De Hérouxville au Haut Conseil de l’intégration de France : le parcours du combattant

par Pierre R. Chantelois
mercredi 7 février 2007

De Hérouxville au Haut Conseil de l’intégration de France, le parcours du combattant semble identique : protéger les acquis d’une société civile sans heurter les croyances religieuses. L’immigration est au coeur même de cette problématique sociale. Une petite municipalité propose un code de vie sans portée juridique. Le Haut Conseil de l’intégration de France propose une nouvelle charte de la laïcité, sans valeur juridique. Une démarche commune qui procède d’un même principe républicain : garantir la liberté de culte dans la sphère privée mais restreindre son exercice dans le domaine public.

On en parle beaucoup au Québec. Beaucoup trop peut-être, au goût de la classe politique, mais personne n’est indifférent au code de conduite qu’impose à ses futurs immigrants une petite municipalité du Québec : Hérouxville. Courage ou naïveté ? C’est selon. Une chose est claire : Hérouxville est maintenant au premier rang de l’actualité. Elle s’est payé le luxe de bousculer de politically correct. En dernière heure, le Congrès islamique canadien, le Forum musulman canadien et la Fédération canado-arabe prépareraient une plainte devant la Commission des droits de la personne du Québec : les trois associations reprochent à Hérouxville de violer l’article 27 de la Charte canadienne des droits et libertés qui favorise la préservation et le renforcement du patrimoine multiculturel des Canadiens. Elles accusent la municipalité d’incitation à la haine et au racisme et de « jeter de l’huile sur le feu ».

La petite histoire

Hérouxville est une petite municipalité du Québec. 1300 personnes l’habitent. Située près de Grand-Mère, en Mauricie, Hérouxville n’a accueilli à ce jour aucun immigrant. Pourtant, son conseil municipal vient d’adopter un code de vie de cinq pages pour encadrer l’immigration. Il y est expressément dit qu’il est désormais formellement interdit de lapider les femmes, de les exciser et de se promener à visage couvert dans le village. Hérouxville avertit également tout éventuel immigrant (sic), que les Québécois ont l’habitude de faire des sapins de Noël, qu’ils se font soigner indifféremment par des hommes ou des femmes, que les viandes de porc et de boeuf se côtoient sur l’étal du boucher et que les garçons et les filles se baignent ensemble dans la même piscine. Enfin tout immigrant doit savoir que le port du kirpan ne sera pas accepté dans les écoles, ni l’aménagement de locaux de prière. Le plus sérieusement du monde, les opinions vont dans le sens que « la seule exemption possible à cette règle se produit à l’Halloween ».

Ce code a été adopté à l’issue d’un sondage mené auprès de 196 citoyens de la municipalité (sur un total de 1300 personnes) par un conseiller de Hérouxville. A la question : « Croyez-vous que les hommes et les femmes ont la même valeur ? », 193 concitoyens ont répondu oui, il y eut un indécis et... deux non. A la question : « Accepteriez-vous que l’on vous empêche de faire un arbre de Noël ? », la réponse fut unanime : un gros non. A la question : « Accepteriez-vous qu’il devienne illégal de boire de l’alcool  ? », il y eut également un autre gros non. A la dernière question : « Croyez-vous qu’un infirmier peut soigner une femme ? », 194 personnes sur 196 ont répondu : oui.

Les réactions

Ces questions simples ont soulevé au Québec un débat, débordant largement les frontières de Hérouxville. Le code de conduite a été dénoncé par une partie de la population et encensé par une autre partie. Les médias ont pris d’assaut la petite municipalité, bousculant l’univers plutôt calme et serein des habitants. Les forums de discussion n’ont pas dérougi. Obscurantisme, imbécilité, pauvreté d’esprit, ignorance crasse, antagonisme ont clamé les pourfendeurs. Courage, prévoyance, perspicacité et clairvoyance, ont clamé pour leur part les défendeurs. Les réactions sont diverses, de la modération à l’exaspération, de la tolérance au racisme pur et dur. Les réactions viennent d’aussi loin que du Brésil, du Nicaragua, du Panama ou du Japon, selon des membres du conseil municipal.

La ministre de la région, Julie Boulet, s’est rendue en urgence sur place pour rencontrer les élus (élues) locaux. La ministre Boulet a affirmé s’être présentée pour les écouter, sans mot d’ordre du gouvernement. Au terme de la rencontre, le maire d’Hérouxville a déclaré qu’il n’était pas question de reculer. Le code de vie de cette municipalité a été adopté à la suite d’un sondage.

Au cours de l’émission télévisée Tout le monde en parle, diffusée sur Radio-Canada, le même monsieur Drouin a demandé au premier ministre du Québec de décréter l’« état d’urgence » pour protéger la culture québécoise.

La municipalité régionale de Comté de Mékinac compte environ une dizaine de petites municipalités, dont bien évidemment Hérouxville. Les élus locaux se posent la question de savoir s’ils ne devraient pas sonder leurs élus (élues) relativement à l’adoption d’une politique d’immigration, non pour restreindre cette dernière mais pour la favoriser. D’autres municipalités de la MRC, dont Saint-Roch-de-Mékinac, Grandes-Piles et Trois-Rives, songent maintenant à imiter Hérouxville.

De passage à Paris, le Premier ministre du Québec, Jean Charest, a réitéré que le code d’Hérouxville restera un cas isolé. La réplique est venue d’Ottawa : le chef du Bloc québécois, Gilles Duceppe, a déclaré que Jean Charest a tort de ne voir qu’un acte isolé dans l’adoption de ce code de vie par une petite municipalité. M. Duceppe croit qu’il convient de rappeler que les institutions publiques sont laïques, qu’il revient aux immigrants de s’intégrer au Québec et à la société québécoise de faciliter cette intégration. Il affirme que certains symboles qui étaient originalement de nature religieuse - comme les croix et les arbres de Noël - font désormais partie de notre histoire et de notre culture.

Le directeur de l’Institut du nouveau monde (INM), Michel Venne, juge la démarche des citoyens d’Hérouxville honnête. « J’ai trouvé ça plutôt sympathique que les citoyens prennent des dispositions, et en l’occurrence, les institutions démocratiques municipales, pour affirmer leurs valeurs. J’ai trouvé légitime et assez rassurant que des citoyens ne se contentent pas simplement d’aller faire des commentaires sur des tribunes téléphoniques, à la radio ou ailleurs, mais cherchent, peut-être maladroitement, [...] une façon d’affirmer un certain nombre de normes, de valeurs, qui, certainement, sont déjà enchâssées dans nos chartes des droits et libertés ou dans d’autres lois, comme le Code criminel ou le Code civil, mais de le faire de façon assez simple [...] et en toute bonne foi, dans l’espoir qu’il n’y ait pas de confusion [pour] des gens qui voudraient apporter des comportements extrêmes et hors de nos normes de vie. »

Et la France ?

Le débat est-il plus serein en France  ? Marco Fortier, auteur d’un blog sur le site de Canoë, fait un parallèle intéressant avec la France. « Dans son excellente enquête sur les hôpitaux, Le Monde cite le docteur Georges-Fabrice Blum, de Mulhouse. "Quand, en salle d’accouchement, un homme me dit : "Touche pas à ma femme", je lui réponds : Ta gueule ! Ici, c’est moi le chef ! Je respecterai ta femme, je ne la regarderai pas dans les yeux, et je ferai naître ton bébé dans la sécurité. Mais pas de négociation !" Voilà. Ensuite, je laisse le papa faire la prière dans l’oreille de l’enfant après la section du cordon." Me semble que le Québec gagnerait à s’inspirer de cette charte française de la laïcité. Sinon, on risque de voir surgir d’autres Hérouxville qui « interdisent » la lapidation des femmes sur la place publique ou le recours au jet d’acide pour régler les disputes conjugales ». Ce commentaire a suscité 38 réactions de la part d’internautes partagés entre les pour et les contre.

Le quotidien Le Monde, dans sa rétrospective des petites horreurs en institutions, donne la parole au professeur Israël Nisand qui se dit inquiet de l’augmentation de la "violence verbale" et des cas "d’incivilité, voire de délinquance prenant le prétexte de la religion. [...] Le professeur se montre intraitable : Fini, les palabres à trois heures du matin, les scandales parce qu’on ose demander à un homme de ne pas bloquer un couloir pendant sa prière ou la menace de coups contre une sage-femme qui a pris la défense d’une patiente violentée par son mari. Ce n’est pas au personnel hospitalier de gérer cela. Désormais, je n’hésite plus : j’appelle la police. Une ligne spéciale nous relie au commissariat. Le personnel est plus serein.  »

Le Haut Conseil à l’intégration de France

Le Haut Conseil à l’intégration vient, pour sa part, de proposer l’instauration d’une nouvelle charte de la laïcité. Sans valeur juridique, ce texte vise avant tout à rappeler les principes de base de la République, qui garantit la liberté de culte dans la sphère privée mais restreint son exercice dans le domaine public. « Dans un contexte de revendications identitaires de toute nature, il apparaît hautement souhaitable sans attendre la multiplication de débordements de veiller à rappeler la règle républicaine », indique le rapport. D’un côté, le Haut Conseil à l’intégration « impose à tout agent public (...) un devoir strict de neutralité », de l’autre il reconnaît aux usagers « le droit d’exprimer leurs convictions religieuses dans les limites du respect de la neutralité du service public. »

Conclusion

Devoir de neutralité, pour qui ? Les fonctionnaires ou l’immigrant ?


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