De Ligonnès : police et médias, présumés coupables

par Michel DROUET
dimanche 13 octobre 2019

Il arrive parfois que la faiblesse de certaines de nos institutions, que ce soient celles en charge de notre sécurité et du maintien de l’ordre ou bien celles en charge de nous informer objectivement, soient à l’origine d’un plantage magistral qui affaiblit un peu plus encore et l’une et l’autre et dévoilent des paysages en ruine : c’est ce qui se passe avec la fausse affaire de Ligonnès 

Que fait la police ?

Adulée en 2015, lors des attentats, la cote d’amour de la police auprès des français a fondu comme neige au soleil depuis l’épisode des gilets jaunes, encore qu’il ne faille pas jeter l’opprobre sur l’ensemble d’une profession du fait des errements constatés. Le problème, c’est que les débordements, parfois la conséquence d’un management des troupes douteux et d’un pouvoir politique dépassé, se voient comme le nez au milieu de la figure et font tache.

Autre question posée, la profession a choisi de faire bloc face aux accusations portées sur sa manière d’intervenir et possède même sa petite inspection interne chargée de faire retomber le soufflé avant une éventuelle sanction, la où le manifestant lambda sera traduit immédiatement devant un tribunal en comparution immédiate après une nuit de garde à vue. Le citoyen moyen attend que la « violence légitime » ne soit pas à tout bout de champ invoquée. Les syndicats professionnels ne sont pas non plus d’une objectivité à toute épreuve lorsqu’ils sont (trop souvent) sollicités par des médias paresseux pour donner leur sentiment sur telle ou telle affaire.

Et s’il fallait en ajouter une couche, le Ministre de tutelle ne rate jamais une occasion de protéger ses troupes (c’est aussi son rôle) mais au risque parfois de tordre le bras à la réalité (« l’attaque » de la Pitié Salpêtrière par les gilets jaunes, par exemple).

Tout cela est contre-productif. Cela donne une image très contrastée de notre police soumise à rude épreuve ces derniers mois, et dont les conditions de travail sont parfois indignes. Il ne suffit pas d’augmenter les effectifs, encore faut-il que les moyens matériels soient à la hauteur, les heures supplémentaires payées, la vie familiale respectée et la déontologie rappelée à ceux dont les pratiques ne sont pas excusables.

Au final, l’incompétence et le laisser-faire, comme dans le cas du tueur de la Préfecture (« pas de vagues ») , la guerre entre les directions, les tensions entre la Préfecture de police et Beauvau, des Préfets qui valsent, des Ministres qui changent tous les ans et des épisodes comme celui de Benalla, cornaqué par des policiers pour aller casser du manifestant, sont symptomatiques d’un désordre profond, d’un immobilisme récurrent et d’absence de réforme d’un corps qui en aurait bien besoin.

De Ligonnès : La presse à la ramasse

Et s’il fallait en rajouter une couche, parlons un peu de « l’affaire » de Ligonnès, où l’on constate que « sur la foi d’information de sources proches de l’enquête », autrement dit des policiers « haut placés » selon des journaleux soucieux de refiler la patate chaude, on a pu assister à un plantage magistral, et sans doute inédit dans l’histoire, de la quasi-totalité de la presse quotidienne et des médias audio visuels français, avec dommages collatéraux sur la personne injustement arrêtée, par ailleurs sur la foi d’une dénonciation anonyme. Un dossier « béton », donc…

Cet épisode est symptomatique du fonctionnement de ce qui devrait être un contre-pouvoir pétri de déontologie, soucieux d’informer objectivement, et qui se contente de reproduire une info délivrée par quatre ou cinq « sources » dont on se demande quel est leur intérêt dans l’affaire. Intérêt personnel, manipulation institutionnelle, ou bien souci de faire oublier les carences mortelles d’une institution qui n’a pas voulu savoir ce qui se passait en matière de radicalisation dans ses propres murs ?

Cette arrestation de Dupont de Ligonnès était donc un tuyau crevé et les uns et les autres auraient dû faire preuve de retenue, c’est-à-dire faire comme le Procureur de Nantes qui avait invité à la plus grande prudence dès minuit trente samedi matin.

Des taupes « proches de l’enquête », on ne saura rien bien évidemment mais de la presse, on sait désormais que la règle du scoop, prévaut à toute autre considération.

Le pire dans cette affaire c’est que la règle du fait dévoilé puis de son démenti font deux infos, aura marché à plein et les médias auront exploité le filon à fond en faisant d’abord leur une sur une fake new, puis cherché à se dédouaner (sans trop égratigner les sources…) en faisant d’autres unes sur « l’incroyable méprise », doux euphémisme.

Peu nombreux sont les journalistes qui font de l’investigation et passent un temps incompatible avec l’immédiateté du scoop. Cela nous donne des journalistes qui passent beaucoup de temps à téléphoner à leurs « sources » qu’elles soient policières, politiques ou économiques sans voir l’intérêt évident qu’il y a pour les « sources » à manipuler la presse, par ailleurs souvent propriété de chefs d’entreprises influents. La déontologie journalistique, dans ces conditions, en prend un sacré coup et le quasi unanimisme fait tache dans un paysage médiatique en déshérence.

Un journaliste aujourd’hui ne serait-t-il qu’un moine copiste de sources auto proclamées prodiguant la bonne parole, celle que le bon peuple ne peut pas contester et qui est défendue bec et ongles par des journalistes et experts de référence qui se bousculent sur les plateaux des chaînes de télé et qui représentent bien évidemment le haut du panier supposé de la profession ?

Et le présumé coupable arrêté à Glasgow dans tout ça ?

C’est peu de dire que son sort indiffère la presse, qui s’est empressée, à défaut de repentance de botter en touche vers les « sources » ou bien vers la police de Glasgow, c’est encore plus pratique. A peine quelques mots sur l’appel anonyme à l’origine de l’affaire. La presse prêche la méprise et évite de s’interroger sur sa responsabilité, c’est confortable. Pendant 24 heures on aura vu des prises de paroles et des reportages tournés devant la maison du crime à Nantes ou celle du présumé de Ligonnès à l’instar des infos données « en direct de l’Elysée » qui veulent ajouter à la crédibilité, mais qui n’apportent rien de plus qu’un commentaire en plateau.

Le présumé coupable se serait bien passé de cette pub. On espère pour lui qu’il aura droit à quelques mots de compassion du Ministre de L’intérieur, mais ce n’est pas certain et que l’indemnisation des dégâts causés par la perquisition seront remboursés rubis sur l’ongle, mais ce n’est pas certain non plus et qu’il pourra également faire prévaloir son préjudice moral, à moins qu’on ne le dissuade de le faire.

Dans quelques jours, on verra sans doute apparaître un portrait volé de cette personne (que les médias se sont évertués à nommer « individu ») dans la presse de caniveau et peut-être qu’on lui proposera de l’argent pour raconter son histoire, pour solde de tout compte…

 

Pas un quotidien, pas un média radio, télévisé ou en ligne n’échappera à une remise en cause à la suite de ce raté. Nous attendons que la presse hebdomadaire non soumise au diktat du scoop fasse l’analyse exhaustive de cet emballement mortifère et propose des bonnes pratiques. Il est évident que la technique des sources qui met à mal l’honnêteté d’un quidam, qui jette le doute sur des procédures en cours, notamment lorsqu’il s’agit d’un puissant, ou qui propage de fausses infos sur la viabilité d’une entreprise doit être revue et on espère que ce plantage remarquable sera enseigné et disséqué dans les écoles de journalisme.

La presse mérite mieux que l’affligeant spectacle qu’elle nous offre depuis ces deux derniers jours.

Pour la police, on verra plus tard… 

 


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