Commentaire du « Secret des femmes » par Elisa Brune et Yves Ferroul
par Automates Intelligents (JP Baquiast)
mercredi 1er décembre 2010
présentation et discussion par Jean-Paul Baquiast
Yves Ferroul est peut-être moins connu du grand public, mais cela
On notera un point intéressant. Le site lui a permis, ainsi qu’à Elisa Brune, de consulter en ligne un nombre respectables de femmes intéressées par la question et acceptant d’en parler. Lorsque l’on sait les réserves que suscitent des sondages même anonymes touchant à ce point la partie intime des psychismes, on doit saluer l’exploit. Concernant le site, nous voudrions mentionner un regret, son architecture étrange qui le rend très peu maniable. C’est dommage.
Un survol des 6 premiers chapitres
Le livre se présente, comme il se doit chez un éditeur aussi austère que Odile Jacob, sous la forme d’une véritable petite thèse interdisciplinaire. Que ce terme ne fasse cependant pas fuir les lecteurs. La forme et les contenus sont particulièrement accessibles. Disons seulement que les différents chapitres abordent des questions tellement riches d’implications scientifiques, voire évoquent tant de problèmes non encore résolus, qu’ils mériteraient d’être développés sous forme d’ouvrages à eux seuls.
Le livre comporte plus de 320 pages dont toutes justifient une lecture attentive. Nous n’allons donc pas le résumer ici. Nous proposons un bref commentaire des 5 premiers chapitres, suivi de quelques réflexions plus générales ou portant sur des points non abordés explicitement dans l’ouvrage mais qui justifieraient pensons nous d’être traités ultérieurement.
Il faut bien comprendre le thème du livre, afin de ne pas y chercher ce qui ne s’y trouve pas. Il ne s’agit pas d’étudier la sexualité en général ni même la sexualité de la femme, mais comme le titre l’indique, le plaisir et la jouissance chez la femme, autrement dit l’orgasme. Chez l’homme, l’orgasme est communément éprouvé et connu. Chaque humain de sexe masculin sait en principe ce dont il s’agit. L’orgasme masculin est à peu près défini en termes sinon psychologiques du moins physiologiques. Chez la femme, comme l’ouvrage le rappelle, il a été longuement ignoré, nié ou instrumentalisé par ce qu’il faut bien nommer le pouvoir mâle. Ceci parce que l’orgasme féminin est nécessairement lié non seulement à la conquête par la femme de son autonomie sexuelle mais à la construction de son autonomie individuelle, souvent loin des rôles imposés par les forces dominantes. Nous allons y revenir. Les auteurs ont donc pleinement raison d’en faire le thème pivot de leur démarche de redécouverte.
Comme il se doit, un premier chapitre « L’orgasme avant l’humanité » recherche les formes que pourraient prendre l’orgasme chez les femelles des innombrables espèces qui paraissent accorder au plaisir sexuel un intérêt propre, pas nécessairement en accompagnement du rapport reproductif. Le non biologiste sera étonné de voir le nombre des manifestations qui accompagnent la recherche du plaisir, y compris dans des activités d’auto-érotisme, chez de très nombreuses femelles n’appartenant pas aux espèces dites supérieures. Ceci par contre ne surprendra pas nos lecteurs. Ils sont habitués à lire ici les compte-rendus de recherche montrant comment les pratiques comportementales dont l’homo sapiens veut s’attribuer le monopole sont communément répandues dans la nature. Ce qui vaut pour la sexualité des mâles doit nécessairement aussi valoir, mutatis mutandis, pour celle des femelles.
De là on peut supposer que des formes plus ou moins paroxystiques (ou acme) terminant par exemple une activité masturbatoire, s’accompagnent d’un plaisir plus ou moins bref et fort de type orgasmique, ressenti par les centres nerveux de la femelle. Lorsque l’imagerie cérébrale sera devenue suffisamment accessible, on verra ce qu’il en est dans les centres nerveux des petites femelles animales, rattes ou lapines. Mais même sans IRM, on peut supposer que le plaisir existe chez de nombreuses femelles de nombreuses espèces, soit en tant que tel, soit en réponse au plaisir masculin, soit pour le provoquer.
Malheureusement nous ne disposons pas des langages animaux permettant de nous en rendre compte.L’orgasme doit vraisemblablement s’accompagner de manifestations provenant d’un langage du corps que nous sommes en général incapables de comprendre, nous étant coupés de nos racines animales. On renverra sur ce point aux travaux de Dominique Lestel, référencés sur ce site (voir Lestel, L’animal est l’avenir de l’homme).
Le second chapitre, « L’orgasme féminin dans l’évolution humaine », fait très logiquement la transition entre l’orgasme féminin supposé chez l’animal et celui qu’auraient pu éprouver les femmes de la préhistoire, à des époques où vraisemblablement la tyrannie mâle n’avait pas encore pris les formes excessives développées dans les époques historiques. Il est difficile d’en traiter savamment, faute de preuves très explicites. Cependant, les auteurs, en bons évolutionnistes, considèrent qu’une propriété telle que l’aptitude au plaisir et à l’orgasme, fut-elle fonctionnellement inutile à la reproduction, n’aurait pas pu apparaître tout de go chez les femmes modernes. Si elle préexistait chez certains animaux proches de l’homme, elle existait déjà nécessairement durant les 2 millions d’années où certaines lignées d’hominiens ont évolué en homo sapiens.
A cet égard, les auteurs abordent la question du rôle sélectif que pouvait avoir en ces temps anciens le potentiel orgasmatique éventuel des femelles. Aucun rôle, répondent-ils. Le trait se serait conservé y compris sous la forme de l’organisation génétique et neurale qui le rend possible, simplement parce qu’il était là. On reconnaît une hypothèse de Stephen Jay Gould. Des caractères fonctionnement inutiles peuvent persister longtemps, tant qu’ils ne créent pas de contraintes insupportables aux espèces qui en sont dotés.
Pour notre part, nous préférons penser que, de même que des formes plus ou moins invisibles à nos yeux de plaisir féminin doivent exister chez les animaux, l’équivalent devait se trouver chez les femelles préhistoriques. Ces processus pouvaient au moins servir à renforcer la cohésion sociale, ne fut-ce que dans des échanges de type masturbatoire partagés entre les femmes. Ceci d’autant plus que, comme le souligne les auteurs, le passage à la bipédie a entraîné un remodelage progressif de l’architecture des organes sexuels féminins, avec modification de la place du clitoris. Si comme à juste titre, l’on fait de cet organe un des acteurs de la construction de l’orgasme, on peut penser que son existence, de plus en plus invisible aux yeux des mâles adultes, restait connue et utilisée par les petites femelles, ceci depuis leur plus tendre enfance.
Le troisième chapitre, « Petite ethnologie de l’orgasme », survole ce qui là aussi pourrait faire l’objet d’un livre tout entier, sinon d’une collection, la façon dont différentes sociétés antiques ont reconnu ou nié le plaisir féminin. Le coup d’oeil est étendu aux sociétés contemporaines dites primitives, notamment celles des archipels Pacifique. D’une façon générale, les auteurs rappellent une évidence, qui aujourd’hui ne peut plus être affirmée sans de multiples précautions oratoires : le fait que les jeux sexuels entre enfants des deux sexes ou entre enfants et adultes avaient un véritable rôle symbolique et pratique dans la construction des identités sociales et individuelles. Cependant, à partir d’une probable égalité de départ relative entre les sexes, le rôle prédominant du mâle s’est affirmé très tôt dans l’histoire de l’antiquité grecque et romaine, au profit bien sûr des individus socialement dominants.
La sexualité et le plaisir de la femme n’ont cependant jamais été niés sous l’Antiquité, jusqu’à ce que survienne cette véritable catastrophe que fut à cet égard le succès du Christianisme en Europe. La question a été abondamment documentée et commentée. Inutile d’y revenir. Ce fut le sexe tout entier, et pas seulement la sexualité féminine, qui furent persécutées et condamnés au silence. Un minimum de bon sens avait survécu à cet égard dans les populations rurales, mais il n’a pas résisté longtemps aux assauts des prédicateurs.
Sur ce point, nous aurions aimé que les auteurs présentent quelques hypothèses permettant de comprendre une telle apocalypse. Pourquoi selon eux, dans l’Occident chrétien, des visions aussi terrifiantes de la sexualité en général, de la sexualité féminine en particulier, ont-elles pu prendre l’importance qui est restée en grande partie la leur. D’autres régions du monde, où ce sont aux mêmes époques édifié les pouvoirs des princes ou des dignitaires religieux, n’ont pas hébergé de telles dérives. Même si la femme, en Chine ou en Inde, n’a jamais été véritablement reconnue en tant que personne dotée de droit, la haine féroce du sexe féminin, de véritables démonisations, allant jusqu’à la mise à mort par milliers de présumées sorcières, ne semblent pas avoir ensanglanté à ces échelles le reste du monde.
Il est vrai qu’aujourd’hui la même question peut être posée à l’égard de la haine de la femme manifestée par l’islam radical. Superposée à une domination du mâle présente depuis des siècles dans le bassin méditerranéen et au Moyen-orient, elle commence désormais à faire de sérieux ravages en Europe même. Peut-on alors parler d’une véritable incompatibilité entre les religions monothéistes et le féminisme, et si oui pourquoi ? Il serait temps d’examiner la question avec le sérieux qu’elle mérite.
Le chapitre 4, « L’orgasme et les médecins », est consacré non à l’étude de l’orgasme féminin par les sciences modernes, présentée au chapitre suivant (« Que dit la science ») mais aux efforts laborieux des premiers anatomistes et thérapeutes pour traiter le sujet. Certains de ceux-ci étaient d’honnêtes chercheurs utilisant pour décrypter les mystères du plaisir féminin les moyens de leur époque. Mais d’autres étaient les représentants de ce que l’on nomme aujourd’hui le pouvoir médical. Celui-ci se déployait aux détriments des faibles, femmes, enfants et personnes au psychisme déficient. Il imposait – et impose encore parfois - la domination des classes dominantes et des mâles détenteurs du pouvoir économique et politique. Il en est résulté le traitement asilaire de ce que l’on appelait l’hystérie. Bien pire en un sens, il en est résulté ce que les auteurs nomment la catastrophe freudienne.
On sait ce qu’il en est. Inutile de reprendre ici le procès légitime fait à Freud et à tous ceux qui ont repris et reprennent encore ses idées sommaires sur la frigidité, l’orgasme féminin (qui ne saurait selon le Maître être clitoridien), l’envie de pénis et autres mythes. Michel Onfray a entrepris comme l’on sait avec un certain succès de déboulonner l’idole. Mais la encore reste posée la question du pourquoi ? Pourquoi sur des bases aussi arbitraires que celles proposées par Freud, reprises depuis sans en changer une ligne par des milliers de disciples, certaines femmes acceptent-elles encore de confier ce qu’elles pensent être leurs troubles sexuels à des psychanalystes freudiens ?
A partir du chapitre 5, « Que dit la science ? », le lecteur trouvera l’essentiel des apports du livre, comprenant de nombreux points originaux, non précisés à ce jour par une littérature clinique restée encore dans l’enfance. Ce chapitre fournit les informations correspondant à l’état des connaissances actuelles sur des questions généralement résolues en pratique par les personnes ayant un minimum d’expérience sexuelle mais sur lesquelles continue à flotter un brouillard théorique et idéologique regrettable : le rôle essentiel du clitoris dans la construction de l’orgasme (ainsi que l’anatomie de cet organe, dont beaucoup de lecteurs découvriront avec surprise la place qu’il occupe au sein de l’appareil génital féminin) ; le vagin et son rôle dans le plaisir, moins important que ne le prétendait Freud mais à ne pas négliger cependant ; le point G ; les orgasmes multiples ; le rôle du cerveau inconscient dans la création de l’orgasme, tant chez l’animal que chez l’humain ; l’intérêt de l’orgasme pour la santé physique et morale ; l’importance des instruments simulant le partenaire sexuel dans l’activité masturbatoire ou dans la relation bilatérale (nous reviendrons sur ce point ci-dessous)...
La conclusion de ce chapitre important est cependant nette : les sexologues et à plus forte raison les individus ordinaires savent encore très peu de choses sur l’anatomie, la sexualité et l’orgasme chez la femme. Les recherches scientifiques sont récentes et restent très mal financées, contrairement à ce dont bénéficient les recherches équivalentes portant sur l’homme. Le sujet en fait n’intéresse pas l’institution. Nous avons dit pourquoi. Ceci est d’autant plus dommageable que, contrairement aux hommes, les femmes doivent apprendre à atteindre l’orgasme. Il ne se produit pas automatiquement. Or, à défaut d’y arriver, beaucoup de femmes considèrent, comme le montre la seconde partie du livre, qu’une part de leur vie a été manquée.
Le chapitre 6 enfin « Quand les femmes en parlent », est sûrement le plus original, car il rassemble et met en perspective les témoignages reçues par les auteurs sur le site internet ouvert dans ce but. On ne peut que se réjouir de voir pour la première fois en France Internet servir à favoriser des paroles qui sans cette technique ne pourraient se faire entendre publiquement. Les puristes ferons sans doute remarquer que rien n’identifie réellement les voix qui se font entendre. Cependant, dans l’ensemble, rien ne permet de suspecter l’authenticité des propos. Nous ne pouvons évidemment pas, mieux que ne le font les auteurs du livre, résumer les conclusions pouvant être tirées de toutes ces contributions. Nos lecteurs devront en prendre eux-mêmes connaissance.
Quelques commentaires
Dans le cadre du présent article, nous nous limiterons à quelques remarques et questions revenant sur certains des points abordés dans le résumé du livre auquel nous venons de procéder.
1. Pourquoi a-t-on si peu parlé du « Secret des femmes » ?
C’est la première question qui vient à l’esprit. Elle met en évidence le poids permanent de la censure volontaire ou inconsciente pesant sur un tel sujet. Pourquoi un livre traitant d’un thème aussi important et aussi mal connu que le plaisir (et plus particulièrement l’orgasme), chez la femme, ait été pratiquement passé sous silence ? Certains rares média ont mentionné l’ouvrage, mais le buzz, comme l’on dit, mérité n’a pas eu lieu. La réponse la plus simple venant à l’esprit est que, pour les pouvoirs masculins qui, répétons-le, dominent la société française, la femme ne doit pas avoir de personnalité propre. Tout ce qui peut contribuer à lui donner de l’autonomie face aux hommes doit être censuré. Elle ne doit pas se convaincre qu’elle peut et doit se construire sa personnalité sexuelle, comme elle devrait le faire de sa personnalité professionnelle et sociale.
On pourrait penser que la société française, réputée pour son ouverture, après 50 ans de féminisme militant, n’en serait plus au point de conservatisme caractérisant en ce domaine d’autres pays européens, sans mentionner les sociétés anglo-saxonnes ou musulmanes. Mais ce serait une erreur. Plus grave, la France est aujourd’hui soumise à un retour en force des religions et des cultures reposant sur l’assujettissement de la femme. Elle régresse très vite par rapport aux Trente Glorieuses. Les femmes qui ne se voilent pas la face (c’est le cas de le dire) le constatent tous les jours. C’est là que la sexologie, la science politique et les autres sciences humaines ne doivent pas être séparées d’un regard véritablement féministe.
2. L’ignorance où l’on est, même lorsque l’on se croit informé, du nombre infime des recherches sérieuses sur la sexualité en général, sur la sexualité de la femme en particulier.
Le livre produit à cet égard l’effet d’une douche froide. On y apprend que, pratiquement, depuis les travaux fondateurs d’Alfred Kinsey et de Masters and Johnson, le sujet n’a pas fait l’objet d’analyses approfondies. Qui plus est, on découvre que ces chercheurs courageux, aussi prudents sinon traditionnels qu’ils aient été dans leurs concepts et leurs propos, ont subi un véritable rejet mondial. Cela les a conduit au silence et à la misère. Naïvement, ceux qui ont beaucoup appris tant du rapport Kinsey que du Deuxième Sexe de Simone de Beauvoir pensaient que le premier bénéficiait de la même reconnaissance sociale que la seconde. Il n’en était rien.
Certes, la bibliographie du « Secret des femmes » mentionne un petit nombre d’ouvrages et d’articles généralement anglophones et non traduits sur la question. Mais quelles sont les Françaises, jeunes ou moins jeunes, qui ont pu se les procurer et y réfléchir ? D’où le caractère bienvenu de l’enquête et du livre de Brune et Ferroul, d’où l’urgente nécessité qu’il y aurait à les faire mieux connaître.
3. A l’opposé,il faut rappeler l’omniprésence des rôles et des images asservissantes imposés aux femmes par le pouvoir masculin mondial.
Il s’agit d’une constatation souvent faite, mais qui entraîne la plus grande passivité aussi bien chez les femmes qui en sont nécessairement les victimes que chez les rares hommes voulant échapper à un enrégimentement dont ils constatent parfois les effets néfastes dans leurs relations sexuelles ou professionnelles avec les femmes.
Les observateurs et observatrices lucides observent parfois avec regret que la prétendue libéralisation des moeurs et des contenus culturels dont se vante le monde dit occidental marque en fait un maintien sinon un retour en force de l’aliénation historique imposée à la femme. Mais que fait-on pour faire perdre de l’argent, au sens propre du terme, à tous ceux qui profitent de cette aliénation ? Qui refuse d’acheter les magazines, voir les films, consommer les produits vivant de la marchandisation de la femme ? Fort peu de gens.
Quant aux hommes se prétendant féministes, renonceraient-ils sauf par peur de s’adresser à des prostituées importées d’ailleurs s’ils en avaient l’occasion ? Certes, par rapport à des pays où la nudité d’une femme, la vue de son simple visage, provoquent des scènes d’hystérie religieuse, l’Occident paraît un havre de tolérance et de mixité. Mais nos femmes mériteraient mieux, au siècle de l’hyper-science, que d’avoir à choisir entre la peste et le choléra.
4. Jouets sexuels et robots
Le livre réhabilite, aux yeux de ceux qui n’osent pas s’en servir, le rôle des médiateurs matériels ou artificiels utilisés dans la masturbation ou dans les relations à deux ou plusieurs partenaires. Il n’y a là rien pour étonner les défenseurs de la thèse que nous avons pour notre part nommé anthropotechnique. Des les premiers stades de l’hominisation, des « outils » ont été employés par les primates pour augmenter le champ d’action de leurs organes corporels et de leurs représentations neuronales. Ils ont ainsi tissé avec ces intermédiaires extérieurs des liens sans doute génétiques mais en tous cas culturels qui les ont progressivement conduits à construire un monde jamais apparu jusqu’alors dans la nature.
En fait, nous l’avons vu, les animaux ont compris comment utiliser les objets du monde matériel en simulacre de partenaires sexuels, mais ils n’en ont pas fait des outils individualisés et transmissibles comme tels. Il reste évidemment peu de traces des outils sexuels employés aux époques préhistoriques. Mais des l’Antiquité les exemples abondent. Les femmes n’étaient pas les dernières à en faire usage. D’où à nouveau la question de savoir pourquoi le rayon des outils et jouets sexuels reste aujourd’hui encore si mal vu par les sociétés contemporaines – ce qui fait évidemment l’affaire des négociants qui profitent du monopole que leur confère la censure officielle.
Ajoutons pour notre part que les choses changeront sans doute très vite du fait des progrès de la robotisation. Les spécialistes savent que des robots anthropoïdes des deux sexes, robots de plus en plus « humains », seront un jour prochain disponibles à des prix abordables. Leur usage comme partenaires sexuels obligera une nouvelle fois à s’interroger sur les limites de l’humain « artificiellement augmenté » ( Voir à cet égard « Love and sex with robots » de Daniel Levy et notre article « la révolution du zootechnocène »
5. La question du rôle déclencheur des fantasmes dans la production de l’orgasme.
Il est dommage que « Le secret des femmes » n’aborde pas cette question d’un très grand intérêt pratique et théorique. Il est évident (la presse féminine elle-même n’hésite pas à le dire) que pour la plupart des femmes, des images ou représentations imaginaires à fort potentiel érogène accompagnent généralement l’orgasme. Beaucoup de femmes disent même que, sans de tels fantasmes, elles ne pourraient pas accéder au plaisir final. Plus ces images sont réprouvées par la morale et les bonnes moeurs, plus leur effet érogène serait puissant. Il s’agit donc bien là d’une revanche de la nature sur des conventions sociales imposées sans discussions possibles.
Savoir ce qu’il en est, explorer le champ immense des interdits et de leurs franchissements symboliques présente donc un intérêt pratique pour toutes celles et ceux qui veulent favoriser l’orgasme féminin. Mais la question présente un intérêt théorique encore plus grand, car elle touche au coeur même des questions qui se posent aujourd’hui aux neurosciences. Le livre a rappelé que la stimulation par voie d’électrodes des centres nerveux dits pour simplifier du plaisir et de la récompense provoque des orgasmes aussi consistants que ceux obtenus par les processus naturels. Ceci aussi bien chez les animaux que chez les humains. Ce mécanisme à lui seul mériterait d’être étudié plus en détail. Que se passe-t-il alors dans le cerveau ? Quelles conséquences en découlent-elles sur l’organisme ou sur le psychisme.
Au delà de la stimulation électrique ou chimique dont on peut plus ou moins facilement comprendre l’effet sur les aires cérébrales, se pose la question de la stimulation apportée par la vue d’une image érotique (la couverture du livre « Le secret des femmes » par exemple – voir photo ci-dessus) et, phénomène plus mystérieux encore, par une stimulation encore plus « immatérielle », lorsqu’une femme à la recherche du déclenchement de l’orgasme imagine par exemple être nue et contemplée par tous lors d’un repas officiel.
Une double question se pose alors :
1. Comment agit exactement ce fantasme qui n’a bien évidemment pas la consistance d’une stimulation électrique ? Réactive-t-il des souvenirs enfouis acquis par le sujet ? Provoque-t-il une véritable hallucination avec construction d’une scène encore plus réelle pour le sujet qu’une scène réelle ?
2. Le sujet peut-il comme il le croit évoquer consciemment et volontairement ce fantasme de nudité dans le but d’accélérer la venue de son propre orgasme ? Il faudrait en ce cas concilier cette affirmation avec les thèses généralement reconnues aujourd’hui selon lesquelles la volonté consciente n’est jamais un mécanisme premier susceptible de déclencher un comportement. Selon ces thèses, que nous avons plusieurs fois défendues ici, la prétendue conscience volontaire serait toujours seconde dans une chaîne de déterminismes. D’où proviendrait alors le mécanisme de production de fantasme primo-déclencheur de l’orgasme, s’il ne provenait pas seulement des stimulations génitales physiques ?