Comment le peuple a-t-il perdu la lutte de classes ?
par Jean-Paul Foscarvel
jeudi 28 août 2008
Le peuple semble avoir perdu une lutte qui date du milieu du XIXe siècle, sans coup férir, par petites doses, renoncement après renoncement, dans l’indifférence avec lui-même.
Deux mécanismes principaux sont au cœur de la victoire de la classe dirigeante :
- l’un, idéologique par l’apparition sur la scène des idées économiques du néoclassicisme d’une part, l’effondrement dans les têtes et dans les faits du système soviétique, et l’utilisation de la globalisation comme fer de lance afin de réduire toute résistance à néant.
- l’autre, structurel par la transformation du taux de profit autrefois issu de la fabrication de biens réels, aujourd’hui créé principalement dans la sphère de la conception et de l’information, par l’éclatement des entreprises en entités sous interdépendance contractuelle qui fait du même coup éclater les solidarités, ainsi que par la déterritorialisation des multinationales qui peuvent choisir les États les moins-disants socialement.
La défaite du mouvement populaire est due à de multiples causes :
- incapacité dans les années 80 à se détacher du modèle soviétique qui était de fait une transition entre la féodalité et le capitalisme développé par l’émergence d’une société étatique centralisée, impossible à imiter dans le passage d’une société capitaliste développée à une société démocratique, écologique et humaniste ;
- foi immodérée en ses propres forces, via les syndicats et les partis, jusqu’à leur épuisement fatal, par notamment une institutionnalisation, voire un schéma organisationnel qui a coupé l’élite de la base, tant au niveau des syndicats qu’à celui des partis ;
- incapacité à transformer un modèle spartiate (l’égalité de fait, l’isonomie) en modèle athénien, voire républicain (équilibre liberté égalité fraternité) ;
- illusion sur la fin de l’histoire et la fin proche du système capitaliste ;
- aveuglement sur les transformations internes du capitalisme en termes de mécanisme de création de la plus-value, processus qui a permis d’étendre l’exploitation des ouvriers lors de la fabrication d’objets réels (modèle fordien) à celle des cadres via l’ingénierie (modèle de la start-up) ;
- absence d’intégration des classes intermédiaires en voie de prolétarisation et non prise en compte de leurs exigences spécifiques en termes de liberté individuelle et de développement personnel ;
- absence complète de prise en compte de la sphère environnementale par la construction d’un modèle de stabilité économique global : seul le modèle productiviste de croissance reste la base des principaux piliers du mouvement populaire.
- perte de repère de la classe ouvrière qui voit l’avenir (le socialisme) se transformer en cauchemar sans pouvoir se référer à un autre modèle ;
- crispation des anciens sur une époque dépassée, et abandon de la jeunesse qui y voit un totalitarisme dénué de la moindre liberté ;
- perte par effet collatéral de la notion de solidarité, fraternité, qui dans un chacun pour soi généralisé est vu comme une astreinte à la liberté individuelle ;
- éclatement de la sphère sociale dans le communautarisme, le lepénisme, le consumérisme ;
- absence de résistance de la part de la classe moyenne face à sa paupérisation, prise dans le choix cornélien d’allégeance à la classe dirigeante et de velléité de rébellion par rapport à son sort réel en constante dégradation.
Il semble désormais trop tard pour inverser la tendance, que ce soit au niveau français, ou européen. Cependant, le moteur du système (l’énergie) vient à manquer, les menaces s’accumulent sur un système, qui ne tient compte ni de l’épuisement prévisible des ressources, ni des conséquences sociales et écologiques de ses activités. Par ailleurs, des limites, dont certaines inattendues, se font jour, comme le développement d’une résistance en Amérique latine et une perte d’hégémonie absolue du modèle libéral-capitaliste sur la planète.
Mais l’absence d’un modèle d’un avenir souhaitable, qui ne soit, ni le droit au bonheur d’une minorité à l’aune de la pauvreté du plus grand nombre, ni un égalitarisme destructeur qui prive chaque être de liberté, mais puisse être notamment une combinaison complexe de droits et de responsabilités partagés dans un esprit de poursuite de l’œuvre humaine, modèle à la fois souple pour s’adapter aux aléas de l’histoire humaine et solide pour permettre à chacun de vivre correctement sur une planète saine, manque cruellement.