CPE : un combat incertain

par Pierre Bilger
vendredi 17 mars 2006

Dans le bras de fer engagé entre le gouvernement et une partie de l’opinion sur le contrat première embauche, ce dernier n’est qu’un prétexte. Personne ne peut sérieusement croire que ce nouvel instrument contractuel, s’ajoutant notamment au CDI, au CDD, au CNE, au CDD « senior » et au CTE, puisse ébranler, fût-ce marginalement, les colonnes du temple du droit du travail à la française. Chacun sait que la jurisprudence viendra combler sans délai les éventuelles lacunes de sa rédaction quant à la motivation de licenciements opérés pendant la période d’essai, à l’image de ce qui commence à se passer sur le contrat nouvelle embauche.

En revanche, les avantages que les bénéficiaires peuvent en retirer en termes d’indemnité de licenciement, d’indemnisation du chômage, d’accès au logement... sont bien réels, et il n’est pas douteux que certaines petites entreprises peuvent y trouver un motif de prendre le risque d’une embauche à laquelle autrement elles ne se seraient pas résolues. L’enjeu est donc ailleurs, et les ressorts qui animent la contestation sont différents. Les organisations d’extrême-gauche qui, depuis mai 1968, se sont fait une spécialité de l’agitation universitaire et lycéenne, y trouvent une occasion inespérée de se déployer et de transmettre aux nouvelles générations leur culture du conflit alors qu’approchent les beaux jours. Les syndicats suivent le mouvement, sincèrement frustrés, pour certains d’entre eux, par le service minimum du gouvernement en matière de concertation préalable.

L’opposition de gauche y trouve une manière de passer le temps en attendant que se noue le seul débat qui vaille pour elle, celui de la désignation du ou des candidat/s à l’élection présidentielle. L’UDF s’oppose, parce qu’il faut bien s’opposer. Les seuls qui ne s’expriment pas sont ceux qui sont réellement concernés par le projet, les entreprises et les jeunes qui, ayant achevé leurs études ou n’en ayant jamais fait, ne trouvent pas un premier emploi. Les entreprises, parce qu’approuvant l’intention, elles sont perplexes sur la méthode, et les jeunes à la recherche d’un emploi, parce que n’étant plus ou pas dans le système éducatif et n’étant pas encore syndiqués, ils n’ont pas les moyens de manifester ou de faire grève.

Ce sont donc les fonctionnaires, les salariés dotés d’un emploi stable, certains des jeunes qui étudient et, bien entendu, les intermittents du spectacle, dont les indemnités sont financées par les entreprises, qui, à travers leurs représentants divers et variés, occupent les « lucarnes » médiatiques et fournissent l’essentiel des troupes des défilés et des piquets de grève à l’entrée des universités. On comprend que, dans une telle configuration, le Premier ministre, sommé dans les médias par les uns et les autres de retirer son texte, ait quelque mal à obtempérer.

Il peut en effet avoir le sentiment qu’entre l’exercice normal de la démocratie à travers le Parlement, qui a conduit à son adoption, et l’expression de l’opinion à travers des assemblées générales, autoproclamées et procédant par mains levées dans la plus pure des traditions « populaires » que l’on pouvait espérer révolue et des défilés aux comptages controversés, il n’a pas d’autre choix que de tenir, le temps que chacun retrouve la raison et mesure la réalité -modeste- du véritable enjeu de son projet. De ces combats au contenu aussi incertain que le destin, il restera cependant une victime, l’espoir, décidément utopique, d’une évolution raisonnée et consensuelle des réglementations du marché du travail, permettant d’aboutir à plus de sécurité pour les salariés et pour les entreprises, au bénéfice d’une vraie lutte contre le chômage.


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