Des nouvelles d’une bien étrange classe

par C’est Nabum
samedi 28 septembre 2013

Une nouvelle aventure en Segpa

En direct d'une zone de turbulences permanentes.

Depuis trois semaines, je me débats dans les difficultés quotidiennes à tenir le coup avec une bien étrange classe. Je vous avais présenté la première séance qui ne fut pas piquée des vers. La suite fut encore plus incroyable et mérite un récit que bon nombre d'entre vous vont remettre en doute. Hélas, ce n'est que stricte vérité au sein d'une école qui ne peut plus apporter de réponses satisfaisantes quand les élèves ont pris le pouvoir.

Dans cette classe, composée de 6 filles et 9 garçons, il n'est pas une séquence sans que des faits sérieux d'incivilité ne se passent. On m'avait mis en garde, je pensais en avoir vu depuis que j'exerce mais à ce point- là, c'est une grande première au point que pour la première fois de mon existence professionnelle, je vais au travail la boule au ventre !

Commençons déjà par quelques données statistiques qui ne valent que pour les 9 heures hebdomadaires où ces charmants adolescents sont avec moi. J'ai déjà dénombré 38 absences, quatre jours d'exclusion du collège, six fugues en cours de journée, deux bagarres au sein de la classe, de multiples retards, l'absence de tenue de sport pour l'ensemble des filles, des refus innombrables de travail et l'absence de matériel scolaire.

Bien sûr, tout ceci ne serait rien si les heures passées en leur compagnie n'étaient pas accompagnées d'un vacarme incroyable, d'élèves qui s'invectivent, se frappent ou s'insultent et se déplacent à tout moment. Je passe pour comportement négligeable ceux qui s'allongent sur leur table et les autres qui se balancent sur leur chaise. Il y en a toujours un qui a quelque chose dans la bouche : chewing-gum ou bien carambar à moins que ce ne soit une friandise quelconque.

Depuis leur arrivée au collège, ils se sont installés dans ce désordre permanent et rien ne semble les perturber. Dans le lot pourtant, je devine quelques élèves ayant l'envie de travailler mais qui en sont totalement empêchés par des leaders d'une incroyable morgue. Pire même, un nouvel arrivant, travailleur et volontaire subit un harcèlement constant auquel il est bien difficile de mettre fin. Je devine sa souffrance et déplore chaque fois les remarques blessantes et les humiliations dont il est l'objet.

Que faire quand plus rien ne semble être efficace contre des gamins qui ont pris le pouvoir ?La vie scolaire ne peut plus les gérer, l'administration est désemparée, l'inspection académique a souhaité que le nombre des conseils de disciplines diminue. Alors, il faut se contenter de les maintenir, vaille que vaille entre les quatre murs de la classe. Ce matin encore, l'un des plus brigands qui n'a jamais encore rempli une seule ligne sur une feuille, a fait quelques pompes, histoire de se détendre un peu.

Hier, j'ai assisté à une rixe entre deux jeunes filles d'une rare violence. Vous répéter ici les insultes et les invectives ne serait pas raisonnable. Il y avait là un conflit sur fond de haine raciale et de position dominante au sein du groupe. Une nouvelle arrivante menace désormais l'influence négative de l'ancienne chef de meute. C'est une guerre permanente avec un langage excrémentiel. L'adulte n'a pas à intervenir ou il reçoit insultes et jurons.

Naturellement, à plusieurs occasions, il m'a fallu exclure les deux charmantes charretières. Mais qu'en faire en dehors de la classe ? L'administration elle-même ne peut gérer ce dossier et la vie scolaire s'épuise avec elles. La répétition quotidienne des dysfonctionnements renforce leur pouvoir et réduit à néant notre restant d'autorité. La logique d'un système qui veut maintenir coûte que coûte des trublions en classe est ici au bout de ses limites.

Comment remplir sa mission quand le brouhaha est constant, que les élèves ne cessent de discuter entre eux, quand ils se déplacent à tout moment, qu'ils arrivent les uns après les autres, qu'ils refusent de respecter les consignes du collège, qu'ils partent quand ça les chante, qu'ils ne rendent jamais un travail, qu'ils ne conservent aucun document ? Je n'exagère pas, cette situation catastrophique concerne au moins 6 élèves du groupe et les autres se joignent parfois à eux. La classe est une véritable cocotte -minute en surchauffe.

Mes collègues n'en peuvent plus. Une jeune débutante dans l'enseignement spécialisé a déjà pris un arrêt maladie, épuisée par ce groupe inhabituel. Un nouvel enseignant découvre, effaré, une situation totalement ingérable et se demande comment faire. Tous les beaux discours de nos représentants tombent devant ce groupe qui n'est sans doute pas unique. L'impuissance est notre lot commun ; nous devons faire semblant de rien, nous taire et subir sans réagir devant une telle réalité.

Je ne peux en conscience admettre cette situation qui prive quelques élèves de leur droit à l'enseignement, qui met les adultes dans un état de souffrance professionnelle incroyable et qui place chaque adulte dans sa terrible solitude devant ces jeunes tout-puissants. Je ne peux me taire, je vais écrire au jour le jour la réalité que j'observe et que je ne me résoudrai jamais à accepter. Je ne reste pas inactif pour autant et cherche à ramener à l'école quelques brebis égarées.

Je pense avoir fait quelques progrès au prix d'un épuisement considérable et d'une grande souffrance morale. Je ne peux trouver de l'aide auprès de mes supérieurs car ils sont aussi démunis que moi dans ce contexte. Je savais que la tâche serait rude, on m'avait prévenu mais je ne pouvais imaginer que ce fût à ce point là. Est-ce que cela vaut la peine de menacer sa santé ? La question se pose désormais et nous ne sommes qu'à la fin septembre !

Épuisement vôtre.


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