[#Coville #EDF #Fessenheim] 2017 : année de la catastrophe nucléaire en France ?

par Patrick Samba
lundi 23 janvier 2017

Bien que le premier mois d’une nouvelle année soit traditionnellement dévolu aux vœux de santé, de joie, de bonheur, il me faut décidément déroger à la règle et endosser de nouveau le plumage de l’oiseau de mauvais augure en vous faisant part du profond pessimisme de Thomas Coville, le tout récent recordman du tour du monde à la voile en multicoque. En guise de vœux le 29 décembre il s’est interrogé sur le nucléaire avec une gravité inhabituelle en cette période de fêtes, en des termes laissant peu de place à l’optimisme. « Faudra-t-il attendre que Fessenheim pète pour se décider à sortir du nucléaire ? » s’est-il exclamé à l’orée de la nouvelle année dans les locaux de Libération.

Un tel pessimisme au lendemain de son exploit, chez un sportif de haut niveau enclin à la combativité, a de quoi surprendre. D’autant plus qu’il peut par ailleurs, et plein de contradictions, afficher une relative tolérance pour le nucléaire, intoxiqué par la propagande simpliste et se jouant des mots, selon laquelle le nucléaire serait bien plus « propre » que le charbon. D’où peut donc lui venir un tel pessimisme quand il nourrit, sauf sur le retraitement des déchets, une relative confiance dans le nucléaire ? C’est que son surmoi conformiste formaté au bourrage de crane nucléariste tente finalement bien inefficacement de s’imposer à sa conscience, quand en réalité la peur de l’accident - fermement verrouillée mais avec plus ou moins de succès - est intense. Et c’est très probablement du fait d’un optimisme déçu, forgé de la croyance qu’il avait probablement mise, comme de nombreux français, dans la promesse répétée à de multiples reprises depuis 2012 par le Président Hollande qu’il fermerait la centrale au plus tard fin 2016, que cette phrase profondément pessimiste a jailli. Parce que nous sommes en 2017 et que malheureusement Fessenheim n’est toujours pas fermée. Et la fine Cosse, fine politique s’entend, qui avait assuré en cours d’année - elle en mettait sa main à couper - que la centrale serait bien fermée en 2016...

A croire qu’en France l’ombre du Général est tellement imposante qu’elle obscurcit jusqu’à la synapse la plus reculée du cerveau des ingénieurs X-Mines, tétanisant, tels des Camardes affublées de leur faux, toute la classe politique conformiste et conservatrice française. Nulle part ailleurs dans le monde l’aliénation nucléariste n’est poussée à ce degré de paroxysme. De Gaulle est pourtant bien mort et n’a jamais réclamé dans un quelconque testament que le Titanic-EDF poursuive, imperturbable, sa trajectoire jusqu’à l’iceberg financier et industriel, ou pire vers la catastrophe nucléaire. Or la situation aujourd’hui n’est rien de moins que catastrophique. Tous les signaux sont en alerte maximale.

Retour en arrière

Rappelez-vous, c’était lors du débat précédant le second tour de la présidentielle de 2012. C’était juste avant les célèbres anaphores qui déstabilisèrent le candidat à talonnettes, le débat était vif et ne parvenait pas à s’éteindre sur le nucléaire civil. Et Hollande de répéter « Une seule centrale fermera lors du prochain quinquennat, une, ce sera Fessenheim ! ». Et par la suite il répéta donc de multiples fois que sa fermeture aurait lieu « d’ici à la fin 2016 ». Et nous sommes bien en 2017.

Même la demande d'abrogation de l'autorisation d'exploiter Fessenheim que devait déposer EDF avant fin juin 2016 comme l’avait exigé Ségolène Royal au PDG d’EDF à la suite des négociations d’indemnisation, ne l’est toujours pas. C’est seulement une fois armé de cette demande que le gouvernement serait amené à publier un décret d'abrogation. Mais un décret aux effets tardifs : un arrêt effectif de la centrale n’est prévu qu’au démarrage de l'EPR de Flamanville, envisagé aujourd’hui fin 2018 au plus tôt ! S’il démarre en réalité un jour…

Et pour autant ce décret ne garantit pas en lui même une fermeture définitive ! Il est juste une nouvelle étape dans le labyrinthe administratif censé aboutir à sa fermeture, et que pourrait tout à fait annuler le nouveau Président.

Hollande, embourbé de bonne grâce dans ce marais administratif, a convoqué le 3 janvier le PDG d’EDF, Jean-Bernard Lévy, une vieille connaissance de lycée qu'il a placé à la tête de l'entreprise nucléaire, pour soi-disant « lui intimer un ordre clair et net : il doit obtenir de son conseil d’administration du 24 janvier le feu vert nécessaire à la fermeture de la centrale de Fessenheim ». Pour cela il doit y recevoir l’autorisation de signer la convention d'indemnisation entre l'Etat et EDF. A la suite de quoi le PDG, qui tergiverse depuis sa nomination en novembre 2014, pourra demander au gouvernement l’abrogation d’exploiter. Et comme la majorité est loin d’être acquise, cette décision n’est pas à portée de main.

En bref un enfumage du plus bel effet, Hollande voulant se faire passer pour un président déterminé mettant tout en œuvre pour réaliser sa plus célèbre promesse.
 

Bien misérables « responsables » qui n’ont donc pour horizon, non pas, à défaut de leur peuple, la destinée de leurs enfants et petits-enfants, mais une carrière, une ambition qui, pour Hollande devrait se limiter à arriver en bonne santé au Conseil constitutionnel. Et c’est cet homme dont on a dit qu’il avait été digne et qu’il avait fait preuve de courage en annonçant son renoncement à une nouvelle candidature, qui veut nous donner l’illusion qu’il fait tout pour obtenir la fermeture de Fessenheim, mais en réalité qui s’agite pour pouvoir en cas d’échec reprocher aux dirigeants d’EDF leur mauvaise volonté. Et qui le fait, dans le meilleur des cas, pour nous faire croire que la signature du décret est bien la réalisation de sa promesse, ce qui n’est évidemment pas le cas.

 

La perspective de l'accident nucléaire

Mais en renonçant en réalité à la fermeture de Fessenheim il condamne la France à rien de moins que l’accident nucléaire. Beau final en effet ! Après moi le déluge ! Les conditions politiques, économiques et psychologiques ainsi installées seront telles que l’accident pourrait bien être inéluctable. Qui à droite, déjà encline au mieux à l’immobilisme, au pire à la fuite en avant, prendrait le risque d’un fiasco similaire dans la suite d’un président velléitaire s’étant égosillé à nous assurer de la fermeture de la très veille centrale ? Personne. L’accident tant redouté est donc probable, sauf à élire un président sincèrement favorable à la sortie du nucléaire.

Le pronostic vous parait peu réaliste ? Pour vous en convaincre il suffira de lister les éléments du chaos dans lequel évolue aujourd’hui l’industrie nucléaire française, ainsi qu’un certain nombre d’autres déterminismes :

Tout d’abord un peu d’histoire : rappelez-vous ce que nous a dit Gorbatchev des répercussions de la catastrophe de Tchernobyl. Que cet accident gravissime toujours en devenir (le nouveau dôme de confinement a été inauguré en novembre dernier) avait joué un rôle essentiel dans la chute du mur de Berlin 3 ans plus tard et dans la dissolution de l’URSS dans les deux années qui suivirent. Quelles sont et seront les conséquences de la catastrophe de Fukushima qui a débuté il y a 6 ans ?

On sait déjà qu’Areva, fournisseur du mox de la centrale japonaise, a sombré, qu’elle est démantelée, et que le désastre financier n’en est qu’à son début. Elle avait bien tentée une curieuse diversion en cherchant contre toute logique apparente à se payer le José Bové de la lutte antinucléaire, Stéphane Lhomme. Luc Oursel, son PDG d’alors, pensait n’en faire qu’une bouchée. Seulement voilà c’est encore une fois David qui terrassa Goliath, et de toute façon ce n’est pas cet absurde contre-feu qui aurait permis de ralentir la chute d’Areva. La suite va dépendre désormais de l’attitude de l’ASN (Autorité de Sureté Nucléaire) qui saura ou non résister au chantage à la faillite qu’exerce sur elle la Commission européenne. En effet celle-ci conditionne, entre autre, son accord aux augmentations de capital d’Areva par l'Etat français, plafonnées à 5 milliards, à la conclusion positive par l’ASN des essais concernant la cuve du réacteur EPR de Flamanville 3. Et la chose est en bonne voie puisqu’elle a déjà donné son accord au redémarrage des réacteurs dont le générateur de vapeur est constitué du même acier défectueux que celui de la cuve de l’EPR. Avec l’aval tout récent du Conseil d’Etat.

Pour mémoire, depuis avril 2015, les révélations se multiplient concernant des pièces mal fabriquées avec l’acier défectueux par Areva au Creusot et par le japonais JCFC, ainsi que sur des certificats falsifiés.

La situation économique d’EDF n’est guère plus florissante. Les nuages s’accumulent à l’horizon et Jean-Bernard Lévy, le Conseil d’administration et les syndicats font le choix aveugle d’une fuite en avant. Non pas que ces derniers n’aient pas tenté de mettre le holà au sujet des EPR anglais, mais ils n’ont pas été écoutés. La démission du directeur financier, geste on ne peut moins anodin, si elle a influencé les syndicats, n’a pas été en revanche suivi d’effet sur les choix de la direction. Sinon, apparemment, celui de raidir un peu plus sa position.

Par ailleurs le rafistolage des centrales pour les mettre aux normes post-Fukushima est évalué à 100 milliards selon la Cour des comptes. Autant d’argent non investi dans les énergies renouvelables et dont le seul but est le prolongement insensé des centrales jusqu'à 60 ans quand elles n'étaient prévues de fonctionner qu'une trentaine d'années maximum.

L’EPR de Flamanville comme celui de Finlande sont des fiascos.

Le moral des salariés d’EDF est en chute libre (Cette enquête interne qui fait trembler la direction d’EDF). 

Et La bêtise des syndicats de Fessenheim est qualifiée d’expertise (L’Humanité).

Et demain 24 janvier le Conseil d’administration d’EDF doit prendre une nouvelle décision : la confirmation ou non de la fuite en avant du fleuron de l’industrie nucléaire française.

La décision est donc avant tout symbolique. Elle déterminera la volonté chez EDF d’éviter à la France un accident nucléaire irréversible.


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