Des gilets jaunes, des médias, de Macron, et de l’oligarchie

par Laurent Herblay
mercredi 30 janvier 2019

La crise des gilets jaunes est probablement un révélateur de plus du problème médiatique. Car, pour un très bon reportage d’Interception sur France Inter dimanche 20 janvier sur cette France périphérique (que je recommande très vivement), le discours des média sur cette crise est souvent effarant de parti-pris en faveur de Macron et des politiques oligarchiques menées depuis trop longtemps.

 

Quand le service public est le service d’un public
 
Même si toute violence à leur égard est bien sûr condamnable, le traitement de la majorité par trop de média est proprement affligeant. Le lendemain du premier débat, les journalistes de France Inter se pâmaient devant la performance de ce président resté plus de six heures à débattre… Passons sur la superficialité du fait de résumer l’échange à sa durée, dans un étrange parallèle avec les pratiques des dirigeants vénézuéliens… Bien sûr, un tel temps pourrait être positif, mais le cadre du débat est très étroit, notamment en matière économique. Difficile de ne pas y voir seulement un exercice de communication dont ne sortira pas grand-chose qui ne satisfera pas le président…
 
Mais ce faisant, la tonalité médiatique des des dernières semaines est souvent révoltante. Entre les éditorialistes qui exhortaient les gilets jaunes à cesser le mouvement fin décembre, que la remobilisation de janvier a fini par calmer, et ceux qui déplorent les conséquences économiques des protestations, bien des média se font les porte-paroles du pouvoir. Que les média d’oligarques tiennent ce discours n’est peut-être pas surprenant : après tout, entre autres, les Echos appartiennent à LVMH, et Libération et L’Express à Altice, avec un grand succès puisque les pertes des deux ont atteint 24 millions en 2018, malgré les subsides publiques, Libén’attirant plus que 16 000 lecteurs en kiosques.
 
Mais il y a quelque chose de profondément révoltant à voir le dit service public reprendre le discours des oligarques, comme le fait France Inter tous les matins, ce dont je peux témoigner. L’économie sur le service public, c’est notamment l’éditorial de Dominique Seux des Echos, un condensé de la droite la plus superficielle, qui appelle les patrons à l’aide ou critique la théorie de Christophe Guilluy en pleine crise des gilets jaunes… Le service politique ne vaut guère mieux, entre un Thomas Legrand qui qualifie le débat de « performance démocratique impressionnante et salutaire  », et vante « l’endurance physique et intellectuelle  » du président, et un Yaël Goosz pas moins laudateur.
 
Comment s’étonner alors de la fracture entre les Français et les média ? Jack Dion, dans Marianne, a bien raison de souligner le ton de « sachant » et le dédain de certains éditorialistes à l’égard de ce peuple qui souffre soudainement apparu au grand jour. Ceux qui se targuent d’être ouverts, comme un badge de vertu, sont particulièrement intolérants à l’égard d’opinions différentes de la leur, dans un refus inconscient de ce que devrait être la démocratie, quand ils ne défendent pas de manière pas mordicus le tour de vis sécuritaire tactique du gouvernement, ainsi que l’avait fait BFMTV mi-janvier.
 
Même si cela ne les excuse pas complètement, on peut trouver une explication partielle aux comportements des média dans le fait qu’ils sont une des premières professions à avoir été « ubérisée ». En effet, depuis des années, les ressources des médias ont été asséchées par le digital, précarisant plus encore un métier qui l’était déjà plus que significativement étant donné le niveau d’études demandé. Finalement, on peut penser que certains journalistes ont du mal à remettre en cause un mouvement dont ils ont été parmi les premières victimes. Et beaucoup étant devenus les danseuses de milliardaires, ils ne veulent probablement pas cracher dans la main de ceux qui leur permettent d’exister.
 
 
Ce faisant, cela ne justifie en aucun cas l’étroitesse d’esprit de ce service public qui n’en a plus que le nom, et devrait recevoir Guilluy, Berruyer ou Sapir (visibles dans un très bon débat sur Thinkerview) au lieu de toujours passer les plats aux mêmes. Merci Michel Onfray pour cet excellent papier, « Une légitime défense  » publié en janvier, remettant à sa place le pouvoir et ses défenseurs médiatiques.

Lire l'article complet, et les commentaires