Commémorations et divisions, la France coupée en deux
par Quelqu’un
mardi 12 novembre 2013
Notre pays n'a pas tant d'occasions que cela de se réunir en temps en temps pour passer au delà des considérations partisanes, oublier un peu le jeu politique et se souvenir un peu de ce pour quoi tout le monde est censé se battre ici : la France. Le 11 novembre annuel fait partie de ces moments privilégiés, une énorme majorité de français ayant au moins un aïeul qui a connu les tranchées, dans une guerre qui restera un symbole de ce que le nationalisme agressif peut faire de mauvais, mais aussi de bien. La Première Guerre Mondiale fut un extraordinaire moment d'unité nationale en même temps qu'une boucherie alors totalement nouvelle, terriblement moderne. Le paradoxe nationaliste est là, l'union dans la tuerie, pour la survie. Darwin appliqué aux Etats.
Bref. Aujourd'hui, la France commémorait ses morts comme elle le fait toujours depuis neuf décennies. François Hollande espérait certainement pouvoir apaiser certaines tensions latentes par le souvenir historique d'une vieille nation toujours là malgré les épreuves, rappeler les leçons du passé aussi. La France a survécu par l'unité lors de la grande guerre, elle a perdu par le fruit de ses divisions qui l'immobilisèrent dans les années 30 jusqu'à l'ouragan allemand de la blitzkrieg. Le parallèle entre notre époque et les années tristes étant très souvent fait, à tort ou à raison, il était bien évidemment de bon ton de parler des ancêtres morts comme des rats dans la boue, pour une idée : une France unie, fière, et victorieuse.
Mais la fête est gâchée. Gâchée par la bourgeoise pète-sec en manteau de fourrure qui ne supporte toujours pas l'idée d'une union entre deux hommes, gâchée par le Breton au bonnet rouge qui ne veut plus des niaiseries onéreuses des écologistes, gâchée par de prétendus patriotes incapables de respecter le repos du soldat inconnu, gâchée par le Président lui-même bien trop impopulaire pour sa fonction. Désormais gâchée par le bobo se vantant d'un patriotisme plus poussé que celui du droitiste. Gâchée par tout le monde.
D'où vient donc le gâchis ? De divisions mortifères orchestrées par des partis politiques opportunistes qui ont saisi le vent de la crise et montent les français les uns contre les autres dans une course effrénée vers le pouvoir. Regardez donc à quel point s'accumulent les affaires et les scandales, les points de désunion. Cahuzac, Sarkozy, Brignoles, Léonarda, écotaxe, bijoutier, Méric, Fiona, Taubira, mariage gay... En une petite année, 2013, nous avons eu le droit à une dizaine de débats enflammés autour d'affaires isolées, prétextes servant à remettre en cause les règles de toute une société ou au contraire de réfuter tout changement de conduite, au risque d'attiser encore la frustration de la moitié du pays. Les partis politiques s'accaparent de tout ce qui peut leur servir pour discréditer l'autre. Et soyons clairs, les deux acteurs principaux en sont le Parti Socialiste et le Front National.
D'un côté, le PS défendant le modèle actuel, c'est le parti français le plus conservateur, paradoxalement. Et prenons le cas sociologiquement, la rose creuse son terreau chez les étudiants et la petite-bourgeoisie, chez les fonctionnaires également... Soir les forces vives historiques du conservatisme. L'autre face du pays est de plus en plus représentée par le FN qui s'est d'abord présenté comme force de mouvement recrutant chez les ouvriers et les jeunes en situation difficile résultats d'une société cultivant la frustration, mais qui prend un visage plus républicain et immobile ces derniers temps pour voler l’électorat du PS après avoir vampirisé celui de l'UMP. Exemple suprême de cette division profonde, les socialistes dominent l'ensemble des institutions françaises tout en ne dépassant jamais les 30% dans les sondages et les élections, tandis que le FN ne possède quasiment rien avec un soutien semble t-il plus important.
Or, cela pose un problème fondamental, l'idée de la Vème République est d'origine militaire. De Gaulle en était un et il fut appuyé par les généraux lors de l'instauration de nos institutions. Et depuis Napoléon, les militaires prônent l'union et luttent contre le parlementarisme des partis politiques. Inutile de préciser que leur "bébé" leur a complètement échappé au point de voir un Président prêt à tailler dans leurs dépenses aujourd'hui. Mais François Hollande a encore d'autres problèmes que l'hostilité quasiment affichée des gradés.
Le Président selon la Vème République est une voûte, un point de rassemblement, et surtout un homme détaché des considérations partisanes. Sarkozy a fait exploser cette idée en étant le premier Président de la République affichant ouvertement ses convictions comme étant supérieures à l'idée de l'union nationale avec notamment le controversé Ministère de l'Identité Nationale. François Hollande traînera, lui, le trop long débat sur le Mariage Gay comme un boulet permanent, un rappel qu'il ne peut plus avoir le soutien exclusif de son peuple même dans les moments difficiles, qui seront seulement de nouvelles occasions pour ses opposants de le critiquer. Chirac et Villepin avaient reculé lors du CPE, Mitterrand aussi sur la réforme de l'éducation. Sarkozy et Hollande ont fait passer en force les retraites et le mariage pour tous. La différence entre deux époques se trouve ici.
La réalité ? Depuis 2007, il n'y a plus de Président de la République mais plutôt une espèce de Secrétaire Général du Parti au pouvoir. Or, nous ne sommes pas l'URSS, ce système ne marchera pas bien longtemps dans le contexte du pluralisme politique. C'est bien la Vème République, attaquée dans son fondement, qui est menacée de mort. C'est d'ailleurs pourquoi il est bien inutile de débiter des discours de droit en plein débat, comme ce fut le cas lors du mariage gay. Les institutions ont quitté leur rôle de base pour notre société et sont devenues un emballage pour des projets idéologiques sous l'impulsion des partis.
Les bases sont détruites et nous allons au devant d'une crise politique majeure. Le fait que même les poilus doivent passer dans le champ idéologique n'en est qu'un énième signal...
Alexandre Jassin.