux corneilles – qui s’envolent d’ailleurs effrayées par votre imprévoyance, toutes ailes déployées…- Non, vous dormez encore, ce n’est pas le moment de faire un cauchemar, réveillez-vous ! Oui, vous ! Vous avez tort de ne pas voir plus loin que le bout de votre nez. Vous êtes coupable ! Vous êtes indigne ! Votre légèreté est impardonnable ! Vous le sentez, maintenant, ce sentiment de honte qui vous envahit ? Ah, c’est désagréable, n’est-ce pas ? Cela vous étreint, cela vous angoisse ?

C’est bien fait pour vous, vous l’avez bien mérité, pauvre ver de terre qui imaginiez que vous aviez le droit de profiter de votre vie, mais elle ne vous appartient pas, cette existence : elle n’est là que pour vous permettre de travailler. D’ailleurs, estimez-vous heureux d’avoir la chance d’avoir un emploi et de pouvoir justifier ainsi le droit à la vie, le droit à la subsistance, le droit de vous reproduire afin de permettre qu'aujourd'hui et demain l’être humain travaille, travaille, travaille encore et toujours.

Il faut la nourrir, cette économie nationale, elle a besoin de vous. Promettez de ne prendre votre retraite que lorsque votre rentabilité sera devenue insignifiante. Faites le serment de ne plus prendre quatre jours de repos pour une petite grippe de rien du tout. Quand vous grelottez de fièvre, avez-vous pensé à ce que cela coûte à votre patron, à l’ensemble de la société ? Ne prenez plus le métro, c’est un nid à microbes ; restez donc sur votre lieu de travail, à dormir sur un lit de camp. N’ayez crainte : on vous apportera une soupe pour vous nourrir. Vous laisser mourir de faim, après tous les sacrifices qu’on aura fait pour votre éducation et vos apprentissages, cela serait d’un prix exorbitant, sans compter les frais d’enterrement ou de crémation.

 

Que se passe-t-il ? Vous vous réveillez ? Vous demandez à qui profite cette fameuse économie nationale puisque vous, vous n’arrivez pas à en faire, des économies ? En voilà une idée… Il est interdit de réfléchir devant la télévision, vous n’avez pas le droit : elle est là pour empêcher votre cerveau de penser ! Vous n’avez pas entendu M. Lelay de TF1 quand il a déclaré qu’elle ne devait limiter votre raisonnement qu’à la conscience du besoin de boire un soda. Souvenez-vous, il l’a dit : » Ce que nous vendons à Coca-Cola, c'est du temps de cerveau humain. »

Quoi ? Vous réfléchissez encore ? Mais arrêtez-vous de triturer votre cervelle, on ne vous en demande pas autant… Qu’imaginez-vous ? Non, non, c’est faux de penser que si votre repos coûte cher, cela signifie que votre travail rapporte ? Vous n’avez pas le droit de vous interroger sur ceux qui en profitent. Vous entendez : pas le droit ! Pas le droit non plus d’aller chercher qui va bénéficier des accords du Medef, de la possible disparition du SMIC, de la fin des services publics. Non, Marx vous l’avez oublié depuis des années de gavage de journaux télévisés ! Non, la lutte des classes, vous savez bien qu’on vous a répété mille fois que vous ne deviez plus y croire, comme Cahuzac !On vous a montré la courbe du PIB du mois de mai et vous devez vous sentir coupable, vous devez avoir envie de travailler, encore, toujours et davantage.

Non, n’ouvrez pas le dictionnaire pour chercher l’étymologie du mot travail, on vous le défend… Oui, on le sait que cela vient de « tripalium, sorte de pal à trois branches, instrument de torture » et alors ? Non, vous n’irez pas acheter « Le capital » de Marx ! D’ailleurs, pourquoi l’a-t-on laissé en vente libre, celui-là ?

 

Non, n’appuyez pas sur la télécommande : IL EST INTERDIT DE FERMER LA TELEVISION LORSQUE VOUS ETES CHEZ VOUS ! 


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