De Raphaël Enthoven, de l’égoïsme et de l’extrémisme libéral-libertaire

par Laurent Herblay
lundi 18 janvier 2016

Tous les matins, Europe 1 confie sa revue de presse à Natacha Polony, qui lui donne des accents gaullistes et progressistes. Mais elle donne aussi la parole à Raphaël Enthoven, qui s’est surpassé il y a quelques jours dans son sillon libéral-libertaire en évoquant la fable des abeilles

 
Des abeilles et de l’égoïsme
 
Le chroniqueur philosophe, souvent intéressant, a repris la fable d’un économiste du début du 18ème siècle. Il commence par décrire une ruche où toutes les abeilles sont égoïstes, une « société détestable  » où « les avocats ne défendent que les causes lucratives, les médecins préfèrent la réputation au rétablissement des malades, la justice met en sûreté le puissant et le riche ». Mais cela produirait la prospérité et l’abondance. Mieux, « comme les abeilles ne s’intéressent qu’à elles-même, et en autrui, que ce qui a d’intérêt pour elles, elles s’entreaident  ». Il décrit « une société en équilibre : la force sur la faiblesse, le luxe sur la pauvreté  ». Les inégalités donneraient de l’équilibre au monde… Mieux, dans ce monde égoïste, les pauvres eux-même vivraient plus agréablement que les riches ne le faisaient auparavant.
 
Il est tout de même extraordinairement culotté d’y faire référence aujourd’hui, alors même que depuis trois ou quatre décennies dans nos pays, les riches vivent beaucoup plus confortablement qu’avant alors que la prospérité globale a diminué et que, loin de vivre aussi bien que les riches ne le faisaient auparavant, les pauvres vivent moins bien qu’il ne le faisaient il y a quarante ans. Leur pouvoir d’achat a baissé dans bien des pays, notamment aux Etats-Unis, quand celui des plus riches s’est envolé, en suivant, pourtant, les préceptes de ceux qui croient que la somme des égoïsmes produirait de l’intérêt général. Mais finalement, cette référence si ancienne n’est-elle pas le signe que les néolibéraux sont nus ? Faute de pouvoir défendre leurs idées par le réel, ils ont recours à des fables vieilles de 300 ans ! 
 
Djihadiste néolibéral
 
Pour enfoncer le clou, cette fable soutient que quand les abeilles deviennent honnêtes, en tombant sous le charme d’une abeille défendant égoïstement la vertu, la catastrophe arrive : la honte remplace l’arrogance, les prix des denrées baissent de 100%, la mauvaise foi disparaît des procès, les innocents sont libérés, les médecins soignent les malades, qui cessent de les payer. Une seule personne abat le travail de quatre et la ruche est au chômage, s’appauvrit, puis disparaît. L’égoïsme serait une condition de la prospérité. Bref, pour lui, même s’il admet qu’une société égoïste est détestable, il parvient, par une pirouette rhétorique simpliste et qui ne repose sur absolument rien, à soutenir de facto qu’elle est préférable à l’honnêteté, vertu qui ne permettrait pas la prospérité et qui saperait la collectivité.
 
Pourtant, au contraire, plus nos sociétés deviennent égoïstes et individualistes, plus la prospérité semble s’éloigner, si ce n’est pour une petite minorité (dont Raphaël Enthoven fait sans doute partie). Mais le plus effarant dans le propos de cette fable, c’est son caractère exagéré et sans nuance, pas si éloigné, sans doute des discours djihadistes. Où est-il démontré que la somme des égoïsmes serait plus intéressante pour la collectivité que la somme des honnêtetés ou des altruismes ? Il faut sans doute bien être un libéral libertaire quelque peu extrémiste pour arriver à faire de l’égoïsme le nombril du monde, en oubliant que la nature humaine, c’est aussi l’amour, l’amitié, l’altruisme, la générosité, l’aide, et pas uniquement de manière intéressée, comme cette fable semble refuser de l’envisager.
 

Bien sûr, une pincée d’égoïsme est sans doute nécessaire au bon équilibre de chacun, mais en faire une forme de ciment de nos sociétés, est une aberration qui ne peut être que le produit de personnes soit bien pessimiste sur la nature humaine, soit un peu trop centrées sur leur nombril.


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