Coût de l’immigration : un fantasme qui a la vie dure

par Prospero
vendredi 25 septembre 2009

Pour certains, l’immigration représente une charge financière pour la France. Les voici qui depuis un an donnent à nouveau de la voix.

Depuis le milieu des années quatre-vingts, plusieurs travaux ont été menés afin d’évaluer l’impact financier de la présence d’une population immigrée sur notre sol. Nous pensions, le recul électoral du Front national aidant, que ce genre d’entreprise passerait de mode. Il n’en n’est rien. La tonitruante Association des Contribuables Associés a publié un opuscule intitulé “Le coût réel de l’immigration en France” rédigé par Jean Paul Gourevitch. Sa conclusion a la finesse des données comptables : “Le déficit (financier) du à la population immigrée est équivalent à 1,4% du PIB (27 milliards d’euros). La croissance économique étant au moment de l’étude d’environ 2,1 % par an, l’immigration la réduit des deux tiers” (Bruno Odier Cenat de l’Herm)

Ce genre d’étude provoque instinctivement un malaise. S’agit-il d’un rideau de fumée sensé faire oublier les 30 milliards d’euros de réductions fiscales qui ont été accordés par l’Etat aux contribuables depuis 2000 ? Le postulat selon lequel l’immigration représente forcément un coût est arbitraire et entretient le soupçon quant à la légitimité de la présence d’immigrés sur notre sol alors que ceux-ci y vieillissent et élèvent leurs enfants. 

 Pour autant, il ne nous semble pas judicieux d’écarter par principe ce genre de réflexion puisque, d’une part, elle donne de la substance à la politique migratoire de l’actuel Gouvernement et, d’autre part, l’utilisation impressionniste de statistiques officielles a des effets préoccupants dans les secteurs mal informés de l’opinion publique. Enfin, calculer l’impact des flux migratoires est un questionnement qui se justifie en science économique.

Mr Gourevitch affiche son souci de ne pas stigmatiser les immigrés et d’éclairer le débat à l’aide d’arguments objectifs. Il n’est pas du tout certain que cet objectif soit atteint. Reprenons scrupuleusement les chiffres fournis par Monsieur Gourevitch, appliquons leur un traitement plus raisonné, et brossons un tableau plus correct de la situation des immigrés en France.

Mr Gourevitch commence par chiffrer sa “cible”. En incluant les descendants de parents immigrés, il estime que les immigrés représentent 10% de la population résidente en France. 
 
La même logique globalisante le conduit à amalgamer tous les flux financiers qui résultent de l’interaction entre les immigrés et les administrations publiques pour parvenir à un chiffre synthétique. Or il omet que notre système socio-fiscal repose sur deux piliers : la fiscalité d’un côté et les assurances sociales d’un autre. Commencons par le premier volet qui intéresse directement le contribuables auxquels il semble s’adresser.


Les immigrés font d’excellents contribuables

La présence des immigrés implique en effet des dépenses spécifiques de l’Etat et des collectivités locales dont Mr Gourevitch fait un inventaire méticuleux (coûts éducatifs, dépenses du ministrère de l’identité nationale, sécurité…) . Elles s’élèvent, selon lui, à 21,3 milliards d’euros. Avant de noyer ces dépenses dans un ensemble plus vaste il conviendrait de les rapporter aux recettes fiscales (TVA, impôts sur les sociétés, sur le revenu…) que versent ces mêmes immigrés, afin de parvenir à un premier bilan pertinent. Comme ces recettes s’élèvent à 33,2 milliards d’euros, nous constatons deux choses : 

- Les immigrés apportent au budget national une contribution nette positive de 11,9 milliards d’euros.

-  Ils payent taxes et autres impôts à hauteur de leur poids dans la population totale (ces recettes fiscales représentent 10% des recettes fiscales totales prélevées en France, comme le dit lui même Mr Gourevitch sans en retirer aucun enseignement) On remarquera qu’en raison de la faiblesse relative de leurs revenus, la fiscalité indirecte (TVA) est de très loin le premier impôt payé par les immigrés. Ceci aurait pu donner lieu à une réflexion sur la régréssivité d’un tel prélèvement (la TVA frappe proportionnellement plus les ménages modestes qui consacrent une plus grande part de leur budget à la consommation)

Par un souci extrême d’exhaustivité, Mr Gourevitch ajoute les 4,2 milliards d’euros que la France verse au titre de l’aide publique au développement, arguant du fait que cette aide vise surtout à freiner l’immigration. Quel beau raisonnement ! A-t-il estimé le nombre de personnes qui sont retenues de partir en raison de cette aide ? en a-t-il déduit les sommes que cette non immigration économiserait (dans sa logique) à la France ? Non point.

Les comptes de la protection sociale au risque de l’immigration ?

Ici nous sommes, que l’on nous pardonne l’expression, sur l’os de la psychose.

Les chiffres (que Mr Gourevitvh a puisés aux sources officielles) sont les suivants :

- Dépenses sociales en faveur des immigrés (prestations vieillesse, santé, logement, famille…)=-51,9 milliards d’euros

- Recettes en termes de cotisations sociales = +12,4 milliards d’euros. Ceci se traduit par déficit annuel important qui s’élève à 39,5 milliards d’euros.

Un tel chiffre a de quoi faire frémir mais avant de le commenter précisons que le contribuable n’est pas concerné par la protection sociale qui relève de la solidarité entre actifs et inactifs.

Contrairement à l’opinion courante on ne peut pas dire que les immigrés ont globalement plus de chance de bénéficier des prestations sociales puisqu’ils reçoivent un dixième des 500 milliards attribués chaque années en France, ce qui correspond très exactement à leur poids démographique. C’est plutôt la modicité des flux de cotisations qu’ils versent aux assurances sociales qui explique le déficit mentionné plus haut . En effet, elles représentent à peine 25% des prestations qui leurs sont délivrées, contre 95% en moyenne nationale.

L’explication de ce phénomène réside dans la situation particulière des immigrés sur le marché du travail. Quatre éléments nous semblent contribuer à tarir le flux de cotisations sociales :

- Le travail clandestin (3,34 milliards de cotisations sociales en moins-chiffre Gourevitch) )

- Le surchômage des immigrés par rapport au reste de la population (8 milliards de cotisations sociales perdues, d’après les Comptes de la Sécurité Sociale 2004)

- La position subalterne des immigrés dans la hiérarchie salariale qui s’explique par la moindre dotation en qualification et le traitement discriminatoire dont ils sont encore victimes sur le marché du travail, y compris dans la fonction publique.

- Les exonérations de charges sur les bas salaires qui ont été consenties par les pouvoirs publics. Aujourd’hui, à force d’allègement, la part patronale des cotisations versées par les entreprises qui emploient des immigrés ne représentent plus que le tiers de la moyenne nationale (11% de l’ensemble des cotisations sociales contre 36%) L’association des contribuables associés, dont nous devinons les options libérales, voudrait elle réserver ces baisses de charges aux non immigrés ?


Un poids pour la croissance française ?

Le total des recettes socio-fiscales diminué des dépenses publiques et prestations sociales nous donne donc un solde négatif de 27 milliards d’euros. Ceci équivaut à 1,4 % du PIB (Produit intérieur brut=richesse produite sur l’année). Est-ce pour autant une charge pour la France ? Un lycéen en économie sait bien qu’un déficit budgétaire correspond à un supplément de ressource pour l’économie prise dans sa globalité et doit être porté à l’actif du PIB. L’argument se retourne aisément : si les immigrés reversaient exactement aux administrations publiques les sommes qu’ils en reçoivent, cela équivaudrait à une perte de croissance de 1,4% …soit un choc d’une ampleur proche de la crise des subprimes.

Ces 27 milliards permettent des achats, des investissements, des créations d’emplois etc…

D’autre part, on ne peut se contenter d’estimer les dépenses éducatives destinées à ces jeunes sans en étudier le rendement. Il apparaît que la proportion des jeunes d’origine immigrée titulaire d’un diplôme du supérieur a doublé en 10 ans (INSEE 2007) . Ceci souligne le gaspillage que constitue l’effarante discrimination dont ils sont victimes sur le marché du travail (à diplôme supérieur égal, un immigré a trois fois plus de chance de se retrouver au chômage qu’un non immigré (J. L Richard, Partir ou rester, Destinées des jeunes issus de l’immigration, PUF)

Enfin, on ne voit pas pourquoi la production totale effectuée par le travail immigré, qui entre en positif dans le PIB, n’a pas été évaluée. Or ceci est indispensable pour prétendre mesurer l’impact global de l’immigration.

Estimer les flux économiques occasionnés par telle ou telle population n’est pas aberrant en soi. Ce qui l’est c’est d’utiliser ces chiffres pour suggérer que ces personnes sont surnuméraires alors que les données récoltées sont le reflet de leur position dans la hiérarchie socio-économique. Or l’étude de Mr Gourevitch, même si elle apporte certaines précisions, reste trop partielle et ne devrait guère contribuer à apaiser les tensions qui persistent dans notre société.
 

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