Comment on achève le « Réel »...

par lephénix
mardi 26 février 2019

 

Les « avancées technologiques » brouillent toute réalité et ceux qui les pilotent construisent le "réel" auquel il faut s'adapter. Le philosophe Bertrand Vergely met en garde contre un nouvel « irrationalisme » apparu à travers la négation de nos limites.

 

Vladimir Nabokov (1899-1976) écrivait un jour que le mot « réalité » était l’un des rares qui ne signifiait rien sans guillemets. A quelle « réalité » nous accrochons-nous encore ? Laquelle désirons-nous – ou nous semble-t-elle encore désirable ? Chacun ne dit-il pas "le réel" à sa manière et n'en fait-il pas l'expérience selon sa présence d'esprit et son état d'acceptation ? Existerions-nous en fait dans une simulation informatique qui nous rendrait incapables de reconnaître l’existence de la « réalité » ? D’ailleurs, quelle est "l’âme du réel" ?

Pour le philosophe Bertrand Vergely qui enseigne en classes préparatoires à Orléans ainsi qu’à l’Institut Saint-Serge à Paris, un réel sans âme cesse d’être le réel : « Ce réel mort porte un nom aussi. Cela s’appelle un cauchemar. » Serait-ce là notre « réel » dénaturé – ou notre cauchemar climatisé ?

 

Quand la réalité s’effondre…

 

Voilà plus de trente ans, Jacques Testart concluait ainsi son livre, L’œuf transparent (Flammarion, 1986) : « Viendra le temps où le solde de l’humanité sera tout entier contenu dans le souvenir de l’homme  ».

Aujourd’hui, en pleine désinformation et évaporation du réel, le transhumaniste Laurent Alexandre fait mine d’interroger : « le futur a-t-il encore besoin de nous ? »

Bertrand Vergely poursuit sa réflexion amorcée dans La Tentation de l’homme-Dieu (Le Passeur, 2015) et rappelle que « le jeu a pris les commandes de la réalité ». Le « vrai » a été escamoté par le grand leurre technologique qui fait miroiter à l’espèce un « avenir fait de jeu ». S’adressant à nos pulsions infantiles en nous parlant sans cesse de « rêve, d’utopie, de jeu, sur fond d’un univers déréalisé », les intérêts puissants d’une « industrie numérique » en roue libre nous dealent des myriades de gadgets aussi inutiles que nuisibles qu’il suffirait précisément de ne pas acheter pour qu’ils ne se vendent pas – et ne polluent plus…

A l’heure d’un féminisme exacerbé en mode guerrier, il déplore une différence homme-femme aussi surérotisée que dénaturée : « La différence sexuée qui est un fait de nature a été travaillée par la culture. A été appelée ainsi femme la femme hyper-femme exacerbant ses attributs sexuels de femme afin de plaire et de séduire. (…) Qu’est-ce qui est à la base de l’exacerbation de la différence sexuée ? C’est la bêtise avec laquelle est vécue la différence sexuée et l’ignorance dans laquelle elle ne cesse d’évoluer. La sexualité met l’être humain en relation avec les plus hautes énergies de l’homme, de la vie et de l’univers devrait être vécue de façon initiatique. Elle est vécue comme un jeu infantile et un produit de consommation. On ne peut pas à la fois, sous prétexte de libérer le sexe, désirer que celui-ci soit désacralisé et traité comme un produit de grande consommation et en même temps désirer que la femme soit respectée.  »

En pleine transgression décomplexée, il rappelle ce qui, depuis un demi-siècle, « gouverne mentalement le monde avec pour projet d’éliminer l’homme tel qu’il est, à savoir le Blanc hétérosexuel et chrétien, afin de faire advenir l’homme nouveau, individualiste, multiculturaliste et transgenre  »… Lorsque « techno-progressistes et bio-progressistes assènent l’artificialisation du monde et de l’homme comme inéluctable », ne serions-nous pas en train de rompre la filiation avec ce réel qui nous constitue et de couper toute amarre avec une Terre que nous avons cessé de sentir sous nos pieds ?

Mais le réel aussi congédié par nos médias tournant en boucle ne reviendrait-il pas en boomerang déchirer le voile de l’aveuglement volontaire et du déni rageur ? Le philosophe ne désespère pas : les humains décrétés « sans valeur économique » renoueront-ils, au pied du mur ébranlé de cet aveuglement-là, avec des ressources spirituelles insoupçonnées ? « Il se produira alors une destruction de la bêtise et de la folie qu’aucune révolution n’est parvenue à faire jusqu’à présent. Une révolution d’autant plus destructrice et révolutionnaire qu’elle ne fera aucun mort. Rien que des vivants.  » La vraie liberté de l’homme ne consisterait-elle pas à accueillir cette révolution permanente appelée « émerveillement » ? La seule qui réaccorderait l’intime à l’immense en désentravant l’infini en nous ?

Bertrand Vergely, La destruction du réel, Le Passeur, 272 p., 20,90 €


Lire l'article complet, et les commentaires