Conditions des noirs : la France n’est pas les USA

par Laurent Herblay
samedi 6 juin 2020

La mort de George Floyd, assassiné par un policier sous la caméra d’un passant sans intervention de ses collègues, a provoqué une vague d’indignations aux États-Unis et dans le monde. En France, cela a suscité une manifestation illégale pour Adama Traoré mardi à Paris. Par-delà l’opportunisme d’un tel rassemblement, ici, comparaison n’est vraiment pas raison.

 

Inégalités, communautarisme et violences
 
Bien sûr, il peut y avoir des actes de racisme commis par des forces de l’ordre. Ils ne doivent pas être tolérés et être sanctionnés, s’ils le méritent, ce qui en général le cas en France. Pour de simples propos racistes, deux policiers avaient été suspendus en avril. S’il y a des dérapages en France, la situation dans notre pays n’a rien à voir avec celle des États-Unis. Même la comparaison entre George Floyd et Adama Traoré n’est probablement pas pertinente, le premier n’ayant absolument pas résisté aux forces de l’ordre. Outre-Atlantique, le meurtre semble tellement caractérisé que le policier a été inculpé pour homicide volontaire et ses trois collègues pour complicité. Les images du policier qui appuie son genou sur le cou de sa victime sont glaçantes de violence et d’inhumanité, alors même que sa victime lui dit qu’elle ne peut plus respirer. Comment ne pas comprendre l’émotion suscitée ?
 
Même s’il y a débat sur le cas d’Adama Traoré, des experts ont exonéré les forces de l’ordre de la responsabilité de sa mort, du fait de plusieurs maladies qu’il avait. Et même si la mort du jeune homme dans un commissariat est suspecte, faire un parallèle entre nos deux pays n’a aucun sens. La condition des noirs aux États-Unis, comme je le détaillais en 2017, est assez effrayante, derrière l’arbre Obama, qui cache une vraie ségrégation moderne. Déjà, chose trop peu connue et insuffisamment rappelée, alors que la ségrégation était encore légale aux États-Unis, le président du Sénat en France, Gaston Monnerville, était noir. Aux États-Unis, dans les grandes villes, le taux de mortalité par meutre est dix fois plus important pour les noirs que pour les non noirs, au point qu’ils représentent 50% des morts  ! 60% des noirs non diplômés passent par la prison une fois dans leur vie et plus globalement, les noirs représentent 30 à 40% des détenus, plus d’un adulte noir sur 50 étant en prison  !
 
Mais par-delà la violence physique, ce qui frappe aussi en se renseignant, c’est la violence sociale du pays à l’égard de toute la communauté noire. Le taux de mortalité infantile des noirs est plus de deux fois supérieur à celui des blancs, et progresse ! The Economist décrit un système éducatif où les races sont « séparées et inégales  », à peine 20% des enfants noirs étant dans une école où ils ne sont pas majoritaires, contre 40% dans les années 80. L’hebdomadaire pointait que les noirs étaient aussi les perdants de la reprise du marché immobilier, la valeur de leur maison continuant à baisser depuis dix ans, tant les quartiers où ils habitent sont peu attractifs. Ce qui avait été frappant pour moi en 2017, c’était à quel point la ségrégation semble toujours forte aux Etats-Unis, même si elle n’est plus légale, et le plus effarant était le fait qu’elle parvienne encore à se renforcer, après l’élection d’Obama ! Et malheureusement, la crise actuelle le confirme puisque les noirs en souffrent plus que la moyenne.
 
En somme, à quelques exceptions près, les noirs sont redevenus les intouchables des États-Unis. Et, même si tout n’est pas parfait chez nous, les comparaisons faites sont totalement ridicules et inappropriées, tant l’écart est grand entre nos deux pays. En outre, il faut rappeler qu’une partie de ceux qui font ces comparaisons sont les premiers à réclamer une évolution communautariste sur le modèle étasunien, alors même que ce modèle a produit une ségrégation pas forcément moins violente que celle d’il y a 60 ans. Et l’idée d’un « privilège blanc » est bien délétère, comme le note Eugénie Bastié. Ce communautarisme freine l’intégration des noirs au lieu de les aider, à rebours de notre modèle républicain, qui tient, même s’il est attaqué et affaibli, comme le soutient Barbara Lefebvre. Et le communautarisme est aussi le meilleur allié des inégalités, en freinant le débat sur la question sociale.
 
La situation de la France est très largement différente de celle des Etats-Unis. D’ailleurs, si les violences policières sont trop souvent raciales outre-Atlantique, les Gilets Jaunes nous rappellent qu’en France, ces violences sont d’abord sociales et politiques, avec le bilan révoltant des manifestations, à rebours de 1968 et 2005, que la difficile condition policière ne peut pas justifier.

Lire l'article complet, et les commentaires