CoVID – 19 – liberté, doxa et connerie

par LATOUILLE
dimanche 22 novembre 2020

 

 Voilà neuf mois que dure la pandémie de la CoViD-19, neuf longs mois pendant lesquels nous avons été submergés par des monceaux d’informations de toutes natures : scientifiques, médicales, politiques… et par les prises de position des uns et des autres, « sachants » ou ignorants, chacun ayant un pré carré à défendre, ce qui ne surprend pas dans une société où chacun se centre sur dans des systèmes identitaires. Dès lors nous observons les restaurateurs, les commerçants, les artistes qui viennent expliquer que les mesures prises par le gouvernement sont insensées. Cette doxa largement relayée par les médias télévisuels animés par des journalistes et des animateurs peu cultivés et avides de sensationnalisme, contribue à désorienter le public et à accroître l’effet anxiogène du manque de rigueur quand ce n’est l’incohérence de la communication gouvernementale ; comme si la pandémie en elle‑même n’était pas suffisamment anxiogène.

 

 Dans ce marécage d’informations certains artistes dont on peut comprendre et partager la douleur provoquée par l’impossibilité d’être en spectacle, sont venus nous expliquer que les restrictions (confinement, masque, distance physique) étaient déraisonnables voire néfastes à notre santé mentale. Il y en eut un qui alla jusqu’à écrire « Bon, allez, soyons francs : Arrêtez tout. TOUT. Les masques. Les confinements. Excepté face à vos parents très fragiles (quand ils le souhaitent, ce qui n’était pas le cas de mon père, meurtri mort d’être privé de notre amour) », […] « Vivez à fond, tombez malades, allez aux restaurants, engueulez les flicaillons, contredisez vos patrons et les lâches directives gouvernementales », affirmant qu’il faut désormais « vivre quitte à mourir.  » Quelques jours plus tard il revenait sur ses propos : « Je comprends la polémique. C’est un texte excessif, je l’ai écrit dans la colère. C’est un texte qui est un peu irresponsable, mais ça pose la question de la responsabilité d’un artiste. Est-ce qu’un artiste a vocation de tenir des propos responsables ? Je ne crois pas. » Si les artistes n’ont pas vocation à être responsables alors qu’ils sont « des modèles », peut-on leur conférer la qualité de citoyens ? Comment peut-on espérer que les citoyens « ordinaires » soient responsables alors que certains se déclarent exemptés de l’être au nom de leur profession ? Dans la situation que vit le monde depuis le début de cette année 2020 chacun a le devoir d’être responsable, ce qui n’est ni facile ni reposant au regard des contraintes auxquelles chacun est soumis. La réaction de cet artiste n’est que la triste image d’une société où l’individualisme égoïste l’emporte sur le bien commun. Si on peut comprendre que la colère puisse tenir chacun à distance l’exercice de la responsabilité, comment accepter que la colère soit le motif du déraillement d’un intellectuel, mais un artiste est-il un intellectuel ?

 

 Pour sûr les commerçants ne sont pas des « intellectuels », ni philosophes ni sociologues, leur quotidien gestionnaire les envahit. Pour autant peut‑on envisager qu’une gestion soit de qualité si elle ne repose pas sur une réflexion profonde qui met en relation les différents éléments du système de commercialisation ? Le président d’une association de commerçants d’une métropole exposait sur France Info son courroux contre les mesures de restriction décidées par le gouvernement indiquant, dans un poujadisme exacerbé, combien cela est la faute de l’administration à qui il reprochait de n’être qu’un lieu de consanguinité malaxée au sein, entre autres, de l’ENA. Son crédo, reprenant celui de plusieurs présidents de la République, voudrait qu’on aille chercher les dirigeants de l’administration ailleurs comme si dans les écoles de commerce et les écoles d’ingénieurs ce phénomène de consanguinité n’existait pas : il serait bon que ce commerçant s’instruise du concept de réseau et de ce que produisent les lieux de formation, notamment les grandes écoles, en matière de création de réseaux. Puis il déversait sa bile contre la grande distribution, la même rancœur depuis les années 1960 que le petit commerce n’arrive pas à juguler faute de pouvoir réfléchir à de nouvelles modalités d’organisation et de fonctionnement. Comme l’a dit le sociologue Jean Viard, sur France Info le même jour, pendant et après une crise il faut savoir se réinventer. On a vu par exemple de nombreuses librairies, souvent avec l’aide des Régions, mettre en place du click et collecte ; d’autres commerçants l’ont fait par leurs propres moyens. Dans une situation de pandémie de l’ampleur de celle que nous vivons, pleurer ne suffit pas et vilipender sans réfléchir le gouvernement est totalement contreproductif. Ces récriminations, dont on peut comprendre les raisons émotionnelles, ne font qu’accroître l’anxiété générale y compris celle de ceux qui protestent. Il y a des situations extrêmement difficiles, catastrophiques et mortifères, mais est‑ce en laissant l’épidémie se développer qu’on supprimera ces situations ? Certes on ne peut pas dire que le gouvernement brille par une prise en mains intelligente de la crise, il va à tâtons, hésitant, avançant, reculant, distribuant des discours incohérents. Qui aurait fait mieux ? Ce guide de haute montagne des Hautes‑Alpes, mu par ses connaissances scientifiques encyclopédiques, qui déclarait sur une radio que les décisions du gouvernement sont des sottises parce qu’elles ne reposent sur une erreur scientifique.

 

 Les gens sont ainsi baignés dans une ambiance où la doxa l’emporte sur la connaissance et l’intelligence, où l’intérêt personnel l’emporte sur celui collectif. Quoi de surprenant à ça dans une société où prévaut un régime des opinions, avec une réflexion simpliste qui nie la complexité du réel. Là où le débat est nécessaire pour aborder la complexité, il est rendu impossible parce que chacun est (ou s’assigne) à un camp. Cette position est un obstacle à une bonne gouvernance pour laquelle chacun doit pouvoir s’exprimer en même temps que chacun a le devoir impérieux d’écouter l’autre ; il est vrai que le président de la République ne montre pas l’exemple, ces ministres non plus. C’est du croisement des idées que vient une stratégie efficace. Loin de cette sagesse il semble que nous soyons confrontés à des cons si on admet, comme écrit dans l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert, que la connerie « consiste à émettre un jugement dans l’ignorance volontaire du contenu de ce qui est jugé, ce qui rend toute compréhension impossible. »

 


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