Crise, chômage et terres arables
par Raymond SAMUEL
lundi 7 mars 2011
Ou l'inconscience forgée par 50 années de surpoduction/surconsommation
CRISE, CHÔMAGE ET TERRES ABANDONNEES.
1° LA CRISE.
Il semble bien que l'opinion, en général, considère la « sortie de crise » comme une certitude. Mieux, on peut lire, de temps à autre, que cette sortie est déjà advenue.
Apparemment, ceux qui pensent que la crise ne fait que commencer, qu'elle aura des répercutions profondes non seulement sur notre civilisation mais aussi sur les pays du monde entier, ne sont pas légion.
2° LE CHÔMAGE.
Personne ne peut nier que le chômage augmente constamment. Cependant, la sortie de crise étant considérée par nos gouvernants et par les medias comme une certitude, très peu nombreux sont ceux qui s'attendent à voir se réduire l'offre d'emplois jusqu'à ce que le chômage atteigne ou dépasse des taux (50 % ?) qui provoqueraient une véritable catastrophe.
3° LES TERRES ABANDONNEES.
Qui lie, aujourd'hui, la culture de la terre au chômage ? L'agriculture est pensée telle qu'elle est, telle qu'elle est devenue, personne n'imagine qu'elle est une donnée du problème économique que nous vivons.
Des ouvrages très documentés comme « l'exode rural » de Pierre MERLIN (La Documentation Française)
ne citent l'agriculture qu'en fonction des difficultés relationnelles induites par l'installation de nouveaux venus. Ces nouveaux venus étant soit des « périurbains », soit des « rurbains », selon qu'ils s'installent au voisinage immédiat des villes ou à la campagne.
L'auteur de « l'exode urbain » énumère onze mesure principales qu'il propose de prendre pour « conduire à une nouvelle étape dans le développement spatial du territoire ». Aucune de ces mesures n'inclut l'utilisation agricole des terres.
Ainsi, nous faisons volontiers (volontairement ?) l'impasse sur la crise économique et financière que nous vivons. Nous sommes ainsi dispensés d'admettre que des mesure radicales s'imposent pour faire face à l'ère nouvelle qui se met en place. Dans ce contexte, l'idée de valoriser les terres abandonnées ou mal utilisées pour minimiser les incidences sociales de cette crise ne nous effleure évidemment pas.
MINIMISER L'IMPACT SOCIAL DE LA CRISE.
(Abandonner les friches urbaines).
PREAMBULE
Même si la crise dite financière semble un jour se terminer, ne nous y fions pas, ce ne sera qu'une accalmie car rien ne sera pour autant résolu.
Nous n'échapperons pas à l'épreuve de vérité.
Et la vérité c'est que l'économie tend à se réduire à son seul possible, hors du dopage effectué par le système financier mondial depuis le début de l'ère industrielle.
Ainsi l'abondance de biens que nous avons connue pendant plus de cinquante ans grace à ce dopage sera absente de l'économie qui se met actuellement en place.
Pour maintenir la croissance exponentielle inhérente à notre civilisation et indispensable au monde de la finance, le système économique a créé sans cesse, dans le passé et encore aujourd'hui, des besoins et des produits nouveaux, tout en activant le coût de la vie, de façon à entraîner constamment des regains de besoins financiers chez les particuliers et les entreprises.
De fausses richesses ont été créées abondamment. Citons à titre d'exemple la prospérité constatée pendant quelques années en Espagne et en Irlande dans le secteur de l'immobilier. Ces richesses étaient en grande partie dues à de la monnaie créée pour les besoins de la cause. Le résultat n'était qu'un chateau de cartes.
Ces deux pays sont revenus à leur véritable niveau économique, celui qui peut être atteint par le travail des Hommes et leur inventivité. C'est ce qui se produira pour les autres pays. Le système économico-financier arrive maintenant au bout des manipulations possibles. C'est la fin d'une époque. Quelques replatrages monétaires seront sans doute encore possibles, comme le recours à la planche à billet.
Plus forte sera la chute.
L'immobilisme comme la croyance en un sauveur (nouveau président de la République ou miracle de la science) ne sont plus de mise. Il faut agir pour adapter notre société aux conditions économiques qui prennent forme, et bien noter que ces conditions ne sont que le retour à une normalité que nous n'aurions pas dû quitter.
Malheureusement notre société s'est formée, et cristallisée, en conformité avec les besoins de cette société industrielle. Modifier sa structure ne sera pas chose facile.
Parmi les premières mesures qui s'imposent il en est une que je soumets à l'appréciation de tous et que je décris succinctement plus bas.
CONSTAT
La conscience de la situation que je résume en préambule est loin d'être universelle.
Je doute de la possibilité de me faire entendre par le plus grand nombre, sachant que la « sortie de crise » est couramment annoncée comme étant une réalité advenue ou en passe de l'être.
Pour beaucoup de personnes l'éventualité d'une réduction de la consommation est inacceptable, de même que des modifications importantes de leur mode de vie. Ceux qui s'en remettent à la science ou même au personnel politique pour régler tous les problèmes sont encore fort nombreux. Il est aussi d'usage de se rassurer en tablant sur les créations d'emplois qui résulteraient des dispositions écologiques à prendre. Beaucoup de personnes pratiquent simplement le déni ou s'estiment non concernées.
Il est pourtant évident que nous ne pouvons pas échapper à la réduction de la consommation dès l'instant où le dopage de l'économie (par les manipulations monétaires) cessera. La consommation devra revenir à la hauteur du possible, c'est à dire au niveau de ce que nous pourrons demander au travail effectif des Hommes et aux possibilités de notre planète Terre.
Pour rester dans ces limites nous devrons mettre fin au gaspillage, réduire, et si possible supprimer, la fabrication de nombreux produits insuffisamment utiles. Nous devrons aussi faire la chasse aux activités et services parasites que le système actuel comptabilise comme richesses parce qu'elles génèrent des mouvements d'argent mais qui sont en réalité des pertes sociales.
Bien sûr, nous pouvons, nous devons, compter sur la recherche et la technologie qui peuvent nous permettre de « faire plus avec moins », c'est à dire mieux utiliser les ressources encore existantes, mais surtout découvrir ou développer de nouvelles techniques, notamment de nouvelles énergies.
Cependant, la marge de manœuvre s'est déjà nettement réduite et il est certain que, la récession étant inévitable, le nombre de ceux qui sont sans emploi va se développer inexorablement pendant que l'Etat perdra au même rythme les ressources nécessaires pour fournir des moyens d'existence à tous ceux qui se trouveront sans ressources financières.
Nous savons que la France n'est pas le seul pays dans ce cas. La situation est maintenant à examiner au niveau mondial.
Que voyons-nous ?
La Chine s'industrialise à toute vitesse, comme la Corée du Sud. Beaucoup d'autres pays suivent la même voie, d'autres suivront encore.
L'un des résultats de cette industrialisation galopante c'est la situation dans laquelle se trouvent déjà (et se trouveront de plus en plus) les anciennes régions dominantes du globe (Europe, Etats-Unis et satellites) qui sont maintenant clientes des nouveaux pays industriels et qui perdent ainsi leurs emplois .L'économie de services que ces pays ont développés en compensation ne génère pas de réelles richesses mais est au contraire une charge pour la société.
Observons toutefois que des voies doivent être explorées pour maintenir cette économie de service. Citons le système dit « Echanges de savoirs » initié par Mme et Mr HEBERT-SUFFREIN.
Au niveau mondial, malgré la désindustrialisation de l'occident nous allons vers une surabondance de plus en plus importante de produits à commercialiser, combinée, dans les pays de culture occidentale à une raréfaction des clients susceptibles de les acquérir.
Ce déséquilibre nous pousse inéluctablement vers un développement massif du chômage en occident mais aussi, à terme, dans les nouveaux pays producteurs qui ne parviendront plus à vendre leurs produits au reste du monde et se trouveront donc eux aussi acculés au chômage massif faute de débouchés.
En France la mesure gouvernementale dite « prime à la casse » démontre à l'évidence la difficulté à écouler la production industrielle. En même temps cette mesure illustre la stupidité des dispositions qui sont prises pour lutter contre le développement du chômage. Cette prime à la casse ressemble à la plaisanterie qui consiste à occuper la moitié des chômeurs à creuser des trous pendant que l'autre moitié serait chargée de les reboucher !
On peut aussi douter de l'intérêt de réindustrialiser la France. Sauf s'il est encore possible de fabriquer des produits que les nations émergeantes ne seraient pas capables de faire. Or le nombre de ces produits ne cesse de se réduire.
IL N'Y AURAIT DONC PAS D'ISSUE ?
Le principal obstacle à la recherches des issues possibles est dans nos esprits. Nous refusons de reconnaître que la répartition géographique de la population et les connaissances et aptitudes les plus répandues sont dès à présent à reconsidérer pour les adapter d'urgence au monde qui se crée actuellement.
Il faut d'abord voir que les salariés n'ont qu'une porte de sortie qui est d'échanger leur statut passif de dépendance à l'égard de l'offre de travail contre un autre qui les libérerait de cet assujettissement, leur donnerait la possibilité d'agir et des moyens de combattre sainement pour vivre.
Les salariés, chômeurs ou non, vivent tous dans une société que le système économico-financier a voulu à haut coût. Il faut s'affranchir aussi de cette autre dépendance (les loyers qui amputent les bas salaire de leur moitié ne sont pas une fatalité, les plus agés d'entre nous se souviennent de loyers n'amputant que le cinquième ou même le dixième de ces bas salaires.
Gouvernants et gouvernés sont des prisonniers. Prisonniers de la finance, de la mondialisation, de l'organisation sociale, de la cité, de leur éducation, de leur culture etc.
Ainsi, la difficulté principale pour maîtriser l'évolution et non plus la subir c'est de nous libérer des dépendances de toutes natures dans lesquelles nous sommes enfermés.
IL FAUT ECHAPPER AU PIEGE DU SALARIAT ET DEVENIR AUTONOME, COMMENT ?
Nos ancêtres ruraux seraient fort étonnés s'ils nous entendaient poser cette question tout en constatant en même temps que nous ne cultivons plus que les terres les plus faciles à travailler, laissant les autres en friche. Ils seraient également effarés de savoir que les Français qui vivent de la culture de la terre sont passés de 40 % à 2 % et ne sont plus capable de se maintenir sur des propriétés agricoles dont la surface de certaines dépasse les cent hectares, considérant qu'il n'est plus possible d'y vivre.
Le comble étant que les meilleures terres ne permettent aux exploitations restantes de survivre que grace à des subventions ! Non seulement ces subventions vicient le fonctionnement de l'agriculture mais elles augmentent évidemment à concurrence le prix de revient des autres activités sur lesquelles elles sont prélevées.
Par ailleurs, si les agriculteurs actuels ne sont pas dépendants passifs de l'offre de travail comme les salariés, ils le sont des grandes organisations mondiales comme l'OMC la PAC et autres, qui ont le pouvoir de les mettre en difficulté ou même de les faire disparaître (ce qui se produit tous les jours). Ils sont également passés sous la houlette (et la menace) du Crédit Agricole.
Les subventions à l'agriculture vont évidemment cesser pendant que les productions agricoles continueront de s'inscrire dans les plans des financiers. Les agriculteurs sont ainsi en passe de devenir eux aussi des chômeurs à la suite de l'augmentation des coûts de production, notamment du fait de l'obligation, pour produire toujours plus, de consommer des pesticides, d'acquérir des machines aux prix industriels et de subir les prix de vente.
Si la situation actuelle persiste toutes les terres agricoles deviendront progressivement des friches improductives pendant que se développeront des famines généralisées.
Voilà l'une des situations totalement aberrantes, ubuesques, terrorisantes, auxquelles nous conduit le système économico-financier, parasite du monde du travail, que nous subissons.
La terre arable et la mer sont nos seules sources de nourriture. Les villes deviennent de plus en plus des lieux stériles car de plus en plus impropres à jouer leur rôle traditionnel qui est de permettre aux résidents de gagner de l'argent, quelles que soient leurs activités professionnelles.
N'est-il pas urgent de réduire la densité des villes pour réoccuper les lieux où la vie est possible en ne faisant appel à la monnaie que dans des limites raisonnées ? Pourquoi ne pas aller là où il existe encore des moyens d'agir pour sa survie, c'est à dire là ou il est possible de produire, au moins, sa nourriture ?
Aucun des paysans vivant dans le premier quart du 20ème siècle (40 % des Français je le rappelle) n'était inscrit au chômage.
Un certain nombre de personnes le savent, il faut revenir à l'agriculture familiale qui a pour objet, non de créer des entreprises sur le modèle industriel, mais principalement de fournir un lieu de vie en même temps qu'une quasi autosuffisance alimentaire.
Le besoin vital à couvrir n'est pas, dans ce cas, de conquérir des parts du marché du vin, du blé, des produits laitiers etc. à grand renfort de pesticides, de machinerie (achetée à l'étranger), de transport, de spéculation, etc., mais pendant qu'il en est encore temps, de permettre au plus grand nombre possible de chômeurs de retrouver leur dignité en devenant responsables de leur sort et d'assurer leur survie en produisant leurs besoins de base, nourriture, chauffage etc.
Voici donc le projet que je soumets : installer des chômeurs sur les terres disponibles.
Faire d'abord l'inventaire de notre capital en terres cultivables actuellement dédaignées.
Ensuite, consacrer les dernières ressources de l'Etat à l'installation de familles de chômeurs sur des lopins de terre de surfaces suffisantes.
Je suis parfaitement conscient du fait que cet exode urbain ne se ferait pas sans d'importantes difficultés :
- Comment des citadins inexpérimentés parviendraient-ils à cultiver efficacement la terre et à résoudre les problèmes du quotidien spécifiques au milieu rural (couper son bois, réparer ses outils et machines , maçonner, charpenter, résister au froid, à la chaleur, renoncer souvent au confort, etc...) ?
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Comment se logeraient-ils ?
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La nourriture n'est pas le seul besoin primaire. Comment ces néo-ruraux se procureraient-ils l'argent nécessaire pour faire face aux autres besoins, même si ceux-ci sont réduits au strict minimum ?
CREER DES FERMES ECOLES.
Pour que les citadins acceptent la mutation qui s'impose, il faut leur permettre de constater que celle-ci est possible.
Ce serait le rôle de fermes familiales réhabilitées, présentées en fonctionnement. Des stages y seraient organisés à destination des candidats à l'installation.
Dans chaque département deux ou trois de ces fermes pédagogiques pourraient être créées pour présenter in situ les connaissances, les techniques et outillages adaptés, à l'occasion de stages d'initiation. Le concours de spécialistes des différentes disciplines à enseigner serait requis.
L'une des principales missions de ces fermes-écoles serait d'apprendre à réduire drastiquement le coût subi de la vie.
Le premier principe est évidemment de produire sa nourriture en cultivant la terre.
Mais l'agriculture ne serait pas la seule technique enseignée. Tous les aspects de ce mode de vie nouveau devraient être étudiés et des solutions trouvées qui seraient susceptibles de conduire à une autonomie suffisante.
Par exemple :
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Initiation à l'autoconstruction avec utilisation de procédés très économiques (bois cordé, paille),
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Recherche d'une architecture verticale éliminant l'obligation du chauffage central,
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Récupération des eaux de pluie (se pratiquait dans le passé dans les lieux de vie isolés sans sources),
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Connaissance d'un outillage léger pour le travail de la terre (moissonner, battre les céréales, moudre le blé, faire son pain etc),
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apprentissage de la culture biologique,
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entraînement à l'autonomie financière par la pratique du troc, des sels, de la comptabilité numérique des échanges ou par tout nouveau système réduisant les relations avec le système financier actuel, tant que celui-ci existe tel qu'il est.
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Mutualisation des matériels et du travail,
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Etc...
Des avancées non négligeables ont déjà été réalisées dans ces domaines. Il reste à les rassembler, à les adapter, à les compléter pour faire la démonstration qu'il est possible de construire un mode de vie durable.
Cependant, c'est une MOBILISATION GENERALE qui est nécessaire, une mobilisation citoyenne de la société civile surtout.
Pour réaliser cette mobilisation et regrouper les initiatives tout reste à faire semble-t-il.
Une meilleure information est nécessaire simultanément qui permettrait de se rendre compte que nos modes de vie ne sont pas les seuls possibles, que nos institutions ne sont pas inamovibles, que les conditions nécessaires pour vivre heureux au-dessous du niveau de consommation actuel peuvent être créées.
Il faudra faire entendre avant tout qu'il est définitivement impossible de maintenir le déséquilibre démographique actuel tel qu'il existe entre villes et campagne.²
Ultérieurement, le mouvement devrait s'amplifier en réduisant progressivement la surface individuelle des exploitations agricoles actuelles, de même que la surface des terres consacrées à la production de viande pour laisser la place au maraîchage.
La santé publique a tout à y gagner, et la quantité de nourriture produite peut ainsi être considérablement augmentée, de même que le nombre de lieux de vie possibles.
Pour longtemps encore, cependant, nos terres à blé françaises et les grandes plaines d'Ukraine, de Sibérie et d'ailleurs devront hélas produire les céréales et pommes de terre à l'échelle industrielle, avec force machines et engrais chimiques, pour alimenter ceux, en grand nombre on s'en doute, qui devront résider dans les villes, par choix ou par obligation.
Enfin n'oublions pas ceux déjà nombreux heureusement, qui ont déjà agi et ceux qui agissent aujourd'hui pour réduire leur impact écologique et participent déjà au mouvement préconisé ici.
Certains de ceux-ci voudront peut-être bien participer à un projet commun, ne serait-ce qu'en faisant connaître leur expérience.