De Zemmour et de la liberté de parole

par Laurent Herblay
mercredi 12 octobre 2016

La dernière provocation d’Eric Zemmour lui attire de nouveaux soucis judiciaires. Mais si ses propos, comme tant d’autres avant, sont profondément choquants, amenant à nouveau à se demander s’il ne tombe pas à dessein dans des provocations outrageuses pour faire parler de lui, on peut également se demander s’il est véritablement légitime de pouvoir le poursuivre pour cette raison.

 

De l’outrance des propos…
 
Merci à Marianne de publier de larges extraits des propos tant polémiques, pour les juger pleinement. C’est quand on lui dit que les islamistes n’endoctrinent que quelques esprits faibles qu’il dérape : « Quelle condescendance ! Moi, je prends l’islam au sérieux, je ne le méprise pas ! Je ne pense pas que les djihadistes soient des abrutis ou des fous. Au sommet, il y a des théologiens qui appliquent exactement leur idéologie coranique et légitiment tous leurs actes par des sourates ou des actes du prophète. Et je respecte des gens qui meurent pour ce en quoi ils croient – ce dont nous ne sommes plus capables (…) L’Histoire, c’est ainsi, des innocents meurent parce qu’ils sont dans le mauvais camp, ou au mauvais endroit au mauvais moment. Et oui, quand des gens agissent parce qu’ils pensent que des morts le leur demandent, il y a quelque chose de respectable. Et en même temps de criminel et mauvais, c’est ainsi, les humains sont complexes. Donc, combattons-les mais arrêtons de les mépriser  ».
 
Déjà, sans même les prendre pour des imbéciles, on peut questionner le fait que les djihadistes ne soient pas des abrutis ou des fous : ils tuent pour des raisons qu’il est difficile de trouver rationnelles. Et peut-on avoir du respect pour quelqu’un parce qu’il est prêt à mourir, même si cela implique qu’il tue des innocents ? Zemmour cède une nouvelle fois à la nostalgie un peu fantasmée d’un passé viril. Il est aussi effarant que choquant qu’il juge « respectable  » que les islamistes tuent parce que des morts le leur demanderaient. Sa conclusion « combattons-les mais arrêtons de les mépriser  » est sans queue ni tête. Non seulement, pourquoi ne faudrait-il pas mépriser de tels barbares ? Et il est curieux de vouloir substituer le mépris par le respect. Bref, une fois encore, Zemmour fait totalement fausse route.
 
A l’outrance de la censure ?
 
Même si je suis assez souvent en désaccord avec Causeur, je suis assez largement d’accord avec Elisabeth Lévy, qui est revenue sur cette interview dans le Figarovox. Pour la dirigeante de Causeur, « oui, j’ai été choquée, par la proximité dans la même phrase des termes ‘respect’ et ‘terroristes’, c’est même écrit dans le journal. Mais je veux continuer à vivre dans un pays où je peux être choquée, blessée, indignée, outrée par les propos des autres – et je vous assure qu’il y a l’embarras du choix ». Elle apporte une contradiction fine aux propos de Zemmour, qui disait qu’il n’y « a pas de différence entre l’islam et l’islamisme », en soulignant que « paradoxalement ce amoureux de l’Histoire a une vision totalement des-historicisée de l’Islam  ». Au contraire, elle note que « la contre-société musulmane hostile à la société française et à son mode de vie ne rassemble pas tout l’islam », et dénonce le multiculturalisme.
 
Dans cette interview, elle demande « a-t-on si peur de Zemmour ou d’autres qu’il faille les poursuivre au lieu de leur répondre ?  », faisant un parallèle avec Dieudonné. Là aussi, je suis d’accord avec la dirigeante de Causeur, ayant critiqué, il y a près de trois ans, les velléités d’interdiction des spectacles de Dieudonné ou même la condamnation dont il a fait l’objet en Belgique. Même si je ne suis pas partisan d’un laisser-dire totalement sans limite, comme aux Etats-Unis, je crois que toute restriction doit être extrêmement mesurée et bien pensée, surtout si on ne veut pas nourrir ce qu’elle veut interdire. Ces restrictions ne sont-elles pas une pente dangereuse vers une société qui ressemblerait à 1984 ?
 

Notre société semble hésitante. D’une part, le drame de Charlie Hebdo a montré que la liberté d’expression est un droit fondamental. Et on peut voir dans le choix fait par France 2 d’opposer Jérôme Kerviel et Robert Ménard à Alain Juppé une ouverture bienvenue qui fait honneur à ce que devrait être le service public dans une démocratie non totalitaire et autoritaire. Mais de l’autre, on constate aussi une rigidification de nos dirigeants, qui tendent trop souvent à restreindre le débat public. On peut penser aux changements des règles pour la prochaine élection présidentielle, ou au projet de loi visant à réformer la loi de 1881 sur les médias, dénoncée par tous les grands médias du pays.

 


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