De la surabondance informationnelle à la reconquête du temps 

par Eliane Jacquot
mercredi 15 juin 2022

Les médias, les courriels, les tablettes, les smartphones, les réseaux sociaux, Whats App... L'information est omniprésente, impossible d'échapper au contexte d'accélération qui régit la structure de nos sociétés interconnectées.

 

Quand trop d'information tue l'information

Au siècle dernier, on n'y avait accès qu'au travers des livres consultés dans des bibliothèques et des dictionnaires. Auparavant Montaigne nous avait enseigné au travers de l'écriture et de l'imprimerie qu'il valait mieux une tête bien faite qu'une tête bien pleine.

Un nouvel humain est né depuis la fin des années mille neuf cent soixante dix qui n'habite plus le même espace et a accès en tous lieux à l'ensemble du savoir. Le nouvel enjeu devient la gestion et le tri des données car la quantité ne rime pas toujours avec la qualité et avoir à portée de main et de clip le monde virtuel est une promesse mensongère dans notre quotidien saturé.

Plutôt qu'un libre accès aux données, il s'agit de savoir les exploiter et lesquelles sont utiles, pertinentes et pour qui. Au moment où le déferlement médiatique s'est substitué à nos ancêtres enseignants, nous ne savons plus hiérarchiser les informations qui nous submergent. Ce constat est un peu sévère, nous allons essayer de l'étayer.

La surabondance informationnelle

La révolution numérique a bouleversé la vitesse de traitement de l'information et imposé de nouvelles grilles de lecture du monde. Les médias imposent leur rythme à la société, les nouvelles technologies se diffusent à une rapidité qu'aucune précédente innovation n'a jamais connu.

Paul Virilio ( 1932-2018) ou les revers du progrès

« Si le temps c'est de l'argent, la vitesse c'est le pouvoir. »nous dit ce philosophe urbaniste à propos du dernier krack boursier qui pour lui représente l'accident intégral par excellence. Les victimes des Subprimes en ont été les centaines de milliers de personnes aux Etats Unis qui ont perdu leur logement acheté à crédit. De plus, on a fait l'impasse sur le phénomène d’accélération avec l'arrivée de nouvelles technologies de l'information qui ont conduit la finance à devenir virtuelle ( Trading à haute fréquence, produits dérivées sur actions, de taux, sur les matières premières...) En montrant que la vitesse technologique est devenue supérieure au temps humain il nous fait prendre conscience que nous vivons en ce siècle des incertitudes un tournant historique majeur. En matière de Cybercriminalité : un virus informatique peut contaminer un pays en quelques heures, et on observe une accélération des menaces ; très récemment en France, le Groupement hospitalier de la région Grand Est a été piraté et les données ont été mises en vente sur le “ Darknet ”. Les délocalisation d'entreprises conduisent certains à devenir des immigrés, déportés et dans un futur proche un milliard de personnes seront contraintes de changer de lieux de vie, ce sont d'autres victimes collatérales.

Pendant de nombreuses années il observe en solitaire « cette période à la fois tragique et excitante qu'est la modernité. » en combattant ce qu'il nomme la propagande du progrès qui a pour envers la multiplication d'accidents planétaires majeurs. Il refuse cependant de croire au chaos, et face à la peur il nous incite à croire en l'espérance à long terme, le temps de la mutation.

Hartmut Rosa, Accélération ( 2010), une critique sociale du temps

Philosophe et sociologue représentant « l'Ecole de Francfort » il décrit la modernité à partir du concept d'accélération sociale dans une mise en mouvement du monde qui pour lui régit les structures des sociétés occidentales. Avec cette accélération du temps les « digital natives » sont confrontés à un nouveau monde volatil dans lequel il est difficile d'obtenir des sources d'information fiables. De plus dans leur activité professionnelle il leur faut être en compétition constante, performants, efficaces, mobiles, pressés, d'où leur difficulté à rentrer en résonance avec les choses de la vie, à avoir accès aux temps libres des sociétés anciennes. Ils ont pour héros Bill Gates, Steve Jobs et Mark Zuckerberg qui ont crée les entreprises dont la capitalisation boursière est la plus importante aux Etats-Unis. « Nous sommes non aliénés là où et lorsque dans l'indifférence générale nous entrons en résonance avec le monde, là où les choses, les lieux, les gens que nous rencontrons nous touchent. » dit-il dans un nouvel ouvrage remède à l'accélération « Résonance, une sociologie de la relation au monde. »

Dans la course effrénée à l'intensification des rythmes de vie et de travail décrites par cet auteur, on a peu anticipé les désordres environnementaux, le réchauffement climatique auxquels nous sommes confrontés. On a peu anticipé la dégradation de la qualité de vie des plus fragiles dans nos sociétés occidentales et dans les pays émergents, les parcours de migrants qui par centaines de milliers font naufrage en Méditerranée dans l'indifférence générale.

Gilles Finschelsein, Face à la dictature de l'urgence, il convient de trouver le bon rythme

Homo numéricus issu de la récente rupture technologique avance à toute vitesse entrainant avec lui homo œconomicus son ancêtre. L'accélération est particulièrement présente au niveau des médias au moment où la presse écrite est devancée par les réseaux sociaux et l'abondance des infos ou intox qu'ils véhiculent. Les chaines d'information en continu que sont BFMTV, France Info, prophètes de malheur contribuent par leur répétition et leur redondance à une hystérisation du débat public.

Il y a ensuite une lecture politique, alors que le temps de la démocratie n'est pas celui des médias. L'auteur nous donne l'exemple du moment Sarkozy qui a saturé le temps de par sa communication, sa rhétorique, son omniprésence télévisée. Il a aussi « compressé » le temps en se situant dans l'instant au détriment du temps de l'histoire. Le moment Hollande au départ empreint de démocratie sociale a tenté de dépasser l’horizon de la durée de son mandat avec les travaux prospectifs de France Stratégie dans le cadre du projet « Quelle France dans dix ans ? », mais rapidement pour lui aussi les procédures d'urgence et la gestion du quotidien se sont substituées aux ambitions de la prospective.

A l'utopie de la décélération, il nous convie à fixer des objectifs, à débattre des défis du futur, en donnant du sens au temps, en retrouvant un passé et un avenir.

Notre nouveau Président s'inscrit évidemment dans leur lignée, en y rajoutant le business et le contrat en lieu et place des lois. "Ce qui entre d'avènement dans l'évènement Macron pourrait bien faire époque, comme l'advenue d'un nouveau classicisme - où thèses politiques et prothèses numériques se légitiment les une les autres." ( 1)

Il semble approprié de faire appel à des solutions collectives visant à palier aux effets pervers de l'accélération de nos économies, mais cela apparait difficile à mettre en œuvre dans le cadre du fonctionnement temporel de nos démocraties. Les technologies numériques ( NTIC) ont avancé très vite, loin devant la réflexion démocratique et sociétale, face à la finitude des ressources planétaires. Qu'en sera-t-il de ces ruptures dans notre rapport au temps long ?

( 1) Régis Debray, Le Nouveau Pouvoir, 2017

Eliane JACQUOT

 


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