CoVid - 19 – 11 : vaccination, vous avez dit vaccination

par LATOUILLE
samedi 2 janvier 2021

 

Comment expliquer l’augmentation du taux de réticence à la vaccination, plus exactement comment expliquer l’inversion des taux entre le printemps 2020 et décembre 2020  ?

 La revue de l’INSERM, en juillet 2020, indiquait qu’une enquête portant sur 1012 adultes mettait en évidence que seulement 27 % des personnes interrogées refuseraient de se faire vacciner contre le SARS-CoV-2 (dénommé populairement CoViD), donc environ 70 % seraient favorables à la vaccination. On retrouve un chiffre voisin en septembre 2020 dans une étude internationale pour le World Economic Forum portant sur 27 pays à laquelle a participé l’Institut Pasteur qui indiquait que 59 % des Français étaient prêts à recourir à un vaccin. En décembre, alors que deux vaccins sont opérationnels, ce seraient un peu plus de 60 % de la population qui refuseraient d’être vaccinés. Comment expliquer ce revirement massif ?

 Comprendre ce phénomène requiert de s’appesantir en tout premier lieu sur les détails des études qui montrent des nuances. L’étude de l’institut BVA du 23 novembre 2020 qui indiquait que « 60 % des Français déclarent vouloir se faire vacciner contre la Covid-19 lorsqu’un vaccin sera disponible », mais précisait l’étude « seulement 20 % (des 60%) envisage de le faire dès que possible, tandis que 40 % préfèrent attendre et ne pas le faire “tout de suite” », donc le chiffre de 60 % de gens favorables est ici à prendre avec beaucoup de précaution et sans doute faut-il défalquer ceux qui préfèrent attendre. Ainsi, avec les 40 % qui déclarent ne pas avoir l’intention de se faire vacciner du tout, on arrive à un taux voisin de 60 % de refus, ce qui est identique à l’étude réalisée par l’IFOP le 30 novembre où seulement 41 % des personnes interrogées déclarent vouloir se faire vacciner.

 Les nuances les plus importantes, présentes dans les études, mais que les médias ne transmettent pas, et essentielles pour faire une analyse correcte portent essentiellement sur les catégories d’âges, l’appartenance professionnelle, le niveau de diplôme et, nous l’avons vu, sur la proximité avec un part politique, chaque catégorie étant « chiffrée » individuellement. L’étude de BVA montre que parmi ceux qui refusent la vaccination se trouvent les jeunes de moins de 35 ans (56 %), les employés et ouvriers (55 %). L’étude de l’INSERM montrait déjà que parmi ceux qui refusaient la vaccination 37 % appartenaient aux classes populaires bien qu’elles soient plus exposées au risque que le reste de la population, et, plus curieux, que 36 % des femmes de moins de 35 ans refusaient de se faire vacciner alors qu’elles jouent un rôle fondamental et actif dans la vaccination des enfants. Le niveau de diplôme joue également un rôle dans le choix des personnes, plus il est élevé plus la volonté de se faire vacciner est forte : 66 % de titulaires d’un Bac + 2 ou plus sont favorables à la vaccination. Ce point peut sans doute être corrélé avec la catégorisation professionnelle ainsi qu’à la zone de résidence qui elle aussi a montré des différences d’adhésion à la vaccination ; par exemple dans l’agglomération parisienne 69 % sont favorables à la vaccination. Les études mettent aussi en évidence une forte corrélation entre la position vis-à-vis de la vaccination et l’appartenance politique où les plus éloignés des positions du gouvernement Macron sont aussi les plus réticents à se faire vacciner.

 L’ensemble de ces données révèlent essentiellement un manque de confiance dans la vaccination soit qu’on pense que le vaccin ne serait pas de bonne qualité : 70 % des personnes sont inquiètes face à la rapidité de conception du vaccin, soit qu’on a peur des effets secondaires, soit qu’on considère que le gouvernement n’est pas à la hauteur. L’enquête IFOP de novembre 2020 montrait la position des personnes hostiles à la vaccination par rapport à leur appartenance politique ou leur proximité avec les idées des partis : 74% de celles qui se disaient proches de La France Insoumise s’opposaient à la vaccination, 47% pour le parti Socialiste, 25% pour La République en Marche, 5% pour Les Républicains et 73% pour le Rassemblement National. Enfin parmi ceux qui rejettent la vaccination il faut souligner les 18 % qui pensent que le vaccin est inefficace, les 15 % qui pensent ne pas être à risque et les 14 % hostiles de façon générale aux vaccins. Comment dans ce paysage de postures d’opposition au vaccin établir de la confiance ?

 Tout repose sur la qualité de la communication : que dit‑on aux gens, comment le dit‑on, qui le dit, et surtout quel statut donne‑t‑on aux gens.

 Commençons par le dernier point, sans doute le plus sensible car suivant la posture qu’adopte l’émetteur du message son interlocuteur se sentira ou pas pris en compte comme sujet d’un échange. Si je ne suis pas sujet dans l’échange je ne peux pas accéder à la confiance. Faire une bonne communication consiste en tout premier lieu à considérer son interlocuteur à l’égal de soi‑même. Or que constatons‑nous sinon l’affichage d’un profond mépris vis-à-vis des gens. C’est le ton condescendant du président de la République qui tel un acteur de peu de qualité donne toujours l’impression de mal jouer une pièce écrite à « l’extérieur de lui », il n’en ressort jamais (sauf pour les proches de LREM et les éditorialistes du microcosme) ni conviction ni sincérité profondément intime de ses discours. Ce sont aussi les discours d’effroi comme ceux récemment d’Axel Kahn, éminent généticien, ou de journalistes comme Jean-Michel Aphatie (sur LCI dimanche 27/12) qui s’offusquent que certains peuvent être réticents à la vaccination ; ces discours qui refusent à chacun d’avoir une opinion personnelle dont on peut, bien sûr, discuter de la qualité des arguments, mettent les gens plus bas que terre en les réduisant à un état de benêt. Puis ce sont les discours des médecins qui expliquent assez peu et souvent très mal les choses ; il ne suffit pas de savoir les choses pour les expliquer bien, chacun se souvient de ces mauvais professeurs pourtant éminents savants qui nous ennuyaient lorsque nous étions étudiants. Certains médecins, comme celui du CHU de Grenoble sur France Info ce 30 décembre qui s’offusquait de l’attitude irrationnelle de ceux qui refusent la vaccination ; ce discours rejette en bloc tout ce que les gens peuvent penser et surtout ce qu’ils peuvent ressentir : est-ce qu’on attend d’eux qu’ils obéissent sans penser ? Enfin il y a les journalistes, plus particulièrement les médias d’information en continu, qui cherchant le sensationnel ont souvent mis en évidence (parfois involontairement ou par négligence) les désaccords scientifiques et réduisant les temps de parole à quelques minutes ont produit un discours peu en mesure de donner à l’auditeur un statut de personne capable de comprendre les choses. Dès lors les médias concourent à « infantiliser » les gens, et croyant faire savant les journalistes nous abreuvent de comparaisons et de statiques sans importance au regard de l’action à avoir pour enrayer cette crise. Qu’apporte aux gens des titres comme celui du JDD du 26 décembre : « La France est l’un des pays les plus méfiants envers le vaccin » ? Ne s’agit-il pas de stigmatiser les gens et, pour prendre une expression enfantine, de leur faire honte ? Surtout tous ces discours en critiquant l’irrationnalité des positions d’opposition à la vaccination nient deux éléments essentiels : l’opposition au gouvernement d’Emmanuel Macron sur laquelle je ne m’appesantirai pas, et la peur de certains par rapport au vaccin. Certes on peut dire que la peur a le plus souvent un caractère irrationnel mais elle n’est jamais sans fondement, sans doute serait-il plus exact de dire que c’est l’expression de la peur qui est irrationnelle. Le philosophe Emmanuel Lévinas parlait de la peur comme « sentiment par excellence » dès lors ne peut‑on pas parler de « positivité de la peur » et ne pas la considérer comme un élément négatif mais au contraire comme un levier dans le colloque singulier qu’on a avec l’Autre ?

 Deuxièmement, que dit-on ? Beaucoup de choses, beaucoup trop de choses ont été dites à propos des vaccins contre la CoViD. Pour qu’un message soit compréhensible son contenu doit être limité à l’essentiel, à ce qui est utile pour que celui qui le reçoit « devienne capable » d’aller vers l’objectif assigné par l’émetteur. Ici, l’objectif n’est pas de transformer tous les gens en experts de la biologie ou de la médecine vaccinale, l’objectif est simplement d’obtenir qu’un maximum de personnes accepte de se faire vacciner dans l’espoir que cela fera diminuer le risque épidémique. Dès lors il n’est pas utile d’épiloguer sur l’intérêt de la vaccination, le problème n’est pas là. On ne convainc pas, parmi ceux qui sont hostiles à la vaccination, les 15 % qui pensent ne pas être à risque et les 14 % hostiles de façon générale aux vaccins. La cible est constituée par ceux qui sont indécis parce qu’ils sont inquiets de la rapidité avec laquelle ces vaccins sont arrivés et sont mis sur le marché (en juillet 2020 la revue de l’INSERM parlait de « l’horizon encore lointain de la vaccination »), par ceux qui craignent les effets secondaires, et enfin par ceux apeurés par « la dimension génétique » des vaccins proposés. Parfois, voire souvent, ces trois inquiétudes se mêlent dans une vaste inquiétude. Il faut donc rassurer pour permettre aux gens d’être en confiance.

 Alors, par rapport à la première inquiétude il faut être en mesure d’expliquer que les vaccins à ARN Messager font l’objet de recherches depuis déjà de nombreuses années en médecine vétérinaire et que de tels vaccins ont été utilisés avec succès chez le porc. Le pas vers l’homme n’avait pas encore été franchi, la recherche n’en était qu’à des balbutiements. Est-il difficile, sans faire un cours de génétique, de dire que déjà en 1969 Robert Lévine, dans son livre « Génétique », indiquait qu’on connaissait le lien entre l’ARN et les virus lorsqu’il évoque le virus de la mosaïque du tabac dont on savait depuis plusieurs années que c’est cet ARN qui « est nécessaire à la reproduction de nouvelles particules de virus ». Donc, chacun est alors en mesure de comprendre d’une part que l’ARN ainsi que ses rôles, fonctions et fonctionnement en rapport avec les virus sont connus depuis plus de 50 ans, que la technique d’usage de l’ARN pour des vaccinations était au point depuis plusieurs années, qu’il ne restait qu’à l’appliquer à l’homme.

 Mais il faut alors lever la troisième inquiétude, celle liée à « la dimension génétique » du vaccin. Qu’est-ce que c’est que ce morceau de matériel génétique qu’on veut m’inoculer ? Quel est le degré de génotoxicité ? Il faut donc expliquer que cet ARN Messager qui va entrer dans la cellule pour stimuler la fabrication de protéines n’a aucun contact ni interaction avec le matériel génétique contenu dans le noyau de la cellule. Peut-être peut‑on ajouter qu’aucun accident a été enregistré lors de l’utilisation chez les animaux, notamment les porcs dont on connaît la proximité physiologique avec l’être humain. Est-il besoin d’en dire plus, de faire un cours de génétique et de cytologie ?

 Enfin il faut lever la deuxième inquiétude. Pour cela il ne suffit pas de dire que les effets secondaires ne sont pas pires ni plus nombreux que pour d’autres vaccinations : la grippe par exemple. Dire aussi que comme pour tout médicament le zéro effet secondaire n’existe pas et que la validation d’un médicament ou d’un vaccin se fait sur la base de l’équation bénéfice/risque. Mais vous trouverez toujours quelqu’un qui a rencontré celui qui a connu la personne qui est morte des suites d’une vaccination auquel il faut opposer l’équation bénéfice/risque : une personne morte/combien de sauvées. Il faut dire les choses clairement, voire détailler les effets secondaires et leur incidence, ainsi il faut dire que les agences de santé et de sécurité sanitaire ont déconseillé la vaccination pour les personnes gravement allergiques en raison d’une équation bénéfice/risque défavorable où le risque et supérieur au bénéfice attendu. En ce sens le message du site de Santé Publique France n’est pas assez explicite et laisse subsister des doutes : « Les effets signalés les plus fréquents étaient essentiellement des douleurs transitoires, faibles ou modérées au point d’infection, la fatigue et les maux de tête. Des effets graves ont été observés très rarement et à la même fréquence dans les 2 groupes (vaccin et placébo). » Comment peut réagir une personne « ordinaire » à la lecture de cette phrase ; « Des effets graves ont été observés très rarement et à la même fréquence dans les 2 groupes (vaccin et placébo). » ?

 Il reste un dernier point qui ne relève pas du domaine de l’inquiétude, mais qui tout en manifestant un manque de confiance envers les autorités en charge de lutter contre l’épidémie peut être le signe d’une franche opposition politique, irrationnelle en ce qui concerne la lutte contre l’épidémie. Il s’agit là de ceux qui considèrent que le gouvernement n’est pas à la hauteur de la situation, ainsi l’étude montrait que parmi les adhérents et les proches de la France Insoumise 74% refusent la vaccination, 73% pour le Rassemblement National. Au-delà de ce que nous pouvons relever d’irrationnalité dans ce comportement il faut bien prendre en compte de ce qu’il témoigne, loin des notions de confiance et de défiance, d’une hostilité à l’égard du gouvernement en place. Comme pour les « hostiles » sans lien avec une position politique, ce serait perdre du temps que de chercher à les convaincre, ce serait inefficace sauf si on se place dans une action politique au sens que Paul Ricoeur donnait à la politique : « activité gravitant autour du pouvoir, de sa conquête et de son exercice  ». Il est à craindre que certains discours, longs, alambiqués, ampoulés ne se soient inscrits dans une démarche où la politique l’emportait sur le politique que Paul Ricoeur définissait comme « structure de l’action en commun ». Pour autant le gouvernement doit s’interroger sur la qualité de sa stratégie de communication qui n’arrive pas, face à une épidémie, à amener les personnes à passer outre leur ancrage politique.

 Du choix d’une posture de gouvernance et d’une stratégie de communication qui relèvent de la politique ou du politique découle le troisièmement critère de qualité de la communication : comment dit‑on les choses ? Comme une antienne, politiciens et journalistes ne cessent de nous rebattre les oreilles avec la pédagogie, il faut de la pédagogie. Relevons que le terme est particulièrement inapproprié car la pédagogie c’est la science de l’éducation des enfants et qu’elle ne s’adresse pas à des adultes. Peut-être ici pourrait-on utiliser le terme d’andragogie qui est la conception de matériel et de méthodes pour aider les adultes à apprendre. Mais, sommes‑nous dans un dispositif et dans un processus d’apprentissage ? Nous n’ouvrirons pas de débat sur ces distinctions, toutefois nous relèverons que la priorité est de donner aux gens des informations suffisamment claires pour qu’ils puissent faire un choix : se faire vacciner ou refuser la vaccination. Donc, les éléments que nous évoquions plus haut doivent être énoncés de façon simple, dans un enchaînement logique qui reprend une à une et par ordre d’importance d’expression statistiquement repérée les inquiétudes des et les questions des gens à l’égard du vaccin. Il faut éviter les discours ampoulés où tout se mêle à tout comme « il faut protéger les personnes âgées », « l’action de chacun doit protéger tout le monde ». Une étude comparative, retransmise par l’Institut Montaigne, a analysé les stratégies de communication de 9 pays démocratiques. Elle confirme les différences de communication liées aux différences culturelles, mais elle montre que les États qui ont été les plus efficaces lors de la première vague « avaient suivi les mêmes principes de base pour une communication efficace, et les appliquaient rapidement. Nous savons que la rapidité est essentielle pour prévenir les cas et les décès à grande échelle. » La rapidité a donc valeur de critère de qualité primordial pour une communication efficace ; l’étude montre aussi l’importance du choix des mots utilisés qui doivent permettre d’éviter les emphases et les métaphores dénuées de sens réel comme les métaphores guerrières : « Nous avons constaté que les métaphores militaires étaient moins efficaces que les métaphores démocratiques, plus fédératrices. La Nouvelle-Zélande s’est décrite comme étant une "équipe de cinq millions". » À cette occasion on pourrait s’interroger sur la valeur comparée des mots « équipe » et « nation », lequel fait le plus sens chez nos concitoyens à l’heure actuelle. Dans cette stratégie de communication les mots doivent aussi être porteurs d’émotion et aller au‑delà des faits ; les études psychosociologiques ont montré que si les Italiens, réputés indisciplinés, avaient assez bien toléré le confinement c’est parce qu’ils avaient été remarquablement impressionnés par les convois de camions militaires transportant les cercueils de centaines de personnes mortes du CoViD.

 Enfin, qui doit parler, dire les choses et s’entretenir dans un colloque singulier avec les citoyens ? Il aurait fallu, mais il est déjà trop tard, éviter les cacophonies jusque-là en vigueur pour parler de l’épidémie. Trop de gens, d’ailleurs souvent peu informés, sont venus parler du vaccin et de la vaccination. Il y a eu les cohortes de médecins, les mêmes qui avaient égaré le public à propos de l’épidémie depuis le mois de mars 2020, qui sont venus déverser leurs approches différentes des choses suivant leur degré d’information et suivant leur appartenance à telle ou telle chapelle scientifique. Comme depuis le début, le chaos est total ; leur discours a beaucoup perdu en crédibilité et continue de le faire d’autant qu’ils sont si peu « pédagogues ». Il ne suffit pas de savoir pour être « pédagogue » et pour enseigner, il faut prendre de la distance avec son propre savoir et mettre en forme son discours pour le rendre assimilable par celui qui ne sait pas. On pourrait espérer que la parole des membres du gouvernement serait mieux reçue, elle ne l’est pas parce qu’ils sont peu crédibles. Si les médecins ont menti le plus souvent par ignorance et forfanterie, il semble que les politiciens ont menti par calcul politique et pour masquer les insuffisances d’anticipation. D’autre part on ne sait pas qui est porteur de la parole d’État : le président de la République qui vient de temps en temps faire un show télévisé où il renvoie le discours sur les actions à son Premier ministre, le Premier ministre qui est celui dont chacun reconnaît que chargé de mettre en œuvre le déconfinement il a échoué sa mission, les ministres qui parlent « individuellement » sans beaucoup de cohérence avec le discours du Premier ministre ou qui viennent caracoler les uns à la suite des autres lors des conférences de presse du Premier ministre. Mardi 29, au JT de 20h de France2 le ministre de la santé est venu expliquer que la situation épidémique ne s’améliore pas mais que la France est en meilleure posture que ses voisins ((il oublie à dessein de dire que d’autres pays sont « mieux que la France »), que le gouvernement ne veut pas ou du moins ne voudrait pas de confinement mais qu’il faut sans doute étendre la durée du couvre‑feu dans certains départements, qu’il ne peut pas se prononcer sur le maintien ou pas des mesures après le 7 janvier, etc ; les auditeurs retiendront de ce discours que le gouvernement est indécis, qu’il ne veut fâcher personnes surtout pas les commerçants et les entreprises, que le gouvernement consulte et réfléchit mais qu’il ne décide pas et qu’il laisse les gens dans l’incertitude. Comment avoir confiance dans une telle incertitudes qui s’ajoute à tellement d’autres sujets d’inquiétude : la peur de la maladie, du chômage, la baisse des revenus... Dès lors on comprendra que ce ne sont pas les médecins trop pris dans leur savoir, dans leur chapelle scientifique et éloigné des gens notamment des plus humbles ni les gouvernants plus pris dans la politique que dans le politique qui peuvent porter un discours de nature à donner confiance aux gens. Pour améliorer la stratégie de communication il faut quelqu’un de neutre comme l’indique l’étude citée plus haut : « Troisièmement, faire appel à la société civile. Trop d’États ont uniquement fait appel aux responsables de la santé publique et aux politiciens pour transmettre leurs messages. Nous avons vu que des pays comme le Sénégal ont plutôt fait appel à des leaders clés de la société civile pour encourager le respect des règles. » Nous ne manquons pas en France de personnes capables de s’exprimer en public qui pourraient porter un discours préparé par des spécialistes de la communication avec l’aide technique des scientifiques. On pourrait espérer que les journalistes puissent avoir cette mission mais il y a longtemps qu’ils sont plus intéressés par ce qui est sensationnel, émotionnel que par la vulgarisation scientifique et la « pédagogie ». Il existe aussi en France de très nombreuses personnes formées à l’éducation à la santé qui sont capables de faire un tel travail d’information à l’intention du public.

 Ne lisons pas là que le gouvernement devrait se retirer du champ de la communication sur la stratégie de lutte contre l’épidémie. Il y a sa place, mais en limitant le nombre d’intervenants et le nombre d’interventions, en ayant des interventions brèves pour dire en dix minutes les mesures prises et les raisons pour lesquelles elles ont été prises, dans un discours sans ambages, sans effets de manches moralisateurs. Cela suffirait vraisemblablement à établir de la confiance en montrant de la cohérence et de la rationalité ; ce faisant le gouvernement montrerait qu’il « gère » en faisant du politique c’est à dire en structurant l’action en commun, passant (au moins provisoirement) au‑delà de la politique. Cette position vaut aussi pour les autres partis politiques, les parlementaires ainsi que pour les élus locaux et les médias (peut-être aussi certains intellectuels) ; une crise ne se gère pas dans l’idéologie mais dans l’analyse scientifique des faits et la construction d’une action commune ; on se rappellera la position irrationnelle et dénuée de tout fondement scientifique de certains élus à propos de l’intérêt du traitement par l’hydroxychloroquine ou de la défense des cafés‑bas‑restaurants, l’intervention larmoyante d’un metteur en scène de théâtre, JT de France 2 mardi 30 décemmbre, venant expliquer qu’on ne s’infecte pas dans un théâtre parce que les gens de la culture n’ont pas vocation à rendre les spectateurs malades, il a juste oublié que de très nombreuses études dans de très nombreux pays ont toutes montré que les lieux clos, même avec le port du masque, sont de véritables bouillons de culture, en outre rien ne garantit que tous les spectateurs gardent bien leur masque, et les yeux sont une des voies d’entrée du virus surtout en cas de larmoiement : alors quand on sait qu’on peut pleurer de rire, faut-il aller au théâtre pour mourir de rire ?

 J’emprunte la conclusion à Heidi Tworek qui détaille l’étude citée plus haut dans une interview qu’elle a donnée à l’Institut Montaigne : « Alors qu’une deuxième vague submerge une grande partie de l’Europe, il serait utile d’envisager une remise à niveau, en revenant à l’essentiel que nous décrivons dans notre rapport et dans les réponses à ces questions. Il ne sera pas facile de rétablir la confiance, mais en attendant des traitements plus efficaces ou un vaccin, la communication est l’une des rares INP (intervention non pharmaceutique) qu’il nous reste. »

 


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