Commission européenne, la marionnette des cigarettiers

par Lucien
mercredi 4 avril 2018

Alors qu’ils n’hésitent pas à franchir les limites de la légalité pour commercialiser leurs produits, et qu’il est désormais de notoriété publique qu’ils organisent eux-mêmes une partie du commerce parallèle de tabac, les cigarettiers se sont vu accorder les pleins pouvoirs, par la Commission européenne, pour ce qui est de la mise en place d’un système de traçabilité des produits du tabac sur le vieux continent.

 

Les multinationales de la cigarette mènent « une guerre sans merci », « un combat à mort » contre les gouvernements et les populations. Tandis que les autorités « durcissent sans cesse leurs lois antitabac », les industriels « imaginent toujours de nouveaux stratagèmes pour les contourner », s’indignait récemment Frédéric Vézard dans les colonnes du Parisien.

La raison de cette colère ? Dans une enquête, publiée le 13 mars dernier, le quotidien français lève le voile sur les méthodes utilisées par Philip Morris International (PMI) pour commercialiser sa nouvelle cigarette « sans combustion ». Et celles-ci sont des plus illégales. En effet, alors que la loi française interdit de faire la publicité de ce type de produits, le géant du tabac contournerait cette interdiction en rémunérant les restaurateurs français afin que ces derniers démarchent de nouveaux clients à sa place. L’industriel organise également des soirées réservées aux adeptes de sa nouvelle cigarette « avec alcool offert », une pratique qui, elle aussi, est « totalement illégale », selon la Direction générale de la santé (DGS).

Le cigarettier va encore plus loin : toujours selon Le Parisien, afin de booster les ventes de sa cigarette électronique nouvelle génération, le fabricant n’hésite pas à affirmer qu’elle est « 95 % moins nocive qu’une cigarette classique, car le tabac ne brûle pas ». Ce que les experts contestent : « certes, le tabac brûle moins, mais contrairement à ce que dit Philip Morris, il dégage quand même de la fumée qui est toxique. Il ne s’agit pas de vapeur comme l’affirment les commerciaux », explique le tabacologue Bertrand Dautzenberg. Et d’ajouter : « les cigarettiers ont toujours voulu tromper les consommateurs pour les maintenir dans le tabac, un produit qui a une chance sur deux de les tuer ». En 2017, Philip Morris était même allé jusqu’à faire pression sur le Président de l’Université de Lausanne afin que cette dernière cesse de diffuser un article scientifique défavorable à sa cigarette électronique.

Par ailleurs, toujours dans le but de commercialiser sa « cigarette du futur », PMI n’a pas hésité à embaucher, via l’agence marketing CPM, de jeunes Parisiens afin que ces derniers — sans le savoir — fassent la promotion de son nouveau produit. Au départ, il n’était question que d’un « outil révolutionnaire », indiquent trois d’entre eux. Ce n’est qu’une fois leur contrat signé qu’ils découvrent la supercherie : leur travail consistera à faire la promotion du tabac dans la Ville Lumière. « Manipulés », « escroqués »… Les trois jeunes ont décidé de saisir les prud’hommes pour « contrat illicite » et de déposer plainte au pénal contre le cigarettier.

La mémoire courte de la Commission

C’est donc à ces industriels sans scrupules que la Commission européenne croit pouvoir faire confiance en leur permettant de participer activement à la lutte contre le commerce illicite de cigarettes. Et ce alors que le protocole de l’OMS pour éliminer le commerce illicite du tabac préconise la mise en place de systèmes de suivi et de traçabilité strictement indépendants des fabricants qui ne doivent y prendre part « que dans la mesure du strictement nécessaire ». Une position que la Commission a préféré ignorer : les actes d’exécution et délégués adoptés en début d’année « confient aux industriels du tabac le soin de contrôler l’apposition des codes d’identification ainsi que de sélectionner, de conclure les contrats et même de payer les sociétés “indépendantes” chargées de stocker les données ! », s’alarmait Daniel Vigneron, dans La Tribune, en février dernier.

Une réalité devant laquelle certains ont choisi de fermer les yeux : le 29 novembre 2017, deux députés européens, Françoise Grossetête et Gilles Pargneaux, responsables des sujets liés au tabac, respectivement pour le Groupe du Parti Populaire Européen (PPE) et pour le Groupe de l’Alliance Progressiste des Socialistes et Démocrates au sein de la Commission environnement et santé publique, ont, de manière inexplicable, publié différents communiqués de presse soutenant la décision de la Commission.

Le même jour, les associations anti-tabac Smoke Free Partnership et European Cancer Leagues, qui avaient pourtant dénoncé la version des textes d’exécution soumise à consultation de septembre 2017, retournaient elles aussi leur veste et affichaient un soutien sans faille à la Commission. La raison ? En échange de ce changement radical de position, la promesse d’importantes subventions pour l’année 2018 (respectivement 500 000 et 350 000 euros). Pendant ce temps, l’association European Network for Smoking and Tobacco Prevention (ENSP), qui n’a cessé de critiquer les textes de la Commission, a vu sa demande de subvention rejetée…

Certains y voient une opération de lobbying rondement menée. D’autant que l’eurodéputé Gilles Pargneaux est récemment intervenu à un colloque organisé par le Comité Economique et Social Européen et l’OLAF, et durant lequel il associait contrefaçon et contrebande. Une assimilation que fait régulièrement le lobby du tabac afin de dissimuler sa responsabilité dans l’organisation du commerce parallèle — l’écrasante majorité de ces produits provenant directement des usines des cigarettiers. Florence Berteletti, la directrice de l’ONG Smoke Free Partnership, si elle n’a pas repris les thèses douteuses de l’industrie du tabac, participait elle aussi à ce colloque, apportant ainsi la caution morale d’ONG de santé publique à l’événement.

Les cigarettiers ont ainsi fait plier — une fois de plus — la Commission européenne. Si la situation est mal engagée, tout n’est pas perdu : la ratification du protocole de l’OMS par 40 pays — on en compte 35 à ce jour — ferait entrer ce dernier en vigueur. Si le texte est déjà obligatoire en raison du droit international, son entrée en vigueur viderait de leur substance certains des arguments des cigarettiers... et obligerait la Commission à s’y conformer. La balle est désormais dans le camp des nombreux pays qui ont annoncé avoir engagé le processus de ratification.

 


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